PARIS: La profonde crise provoquée en France par la réforme des retraites approche-t-elle de son dénouement ? Trois mois après le début de la contestation, le Conseil constitutionnel se prononcera vendredi sur l'impopulaire et emblématique projet du deuxième quinquennat d'Emmanuel Macron.
Les "Sages" du Conseil, chargé de vérifier la conformité des lois avec la Constitution, doivent annoncer s'ils valident ou censurent, en partie ou en totalité, la réforme décriée dont la mesure phare prévoit le recul de l'âge légal de départ de 62 à 64 ans.
Les syndicats, restés jusqu'ici unis face à un exécutif inflexible, ont appelé à une douzième journée d'action jeudi, à la veille de la décision.
Depuis le 19 janvier, onze journées de mobilisation ont été organisées, avec des cortèges rassemblant des centaines de milliers de personnes dans toute la France, et des grèves ayant créé de très fortes perturbations -notamment dans les transports et chez les éboueurs-, mais dont l'ampleur est allée décroissant, avec néanmoins un regain temporaire après le passage en force du texte par le gouvernement.
Le Conseil constitutionnel devra également se prononcer vendredi sur une demande de référendum d'initiative partagée (RIP) demandé par l'opposition de gauche.
En attendant la décision du Conseil, les organisations syndicales et l'exécutif retiennent leur souffle.
Après un passage de la loi au forceps le 20 mars, l'exécutif ayant utilisé une disposition constitutionnelle permettant l'adoption d'un texte sans vote (alors qu'il n'a qu'une majorité relative à l'Assemblée nationale), la décision du Conseil est la dernière étape avant une promulgation de la loi et son entrée en vigueur, que le président Macron veut voir s'appliquer d'ici la fin de l'année.
Censure partielle ?
Des trois scénarios sur la table -censure partielle, totale, validation de la loi-, le premier semble le plus probable.
Une censure partielle offrirait aux syndicats l'occasion d'interpeller à nouveau l'exécutif, avec qui le dialogue est au point mort depuis des mois, ponctués par de vives tensions avec M. Macron. Ce dernier a accusé les syndicats, notamment la réformiste CFDT, de n'avoir fait aucun compromis. Ces derniers ont en retour dénoncé une "crise démocratique" et la "surdité" du pouvoir face à la contestation.
En cas de censure partielle, Laurent Berger, le patron de la CFDT, a suggéré que le président de la République utilise une autre disposition constitutionnelle pour permettre de proposer au Parlement une nouvelle délibération.
"La réforme sera toujours injuste, on continuera à la combattre", a assuré pour sa part Dominique Corona, du syndicat Unsa, en misant sur la recevabilité du référendum d'initiative partagé.
Un autre scénario, où la loi serait validée mais pas le référendum, est celui qui inquiète le plus les syndicats, qui craignent dans cette hypothèse d'être débordés par leur base.
Interrogé par l'AFP mardi, Christophe Aubert, coordinateur CGT chez le géant pétrolier ExxonMobil, s'est dit prêt à aller "jusqu'au retrait de la réforme". "Que le Conseil constitutionnel valide ou pas, ça ne changera pas notre lutte", a-t-il affirmé, précisant que la raffinerie de Donges (ouest) appelait à 48 heures de grève jeudi et vendredi. Les éboueurs parisiens sont également appelés à reprendre la grève jeudi.
"On verra ce que dit l'intersyndicale. Mais nous, on sent bien sur le terrain que les salariés ne veulent pas de cette loi", a souligné Fabien Dumas du syndicat Sud-Rail.
L'intersyndicale avait prévenu la Première ministre Elisabeth Borne la semaine dernière, à la sortie d'une réunion à Matignon qui a tourné court: pas question de "tourner la page" et de reprendre le dialogue avec le gouvernement comme si de rien n'était.
Mardi, lors de la séance des Questions au gouvernement à l'Assemblée, le ministre du Travail Olivier Dussopt a estimé que le texte arrivait "à la fin d'un cheminement", et redit que le gouvernement était prêt à renouer le dialogue.
La France est l'un des pays européens où cet âge légal est le plus bas, sans que les systèmes soient complètement comparables.
Les opposants à cette réforme la jugent "injuste", notamment pour les femmes et les salariés aux métiers pénibles. L'exécutif justifie le projet par la nécessité de répondre à la dégradation financière des caisses de retraite et au vieillissement de la population.