PARIS: Farid Benyettou, né à Paris en 1981 dans une famille d’origine algérienne, revient de loin.
S’il travaille aujourd’hui dans le transport routier et s’investit dans la lutte contre la radicalisation, son itinéraire de jeune djihadiste aurait pu le mener sur une tout autre voie.
Benyettou, considéré comme le mentor des frères Chérif et Saïd Kouachi – qui ont décimé la rédaction de Charlie Hebdo lors d’un attentat d’une violence sans précédent au mois de janvier 2015 –, est un repenti.
"J’ai prêché la haine"
D’une voix calme et avec des mots bien pesés, il affirme à Arab News que, désormais, il mène une vie normale, même s’il voit naître autour de lui des soupçons quant à la sincérité de sa repentance.
Ces soupçons l’ont empêché de pratiquer le métier d’infirmier, qui le passionnait, à sa sortie de prison. Il les comprend: il n’est pas facile d’accéder au pardon quand on a pactisé avec le diable.
Farid Benyettou assume tout, après avoir «essayé de minimiser» son implication dans l’attentat contre Charlie Hebdo. «Je me disais que mes discours incitaient au départ en Irak, et non à passer à l’acte sur le sol français.»
«J’ai une part de responsabilité, je ne peux pas le nier», reconnaît-il. «J’ai prêché la haine, j’ai distillé cette idéologie», admet-il, même s’il n’est pas l’instigateur de l’attentat barbare commis par les frères Kouachi.
D’ailleurs, cet attentat est pour lui un choc brutal, car il lui révèle la nécessité de rompre définitivement avec son passé et l’incite à «réfléchir à ce que je voulais être et ce que je voulais devenir».
Le cheminement est loin d’être simple: «Bien au contraire, c’était pénible et douloureux. C’est comme un sevrage, une désintoxication». Il y a «un manque, c’est certain, surtout au début».
Le plus compliqué, affirme-t-il, c’est «d’apprendre à vivre sans les certitudes et les convictions absolues» qui le guidaient dans la vie. «Se dire que l’état d’esprit d’avant n’existera plus est très angoissant, mais j’y suis arrivé.»
Dans sa vie d’avant, Benyettou assure qu’il n’était pas porté sur l’action et le combat, mais plus sur ce qu’il croyait être de la spiritualité: «Mon but était de propager le message du djihad parmi les jeunes.»
Ce même Benyettou se tient aujourd’hui face à des jeunes dans le cadre de l’association L’Entre-2, qui agit contre la radicalisation, pour faire passer un message inverse et leur épargner les déboires de l’intégrisme radical.
Au sujet de ces jeunes, il explique: «J’ai vécu la même chose qu’eux, on voulait sauver le monde et rendre justice aux opprimés.»
La réalité est tout autre: «Ces groupes utilisent notre sensibilité pour des desseins qui leur sont propres», déclare Benyettou. Concernant les différents projets spirituels auxquels il a adhéré, il affirme qu’ils «étaient en réalité des projets politiques».
La voie du djihad
Difficile de dire si la voie du djihad adoptée par Benyettou était inévitable, sachant que, depuis l’enfance, il a baigné dans le rigorisme religieux. Dès son plus jeune âge, en effet, il fréquente régulièrement une mosquée gérée par les Frères musulmans où il suit des cours d’arabe et de religion. Il passe ses vacances dans des colonies organisées par la même organisation.
Dans son livre Mon djihad, coécrit avec l’anthropologue Dounia Bouzar, il se décrit comme quelqu’un d’effacé, d’une timidité maladive. Il n’a aucun centre d’intérêt en dehors de son investissement en tant que bénévole au Secours islamique.
À 11 ans, il est très touché par le sort des musulmans bosniaques et par leurs souffrances dues à la guerre.
Le Secours islamique, raconte-t-il, est alors «son jardin secret», qu’il cache surtout à ses amis. C’était le lieu où il pouvait aider sur le plan humanitaire et se retrouver lui-même à travers la religion.
Le décès de sa grand-mère fait sombrer son père dans l’alcool. C’est un choc profond, la chute de l’idéal paternel. «Je me retrouvais dans le vide», confie-t-il.
Ce vide, il va le combler grâce à des «des pères de substitutions» qu’il rencontrera au Secours islamique.
