PARIS: Treize mois après son déclenchement, la guerre en Ukraine s’impose comme un tournant majeur à la fois historique et géopolitique. Outre les conséquences sur l’ordre mondial et l’Europe en particulier, les leçons militaires sont nombreuses et édifiantes pour les guerres d’aujourd’hui et de demain. Cette nouvelle époque qui a commencé le 24 février 2022 incite la France à tirer les enseignements nécessaires pour assurer sa sécurité, défendre ses intérêts stratégiques et sa place dans le concert des nations.
Les enseignements d’une guerre de haute intensité
L’offensive de la Russie en Ukraine se voulait une «guerre éclair». Mais au fil des mois, le conflit s’enlise et se durcit sans que l’on sache à quoi pourra ressembler la fin de cette terrible guerre. Durant les trois décennies des «dividendes de la paix» suivant la chute de l’Union des républiques socialistes soviétiques (URSS) en 1991, les dépenses militaires en Europe ont été bien réduites. Cependant, l’annexion de la Crimée par la Russie, en 2014, a rappelé à l’ordre ceux qui ont caressé l’illusion de la fin de l’Histoire.
La confrontation internationale par procuration entamée en Ukraine marque le retour à la guerre de haute intensité en Europe (avec son cortège de lourdes pertes humaines et matérielles) supposée à tort révolue. Sur le plan géopolitique, ce conflit constitue également un tournant pour la défense de l’Europe: nouvelle posture de l’Allemagne; engagement militaire de l’Union européenne (UE); émergence du front Est conduit par la Pologne; demandes de la Suède et de la Finlande pour rejoindre l’Organisation du traité de l’Atlantique nord (Otan) et quête d’une défense collégiale dans le cadre atlantique ou au sein d’un pôle stratégique.
Leçons militaires
Quant aux leçons strictement militaires, nous assistons à une guerre hybride alliant les guerres classiques des XIXe et XXe siècles, et la guerre moderne du XXIe siècle (intimidation nucléaire russe, usage du cyberspace et de la guerre électronique et premier théâtre spatial).
Parmi les enseignements majeurs, nous notons l’importance de la profondeur stratégique et de la masse humaine pour les offensives et les défenses.
Sur le terrain, les affrontements se déroulent sur tous les champs: terre, air, mer, espace, cyber, mais aussi sur les champs informationnel et électromagnétique.
Dans ce conflit de haute intensité, il s’avère que les chars (armes classiques de guerres historiques), les drones high-tech et les missiles balistiques forment le trio vital dans la guerre en Ukraine. S’y ajoutent tout d’abord l’infanterie, les armes légères et l’artillerie, puis les avions de combat et les armes de la marine.
La guerre en Ukraine a bouleversé les perceptions de la guerre et elle incite les armées françaises à tirer les enseignements de ce conflit pour mieux gérer le présent et l’avenir.
Enfin, la guerre en Ukraine nous apprend que les armées consomment d’énormes quantités d’armement dans les guerres de haute intensité, auxquelles la France (comme nombre d’autres puissances) n’est pas préparée.
La nécessaire adaptation des armées françaises
À en croire un ancien haut officier français à la retraite: «La guerre en Ukraine a bouleversé les perceptions de la guerre et elle incite les armées françaises à tirer les enseignements de ce conflit pour mieux gérer le présent et l’avenir.»
Sans doute les combats du Donbass entre Russes et Ukrainiens sont riches d’enseignements pour adapter les stratégies et mieux comprendre les belligérants et l’évolution des menaces. En premier lieu, l’adaptation du format des armées et le modèle à suivre sont essentiels pour faciliter la coopération avec les autres alliés européens dans la défense du territoire ou tout conflit de haute intensité.
Le conflit ukrainien nous apprend aussi que la conquête du territoire et la défaite de l’ennemi demeurent des objectifs prioritaires. Pour cela, les armées doivent être capables de répondre à tous les types de menaces auxquels un État peut être confronté. Outre le combat classique et historique, les militaires doivent être prêts sur les champs informationnel, cyber et de l’influence, devenus déterminants dans les conflits du XXIe siècle. L’autre fait notable de cette guerre d’usure est le manque flagrant de munitions et d’armes, et la nécessité de passer de la logique des flux, au besoin de reconstituer des stocks et de prévoir plus de commandes d’armes et de lignes de production.
L’autre leçon à méditer pour la France, grande puissance nucléaire et seule puissance nucléaire de l’UE, est la préparation de la réponse à la résurgence de la rhétorique nucléaire en Europe. Depuis la fin du mois de février 2022, la Russie a brandi à plusieurs reprises la menace du recours aux armes nucléaires, et récemment, le président, Vladimir Poutine, a ordonné l’installation d’armes nucléaires en Biélorussie. Ainsi, la France est amenée à apprécier l’évolution de cette menace, notamment via l’hypothèse d’une nouvelle prolifération nucléaire dans les prochaines années à travers le monde.
En analysant les faits et les conséquences attendues de la guerre en Ukraine, les armées françaises (avec l’appui des armées alliées) ont effectué récemment (février-mars 2023), dans le sud de la France, l’exercice militaire géant Orion qui a mobilisé sept mille soldats, comprenant un exercice de simulation proche des conditions du conflit ukrainien.
En somme, la guerre en Ukraine continue à délivrer ses leçons. Pour la France, le développement de ses outils souverains et de la coopération européenne sont prioritaires.