Pourquoi le sol en marbre des deux saintes mosquées d'Arabie saoudite reste-t-il frais même en été?

Le sol en marbre de la Grande Mosquée de La Mecque a une fonction pratique: il permet de réguler la température (Photo, AFP/Archives).
Le sol en marbre de la Grande Mosquée de La Mecque a une fonction pratique: il permet de réguler la température (Photo, AFP/Archives).
Le sol en marbre de la Grande Mosquée de La Mecque a une fonction pratique: il permet de réguler la température (Photo, AFP/Archives).
Le sol en marbre de la Grande Mosquée de La Mecque a une fonction pratique: il permet de réguler la température (Photo, AFP/Archives).
Une vue de la Sainte Kaaba à la Grande Mosquée, avec l'horloge de la tour de La Mecque en arrière-plan (Photo, AFP/Archives).
Une vue de la Sainte Kaaba à la Grande Mosquée, avec l'horloge de la tour de La Mecque en arrière-plan (Photo, AFP/Archives).
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Publié le Vendredi 14 avril 2023

Pourquoi le sol en marbre des deux saintes mosquées d'Arabie saoudite reste-t-il frais même en été?

  • Il a été prouvé scientifiquement que des pierres provenant d'une île grecque particulière possèdent des propriétés naturelles d'auto-refroidissement
  • Depuis 1978, les autorités saoudiennes importent du marbre de Thassos pour les deux saintes mosquées

LA MECQUE: Depuis des siècles, les deux saintes mosquées de La Mecque et de Médine accueillent des pèlerins du monde entier. À l'agréable surprise des visiteurs, le sol de marbre blanc scintillant qui entoure la Kaaba à La Mecque reste frais sous leurs pieds, même pendant les journées les plus chaudes.

Si certains prétendent que des tuyaux d'eau froide cachés sous le sol étaient responsables de sa fraîcheur, la véritable raison réside dans le choix unique du matériau de construction de la mosquée.

Le marbre de Thassos, une île de Grèce orientale située près de Kavala dans la mer Égée, présente l'une des caractéristiques les plus rares de la pierre. En raison de son aspect blanc pur et de sa forte réflexion de la lumière, le marbre de Thassos – parfois appelé marbre «blanc comme neige» – présente l'une des plus faibles absorptions de chaleur de tous les types de marbre.

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Carrière de marbre sur l'île de Thasos, dans le nord de la Grèce (Photo, le Dr Peter Tzeferis via Wikimedia Commons).

La pierre est extraite de l'île depuis l'Antiquité et elle est utilisée jusqu’à ce jour dans toute la Grèce. Elle a constitué les murs, les sols et les statues de certains des plus grands sites de l'histoire, notamment l'ancienne tombe macédonienne d'Amphipolis (la plus grande jamais découverte en Grèce) et Sainte-Sophie à Istanbul.

Grâce à ses propriétés uniques, cette pierre est souvent utilisée dans les villas de luxe et la décoration d'intérieur, mais elle n'est pas bon marché. Selon le fournisseur indien de marbre RMS Marble, les carreaux individuels peuvent coûter entre 250 et 400 dollars (1 dollar = 0,91 euro) le mètre carré.

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Le marbre extrait d'une carrière à Thassos, en Grèce, constitue l'une des caractéristiques les plus impressionnantes du sol de la Grande Mosquée de La Mecque (Photo, Shutterstock).

Depuis des décennies, l'Arabie saoudite importe ce marbre dolomitique unique pour l'utiliser exclusivement dans les Deux Saintes Mosquées afin de soulager les visiteurs des mosquées qui doivent entrer pieds nus et d'éviter les températures de surface dangereuses.

Le sous-secrétaire général aux Affaires techniques, Opérationnelles et de Maintenance de la Présidence générale des affaires des deux saintes mosquées, l'ingénieur Fares al-Saedi, a déclaré à Arab News que le marbre de Thassos se caractérise par son extrême fraicheur, malgré une chaleur intense qui peut atteindre 50 à 55°C pendant les mois d'été.