À l’âge de 15 ans, il tombe sous le charme des salafistes. «C’était comme une sorte de fascination», se souvient-il. Il adhère totalement à leur «pratique sans concession» de l’islam.
Il s’éloigne des Frères musulmans et endosse le qamis des salafistes, qui lui confère une aura de piété et de pureté aux yeux des habitants de son quartier.
Au lycée, son unique intérêt consiste à propager ses croyances religieuses, au point qu’il fut surnommé «l’imam», ce qui lui vaut évidement de gros problèmes.
Il arrête l’école et s’investit davantage encore aux côtés des salafistes. Ainsi, il ne se sent jamais seul; il est isolé des autres, mais soudé aux membres de son groupe par la croyance et les idées.
Ces idées vont le mener à une conviction, celle de «l’incompatibilité de la loi divine» et des lois humaines. Il s’isole de plus en plus et s’éloigne de tous ceux qui ne partagent pas cette idée, musulmans comme non musulmans.
Il lui faut à tout prix, alors, éviter toute ressemblance avec les autres, «les mécréants»: il ne faut ni s’habiller comme eux, ni manger comme eux. «Aucune similitude, aucun élément de culture partagée n’était toléré», raconte-t-il.
Il faut également se distinguer en tout des autres musulmans. Les salafistes ont leurs propres codes, «avec un souci de détail obsessionnel» pour la prière, la coiffure, la toilette...
Il faut renoncer à toute activité sociale, éducative, ou sportive, car elle ne peut que le détourner de Dieu. La même logique s’applique aux distractions, aussi banales soient-elles: écouter de la musique, regarder la télévision…
Après le salafisme, Benyettou passe au djihadisme, par le biais de personnes rencontrées à la Grande Mosquée de Paris, dont il partage les codes rigoureux et l’apparence.
"L'émir des Buttes-Chaumont"
À partir de ce moment, la rupture devient plus profonde avec la société. Pour les djihadistes, affirme Benyettou, «on n’est plus musulman si on se soumet à une loi humaine». Seule la loi de Dieu prévaut et le musulman doit tout faire «pour corriger cette situation».
C’est bien là la logique qui mène au djihad, et qui le conduit à vouloir combattre cette démocratie qui se substitue à la loi divine.
Depuis sa conversion au djihadisme, il commence à considérer les salafistes comme malhonnêtes intellectuellement, alors que, selon lui, «les frères djihadistes avaient raison sur tous les plans». L’obligation d’appliquer la loi divine, indique Benyettou, revient naturellement à légitimer le djihad.
Après les attentats du 11-Septembre, il fait la rencontre d’un groupe de jeunes proches d’Al-Qaïda. Il est bien sûr conquis par leur discours, et renonce à son admiration pour le Front islamique du salut (FIS) algérien.
Dorénavant, Ben Laden est pour lui l’exemple à suivre car «le seul à pouvoir redorer le blason des djihadistes».
En 2002, il devient conseiller spirituel d’un groupe de jeunes qui fréquentent la mosquée de Stalingrad, dans le XIXe arrondissement de Paris.
Petit à petit, il commence à contribuer à l’organisation de départs de djihadistes à l’étranger.
C’est dans ce cadre qu’il rencontre les frères Kouachi, qui suivent ses cours pendant l’été 2003. Par la suite, il participe à la préparation de Chérif, qui veut partir combattre en Irak. Cette participation lui vaut d’être arrêté, dans le cadre du démantèlement de la filière djihadiste dite «des Buttes-Chaumont». Il est d'ailleurs un temps surnommé l'émir des Buttes-Chaumont.
Alors qu’il purge sa peine de quatre ans de prison, ses idéaux commencent à s’effriter. Derrière les barreaux, il reprend ses études, passe son baccalauréat et se prépare à devenir infirmier.
La carapace se fendille, et les liens avec «les frères» d’Al-Qaïda perdent en intensité. C’est le début de sa longue rédemption.
Farid Benyettou est-il totalement reconstruit? «Difficile à dire», répond-il. «L’idéologie djihadiste, c’est du passé.» Mais il reste peut-être des choses à purger: «Je m’en occuperai lorsque je les ressentirai. C’est un travail permanent.»