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Les pèlerins utilisent des parapluies pour se protéger des fortes chaleurs de l'été, mais sur le sol en marbre, ils n'ont besoin d'aucune protection (Photo, AFP/Archives).

Al-Saedi a ajouté que les dirigeants du Royaume avaient décidé d'importer la pierre auto-refroidissante pour la construction de vastes cours et d'espaces ouverts où passent chaque année des millions de pèlerins.

Il a expliqué que la Présidence générale supervisait les travaux d'entretien du marbre dans toute la région en traitant, restaurant et polissant le marbre ou en remplaçant les carreaux anciens et inutilisables.

«La maintenance est assurée 24 heures sur 24, 7 jours sur 7 par plus de 40 ingénieurs et techniciens. Chaque plaque de marbre mesure cinq centimètres d'épaisseur, et ce qui la distingue, c'est sa capacité à absorber l'humidité par ses pores délicats pendant la nuit et à libérer cette humidité pendant la journée, la rendant plus fraîche sous des températures élevées», a-t-il indiqué.

Selon une étude publiée dans la revue The international journal Construction and Building Materials en 2021, les caractéristiques thermophysiques de la pierre permettent à la fois de refléter et de dissiper la chaleur de l'insolation solaire.

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Des caisses de marbres de haute qualité de Thassos prêtes à être expédiées (Photo, Avec l'aimable autorisation de Thassosmarbles).

L'étude a révélé que le marbre de Thassos présente un niveau exceptionnellement élevé de réflectivité solaire et un taux élevé de conductivité thermique par rapport au calcaire, une autre pierre couramment utilisée dans l'architecture islamique.

Collectivement, ces propriétés se sont avérées capables de maintenir des températures de surface fraîches même pendant les périodes estivales chaudes, et de réduire globalement les pertes d'énergie thermique par convection pendant la nuit dans l'atmosphère sus-jacente.

En même temps, le marbre ajoute à l'ambiance artistique des mosquées, ce qui offre une expérience exceptionnellement mémorable.

Une autre étude menée par une équipe saoudo-égyptienne et publiée dans l'Arabian Journal of Geosciences en 2018 qualifie le marbre de «marbre intelligent à dissipation thermique», attribuant sa grande pureté de blancheur à la formation cristalline riche en dolomite de la pierre.

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Des blocs de marbre blanc prêts à être coupés (Photo, Avec l'aimable autorisation de Thassosmarbles).

L'écrivain et chercheur en patrimoine Abdallah al-Batati a déclaré à Arab News que le sol en pierre non couvert et pavé du mataf (l'endroit où les pèlerins tournent autour de la Kaaba) était légèrement incurvé et rempli de cailloux et de pierres plus petites que la taille d'un haricot avant le pavage.

«Omar Ibn al-Khattab fut le premier à empierrer le sol de la mosquée après l’élargissement du mataf en 119 de l'Hégire (737-738 apr. J. -C.). Sous le règne d'Al-Walid ben Abdel-Malik, le mataf fut recouvert de marbre. En 145 de l'Hégire (762-763 apr. J. -C.), l'ancien sol a été recouvert de marbre à l'époque d'Abou Jaafar al-Mansour, et a été carrelé de marbre à l'époque du califat abbasside en 284 de l'Hégire (896-897 apr. J. -C.)», a expliqué Al-Batati.

«En 1003 de l'Hégire (1594-1595 apr. J. -C.), les pierres de silex ont été remplacées par des pierres d'albâtre, tandis que le marbre blanc brillant a recouvert le sol du mataf en 1006 de l'Hégire (1597-1598 apr. J. -C.) sous le règne du sultan Mohammed Khan.»

Il a mentionné que sous le règne du roi Saoud, les vieilles tuiles de marbre ont été retirées de l'ancien mataf, et le nouveau mataf a été nivelé et pavé. Les deux étaient séparés par une ligne de démarcation en marbre noir provenant de plusieurs carrières d'Arabie saoudite.

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La Sainte Kaaba à la Grande Mosquée de La Mecque, bondée de pèlerins (Photo, AN /Archives).

La Dr Salma Hawsawi, professeure d'histoire ancienne à l'université du roi Saoud, a déclaré à Arab News que le roi Abdelaziz avait procédé à des agrandissements de la Grande Mosquée et de la Mosquée du Prophète, qui ont duré jusqu'au règne du roi Khaled dans les années 1970 et 1980. Ce dernier a donné l'ordre d'agrandir la Grande Mosquée dans sa forme actuelle et de carreler son sol avec du marbre résistant à la chaleur importé de Grèce en 1978.

Le roi Khaled a ordonné le carrelage de la sainte mosquée de La Mecque avec du marbre blanc résistant à la chaleur, afin d'aplanir le site et d'enlever les cailloux pour que le mataf puisse accueillir confortablement le nombre croissant de fidèles et de pèlerins.

«Le deuxième agrandissement de la Grande Mosquée a eu lieu entre 1985 et 1986 sous le règne du roi Fahd, qui a également ordonné le carrelage de la cour autour de la Kaaba et des places entourant la Grande Mosquée par du marbre blanc froid, de manière circulaire et alignée, afin de le rendre propice aux prières», a déclaré Hawsawi à Arab News.

Dans la continuité des projets d'expansion passés, le roi Salmane a continué à développer les services des deux saintes mosquées, en ordonnant l'achèvement de la troisième expansion, en plus de développer de nombreux projets, selon Hawsawi.

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Des grues sont visibles sur des sites de construction en arrière-plan de la Grande Mosquée de La Mecque, le 4 décembre 2008, alors que les musulmans du monde entier affluent en Arabie saoudite pour effectuer le pèlerinage annuel du Hajj (Photo, AFP /Archives).

Hawsawi a indiqué que le marbre est importé de Thassos sous la forme de grands blocs de pierre, qui sont ensuite traités et fabriqués dans les usines du Royaume par le groupe Ben Laden, une société contractante de premier plan qui supervise la construction et le développement des mosquées de La Mecque.

«Les ingénieurs et les techniciens effectuent régulièrement des visites d'inspection et des travaux d'entretien avec un niveau de compétence élevé. Les carreaux de marbre qui ne sont plus en bon état et qui ont perdu leurs caractéristiques de fraîcheur sont remplacés. Le type de marbre est naturel, et ni l’Arabie saoudite ni la Grèce n'y ajoutent d'additifs; il ne contient donc pas d'impuretés.»

«Ce type de marbre est rare et cher; un seul morceau de marbre mesure cinq centimètres d'épaisseur, 120 centimètres de long et 60 centimètres de large. Il absorbe l'humidité et le froid la nuit par ses pores pour les conserver le jour. Ainsi, les surfaces de la Grande Mosquée restent modérément fraîches tout au long de l'année et tout le monde peut en profiter», a soutenu Hawsawi.

 

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com

 


Survivants traumatisés et «conditions indignes»: récit de la première mission de l'ONU à El-Facher

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  • Tombée aux mains des Forces de soutien rapide (FSR) en octobre après 500 jours de siège, la ville est "le fantôme d'elle-même"
  • A sa demande, elle s'y est rendue sans escorte armée, avec une poignée de collègues

PORT-SOUDAN: Des survivants traumatisés vivant des "conditions indignes", sans eau ni assainissement: pour la première fois depuis le siège par les paramilitaires d'El-Facher dans l'ouest du Soudan, une équipe de l'ONU a pu se rendre sur place.

Tombée aux mains des Forces de soutien rapide (FSR) en octobre après 500 jours de siège, la ville est "le fantôme d'elle-même", "une scène de crime", a résumé dans un entretien lundi avec l'AFP la coordinatrice humanitaire Denise Brown, qui n'a été autorisée à passer que "quelques heures" sur place.

A sa demande, elle s'y est rendue sans escorte armée, avec une poignée de collègues.

"De larges parties de la ville sont détruites", raconte Mme Brown: El-Facher est devenue "l'un des épicentres de la souffrance humaine" dans la guerre qui oppose depuis avril 2023 l'armée régulière aux paramilitaires.

Accès "âprement négocié" 

Fin octobre, les FSR se sont emparées du dernier bastion de l'armée au Darfour lors d'une offensive sanglante marquée par des exécutions, pillages et viols.

Depuis, ils ont imposé un black-out sur la ville, l'isolant du monde. A l'exception de vidéos d'exactions publiées par les combattants eux-mêmes, suscitant l'indignation internationale, très peu d'informations ont filtré.

Plus de 107.000 personnes ont fui, selon l'Organisation mondiale pour les migrations (OIM).

Vendredi, l'équipe onusienne a pu pénétrer dans la ville après avoir "négocié âprement", explique la responsable canadienne, chargée pour le Soudan du Bureau de la coordination des affaires humanitaires (Ocha).

Elle décrit des survivants "traumatisés vivant sous bâches plastiques", dans des conditions qu'elle qualifie "d'indignes et dangereuses".

Impossible de donner des chiffres à ce stade sur combien sont restés sur place. "Nous n'avons pas encore assez d'informations", dit-elle, alors que la ville comptait avant la guerre plus d'un million d'habitants.

L'équipe pouvait se déplacer librement vers les sites sélectionnés: l'hôpital saoudien, des abris de déplacés et cinq bureaux abandonnés de l'ONU.

Le complexe hospitalier, l'un des derniers en ville, "tient encore debout" avec du personnel médical sur place, mais il est à court d'antibiotiques et d'équipements, et quasi vide de patients.

"Partie émergée de l'iceberg" 

Privée d'aide humanitaire, El-Facher s'est retrouvée à court de tout pendant les 18 mois de siège.

Pour survivre, les habitants se sont résolus à manger de la nourriture pour animaux. En novembre, l'ONU y a confirmé l'état de famine.

"Un petit marché" subsiste avec de minuscules paquets de riz, des tomates, oignons et patates, quelques biscuits: "les gens n'ont pas les moyens d'acheter davantage", a-t-elle décrypté.

L'équipe "n'a pu voir aucun des détenus, et nous croyons qu'il y en a", a précisé la responsable onusienne.

"Nous n'avons vu que la partie émergée de l'iceberg", a-t-elle admis, "soucieuse" d'éviter les zones jonchées de munitions non explosées et de mines, dans un conflit qui a déjà tué 128 travailleurs humanitaires.

Les analyses d'images satellites et les témoignages recueillis par l'AFP font régulièrement état d'exactions sommaires et de fosses communes dans la ville, mais la responsable a préféré réserver ses observations aux experts des droits humains de l'ONU, qui préparent un rapport sur les atrocités à El-Facher.

La guerre au Soudan a fait plusieurs dizaines de milliers de morts, déraciné 11 millions de personnes et provoqué ce que l'ONU qualifie de "pire crise humanitaire au monde".

 


Trois morts dans des manifestations des alaouites syriens contre le bombardement d'une mosquée

Des membres des forces de sécurité syriennes déployés lors de manifestations de la communauté alaouite à Lattaquié, dimanche. (Reuters)
Des membres des forces de sécurité syriennes déployés lors de manifestations de la communauté alaouite à Lattaquié, dimanche. (Reuters)
 Les alaouites syriens sont descendus dans la rue dimanche dans la ville côtière de Lattaquié pour protester contre l'attentat à la bombe contre une mosquée qui a tué huit personnes à Homs deux jours auparavant. (REUTERS)
Les alaouites syriens sont descendus dans la rue dimanche dans la ville côtière de Lattaquié pour protester contre l'attentat à la bombe contre une mosquée qui a tué huit personnes à Homs deux jours auparavant. (REUTERS)
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  • Des membres du régime de Bashar Assad ont attaqué les forces de sécurité et les civils, rapportent les médias d'État
  • Selon les autorités sanitaires, des dizaines de personnes ont été soignées pour des blessures causées par des coups de feu, des couteaux et des pierres

LATTAKIEH: Trois personnes ont été tuées et des dizaines d'autres blessées lors des manifestations des Alaouites de Syrie dans la ville côtière de Lattaquié dimanche.

Les responsables de la sécurité ont déclaré que les restes du régime de Bashar Assad ont attaqué les forces de sécurité et les civils lors des manifestations, a rapporté l'agence de presse nationale syrienne SANA.

Les autorités sanitaires régionales ont déclaré que 60 personnes avaient été blessées et que les hôpitaux traitaient les victimes pour des blessures causées par des coups de feu, des couteaux et des pierres.

Deux ambulances ont été attaquées alors qu'elles intervenaient sur les lieux des incidents.

Le colonel Abdulaziz Al-Ahmad, chef de la sécurité intérieure à Lattaquié, a déclaré que des "éléments liés aux vestiges du régime déchu" participant aux manifestations ont attaqué le personnel de la sécurité intérieure, faisant plusieurs blessés et endommageant des véhicules.

Les manifestations ont eu lieu en réponse à l'attentat à la bombe contre une mosquée qui a tué huit personnes dans un quartier alaouite de la ville de Homs deux jours auparavant.

M. Assad a été chassé du pouvoir il y a un an, après qu'une offensive des forces d'opposition a mis fin à la guerre civile qui a décimé le pays.

Le nouveau président, Ahmad Al-Sharaa, s'efforce de stabiliser le pays, mais il y a eu des flambées de violence sectaire.

Les représentants du gouvernement affirment que les groupes restés fidèles au régime d'Assad, qui était dominé par la minorité alaouite, ont tenté d'inciter à la violence en utilisant les manifestations civiles comme couverture pour cibler le personnel de sécurité et endommager les biens publics.

Le colonel Al-Ahmad a déclaré que des individus armés et masqués affiliés à des groupes connus sous le nom de "Saraya Deraa Al-Sahel" et "Saraya Al-Jawad" étaient présents lors des manifestations de dimanche. Ces groupes ont déjà perpétré des assassinats ciblés et posé des explosifs le long d'axes routiers importants.

Des milliers de personnes ont participé aux manifestations de dimanche organisées par une autorité religieuse en réponse à l'attaque de la mosquée, a rapporté l'AFP.

Les forces syriennes ont ensuite été déployées pour disperser les partisans du gouvernement, selon un correspondant de l'AFP.

Les manifestations de dimanche ont été organisées à l'appel du chef spirituel alaouite Ghazal Ghazal, qui a exhorté samedi la population à "montrer au monde que la communauté alaouite ne peut être humiliée ou marginalisée" après l'attentat à la bombe de Homs.

L'attentat de vendredi a été revendiqué par un groupe extrémiste connu sous le nom de Saraya Ansar Al-Sunna.

Il s'agit de la dernière attaque en date contre cette minorité religieuse, qui est la cible de violences depuis la chute, en décembre 2024, de M. Assad, lui-même alaouite.


Le pari israélien sur le Somaliland : quels risques pour la région?

Israël a officiellement reconnu le Somaliland le 26 décembre, brisant ainsi des décennies de consensus international sur l'intégrité territoriale de la Somalie. (Fourni)
Israël a officiellement reconnu le Somaliland le 26 décembre, brisant ainsi des décennies de consensus international sur l'intégrité territoriale de la Somalie. (Fourni)
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  • La situation stratégique du Somaliland près du Bab Al-Mandab fait craindre qu'une présence sécuritaire israélienne ne transforme la mer Rouge en poudrière
  • Les critiques soutiennent que la décision ravive la stratégie israélienne de "périphérie", encourageant la fragmentation des États arabes et musulmans pour un avantage stratégique

RIYAD: Les observateurs régionaux chevronnés ne seront peut-être pas surpris d'apprendre qu'Israël est devenu le premier et le seul État membre des Nations unies à reconnaître officiellement la République du Somaliland comme une nation indépendante et souveraine.

Le 26 décembre, le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu et le ministre des affaires étrangères Gideon Sa'ar ont signé une déclaration commune de reconnaissance mutuelle avec le président du Somaliland, Abdirahman Mohamed Abdullahi.

Pour une région qui a existé dans un état de flou diplomatique depuis qu'elle a déclaré son indépendance de la Somalie en 1991, ce développement est, comme l'a décrit M. Abdullahi, "un moment historique". Mais sous la surface se cache un pari géopolitique calculé et à fort enjeu.

Si plusieurs pays, dont le Royaume-Uni, l'Éthiopie, la Turquie et les Émirats arabes unis, ont ouvert des bureaux de liaison dans la capitale, Hargeisa, aucun n'a voulu franchir le Rubicon de la reconnaissance officielle de l'État.


Le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu, assisté du ministre des affaires étrangères Gideon Sa'ar, signe le document reconnaissant officiellement la région séparatiste du Somaliland, le 26 décembre 2025. (AFP)
La décision d'Israël de rompre ce consensus international vieux de plusieurs décennies constitue une rupture délibérée avec le statu quo.

En prenant cette mesure, Israël s'est positionné comme le principal bienfaiteur d'un État qui cherche depuis longtemps à s'asseoir à la table internationale. Comme l'a déclaré à Arab News Dya-Eddine Said Bamakhrama, ambassadeur de Djibouti en Arabie saoudite, une telle décision est profondément perturbatrice.

"Une déclaration unilatérale de séparation n'est ni un acte purement juridique ni un acte politique isolé. Au contraire, elle entraîne de profondes conséquences structurelles, au premier rang desquelles l'aggravation des divisions internes et des rivalités entre les citoyens d'une même nation, l'érosion du tissu social et politique de l'État et l'ouverture de la porte à des conflits prolongés", a-t-il déclaré.

Les critiques affirment qu'Israël fait depuis longtemps pression pour un nouveau découpage de la région sous diverses formes.

La reconnaissance du Somaliland est considérée par beaucoup dans le monde arabe comme la poursuite d'une stratégie visant à affaiblir les États arabes et musulmans centralisés en encourageant les mouvements sécessionnistes périphériques.
Dans le contexte somalien, cette voie est perçue non pas comme un geste humanitaire, mais comme une méthode visant à saper les accords nationaux conclus dans le cadre d'une Somalie fédérale.

Selon l'ambassadeur Bamakhrama, la communauté internationale s'est toujours opposée à de telles initiatives afin de donner la priorité à la stabilité régionale plutôt qu'aux "tendances séparatistes dont l'histoire a maintes fois démontré les dangers et les coûts élevés".

En ignorant ce précédent, Israël est accusé d'utiliser la reconnaissance comme un outil pour fragmenter la cohésion régionale.

Par le passé, Israël a souvent justifié son soutien à des acteurs non étatiques ou à des groupes séparatistes en prétextant la protection de minorités vulnérables, comme les Druzes au Levant ou les Maronites au Liban.

Cette "doctrine de la périphérie" avait un double objectif : elle créait des alliés régionaux et soutenait la revendication d'Israël en tant qu'État juif en validant l'idée d'autodétermination ethnique ou religieuse.

Toutefois, dans le cas du Somaliland, les gants ne sont plus du tout de mise. Il ne s'agit pas ici de protéger une minorité religieuse, puisque le Somaliland est un territoire à forte majorité musulmane. Il s'agit plutôt d'un raisonnement purement géopolitique.

Israël semble rechercher une profondeur stratégique dans une région où il a toujours été isolé. M. Netanyahu a explicitement lié cette initiative à "l'esprit des accords d'Abraham", indiquant que les principaux moteurs sont la sécurité, le contrôle maritime et la collecte de renseignements plutôt que la démographie interne de la Corne de l'Afrique.

La première grande victoire d'Israël dans cette manœuvre est l'élargissement de son orbite diplomatique. On pourrait faire valoir que le refus du gouvernement fédéral de Mogadiscio d'adhérer aux accords d'Abraham constituait une barrière artificielle.


Des habitants brandissent des drapeaux du Somaliland alors qu'ils se rassemblent dans le centre-ville d'Hargeisa le 26 décembre 2025, pour célébrer l'annonce d'Israël reconnaissant le statut d'État du Somaliland. (AFP)
La preuve de cette affirmation, du point de vue israélien, est que le Somaliland - un territoire comptant près de six millions d'habitants et doté de ses propres institutions démocratiques - était désireux d'adhérer à l'accord.

M. Abdullahi a déclaré que le Somaliland rejoindrait les accords d'Abraham en tant que "pas vers la paix régionale et mondiale". Toutefois, cette paix s'accompagne d'une contrepartie évidente : la reconnaissance officielle.

Israël peut désormais affirmer que le "modèle du Somaliland" prouve que de nombreuses autres entités arabes et musulmanes sont disposées à normaliser leurs relations si leurs intérêts politiques ou territoriaux spécifiques sont satisfaits.

Cela remet en question la position unifiée de la Ligue arabe et de l'Organisation de la coopération islamique, qui maintiennent que la normalisation doit être liée à la résolution du conflit palestinien.


Le deuxième gain majeur pour Israël est la possibilité d'une présence militaire dans la Corne de l'Afrique. La position stratégique du Somaliland dans le golfe d'Aden, près du détroit de Bab Al-Mandab, en fait un lieu privilégié pour la surveillance du trafic maritime.

Il s'agit d'une bombe à retardement étant donné que de l'autre côté de cette mer étroite se trouve le Yémen, où le mouvement Houthi - dont le slogan est "Mort à Israël" - contrôle un territoire important.

Israël peut prétendre qu'une présence militaire ou de renseignement au Somaliland renforcera la sécurité régionale en contrant les menaces des Houthis sur la navigation. Toutefois, les voisins de la région craignent que cette présence n'attise les tensions.

L'ambassadeur Bamakhrama a prévenu qu'une présence militaire israélienne "transformerait effectivement la région en une poudrière".


"Si Israël décidait d'établir une base militaire dans un endroit géopolitiquement sensible, cela serait perçu à Tel-Aviv comme un gain stratégique dirigé contre les États arabes bordant la mer Rouge, à savoir l'Égypte, l'Arabie saoudite, la Somalie, le Yémen, le Soudan et Djibouti", a-t-il déclaré.

La mer Rouge est un "corridor maritime international vital" et toute modification de son équilibre géopolitique aurait des "répercussions bien au-delà de la région", a-t-il ajouté.

Cette reconnaissance constitue également une violation flagrante du droit international et du principe d'intégrité territoriale inscrit dans la Charte des Nations unies.

Si les partisans de la reconnaissance font état d'exceptions telles que le Sud-Soudan ou le Kosovo, il n'en reste pas moins que ces cas impliquaient des circonstances très différentes, notamment des conflits génocidaires prolongés et de vastes transitions sous l'égide des Nations unies.

En revanche, l'Union africaine a toujours affirmé que le Somaliland faisait partie intégrante de la Somalie.
 

La réaction a été rapide et sévère. La Ligue arabe, le Conseil de coopération du Golfe et l'OCI ont tous décrié cette décision. Même le président américain Donald Trump, qui a pourtant joué un rôle dans les accords d'Abraham, n'a pas approuvé la décision d'Israël.

Lorsqu'on lui a demandé si Washington suivrait le mouvement, M. Trump a répondu par un "non" catégorique, ajoutant : "Est-ce que quelqu'un sait vraiment ce qu'est le Somaliland ?"

Ce manque de soutien de la part de Washington souligne l'isolement de la position d'Israël. L'OCI et les ministres des affaires étrangères de 21 pays ont publié une déclaration commune mettant en garde contre de "graves répercussions" et rejetant tout lien potentiel entre cette reconnaissance et les projets de déplacement des Palestiniens de Gaza vers la région africaine.

La reconnaissance du Somaliland par Israël semble être un pari calculé visant à échanger des normes diplomatiques contre un avantage stratégique.

Alors que Hargeisa célèbre une étape longtemps attendue, le reste du monde y voit un dangereux précédent qui menace de déstabiliser l'un des couloirs les plus instables du monde.

Comme le dit l'ambassadeur Bamakhrama, l'établissement de tels liens "ferait d'Israël le premier et le seul État à rompre avec le consensus international" - une décision qui donne la priorité à des "calculs stratégiques étroits" plutôt qu'à la stabilité du système international.