STRASBOURG: Faut-il confiner définitivement 42 000 tonnes de déchets toxiques dans l'ancienne mine de Wittelsheim (Haut-Rhin), au risque de polluer un jour la plus grande nappe phréatique d'Europe? L’État lance mardi une nouvelle concertation jugée illusoire par certains acteurs locaux, face à une décision déjà prise.
L'affichette a été placardée dans les mairies de Wittelsheim et des alentours: jusqu'au 10 mai, les citoyens sont invités à donner leur avis sur le projet de couler du béton dans les galeries pour empêcher définitivement l'accès aux déchets (arsenic, amiante, cyanure, plomb...) situés sous la nappe phréatique d'Alsace. Initialement, le stockage des déchets, présenté comme "réversible", ne devait pas se prolonger après 2027.
Porté par la société Mines de potasse d'Alsace (MDPA), dont l’État est l'unique actionnaire depuis 2005, le projet a déjà fait l'objet d'autres concertations: une première en 2010-2011 menée par les MDPA, une deuxième en 2013-2014 sous l'égide de la Commission nationale du débat public, et la dernière organisée par la préfecture du Haut-Rhin en 2016.
A chaque fois, les avis du public ont été majoritairement favorables au déstockage. A chaque fois, sur la base d'études scientifiques, l’État a pris la décision de confiner les déchets, en acceptant seulement de retirer la majorité du mercure, dont il reste encore plus d'une tonne au fond.
"Les concertations publiques ont semble-t-il été marquées par une difficulté de dialogue et d'écoute", souligne un rapport parlementaire de 2018.
"C'était du foutage de gueule", estime, dans un style moins nuancé, un acteur des concertations de l'époque. "Cela a servi à donner bonne conscience à une décision qui était déjà prise, mais qui ne correspond en rien aux recommandations formulées."
Stocamine: le gouvernement appelé à faire preuve de «courage politique»
Il a suivi toutes les étapes du dossier Stocamine, comme responsable associatif puis comme député du Haut-Rhin: membre de la majorité, Hubert Ott (Modem) pointe les risques de pollution de la nappe phréatique et demande au gouvernement de revoir sa décision de confiner sous terre 42.000 tonnes de déchets toxiques.
QUESTION: Quel est votre regard sur le dossier Stocamine ?
REPONSE: "C'est une façon de traiter les déchets qui appartient au passé, qui n'est plus +entendable+: aller cacher sous terre quelque chose qui nous dérange, c'est la politique de l'autruche. Produire des déchets, a fortiori s'ils sont dangereux, implique de s'en occuper pour que ça ne se transforme pas en bombe à retardement.
Stocamine, c'est des déchets en profondeur, à 400 mètres sous la nappe phréatique. Toutes les études disent que le confinement peut être une solution, si on veut les lire ainsi, mais elle disent aussi que l'ennoyage est inéluctable, que l'eau va se mélanger aux substances entreposées, même si on ne peut pas définir quand exactement.
Il y a une diversité de toxiques entreposés, dont on ne connaît pas l'inventaire complet, et dont l'effet cocktail est encore moins connu. Par ailleurs, c'est une zone sismique, le sous-sol bouge régulièrement, ça a encore été le cas il y a dix jours.
Personne ne peut dire, en toute honnêteté intellectuelle, qu'il n'y aura pas de pollution de la nappe".
Q: A partir de ce constat, quelle décision politique attendez-vous ?
R: "Cette pollution future peut être évitée. Jusqu'ici il y a eu une démission générale de l'Etat devant son obligation d'agir. Pourtant en Alsace, une écrasante majorité de responsables politiques jugent inacceptable de tout laisser au fond.
Mais l'Etat peut faire de ce dossier un symbole de la restauration de sa crédibilité, et de la parole politique. Notre devoir, avec le temps qu'il nous reste et dans les conditions présentes, est de faire le possible pour sortir tous les déchets qui peuvent l'être. C'est une question d'éthique.
Le problème aujourd'hui, c'est que ce sont davantage les haut-fonctionnaires ou les experts qui décident que les ministres. Les ministres se succèdent, on leur met dans la tête qu'il y a un risque technique à sortir les déchets, ils ont peur d'aller à l'encontre des experts, ils ne veulent pas assumer des risques, ils sortent immédiatement le parapluie. Mais le courage politique, ça devrait exister".
Q: Mais vous proposez de sortir les déchets sans prendre en compte les risques miniers ?
R: "Non, certaines solutions n'ont pas été sérieusement envisagées. Nous sommes quand même le pays qui a été sollicité par le Japon pour gérer certaines conséquences de la catastrophe de Fukushima, avec la robotique française. Et cette solution de la robotique, nous ne l'utilisons pas pour un dossier bien moins risqué, bien moins problématique.
C'est sûr que ça va faire des sommes, ce n'est pas gratuit tout ça. Mais c'est à mettre en perspective avec la volonté de l'Etat, réelle ou non, de développement durable et de préservation des ressources vitales.
Aujourd'hui, il y a un discours sur l'écologie, mais qui ne se traduit pas par des actes à Stocamine. On ne peut pas considérer comme responsable une solution de confinement des déchets, et encore moins quand on oublie une variable qui est l'instabilité du sous-sol.
Quand il y aura un séisme de magnitude 6 ou 7, la situation sera complètement remaniée géologiquement. Qu'est-ce qui va advenir alors ? Il y aura un danger majeur sur l'alimentation en eau. Quand on prend conscience de ce risque, il n'y a qu'une seule décision responsable à prendre".
Autorisation annulée
A l'issue des concertations, l’État avait autorisé la prolongation du stockage, et donc le confinement des déchets, pour une "durée illimitée". Mais l'autorisation, contestée par le Conseil départemental et des associations locales, a été jugée contraire au code de l'environnement et annulée par la justice en 2021.
Confortés par les juges, les élus du territoire attendaient un changement de politique. Le gouvernement a préféré maintenir sa position et modifier le code de l'environnement par un décret signé par la ministre de l'Environnement, Barbara Pompili, entre les deux tours de l'élection présidentielle 2022.
Pour concrétiser son choix, l’État lance donc une nouvelle enquête publique sur le stockage "illimité" des déchets, en vue d'une nouvelle autorisation dans les mois qui viennent.
"L'enquête publique est une procédure complètement décalée face à la crise environnementale que nous vivons, mais pour l'administration, ça reste un outil incroyablement efficace", analyse l'historien Frédéric Graber, chercheur au CNRS. "C'est une manière de neutraliser toute opposition, tout en légitimant un projet. Cela permet de dire que les citoyens ont consenti à l'action, même s'ils protestent."
"L'espoir que cette nouvelle concertation puisse servir à quelque chose est très faible", abonde Philippe Aullen, porte-parole du collectif Destocamine rassemblant les associations opposées au projet.
"Politiquement, j'ai des craintes sur l'aspect démocratique, sur la véritable prise en compte de nos avis. Les dés sont pipés", poursuit-il. Il invite cependant "un maximum de personnes" à participer: "même si l'espoir est mince, c'est important de s'exprimer".
Site internet dédié
Pour permettre une information de qualité, la société MDPA a produit une synthèse des études scientifiques évoquant les différents scénarios envisagés par le passé, et doit mettre en ligne un site internet dédié.
Néanmoins, bien que la participation du public à "l'élaboration des décisions publiques ayant une incidence sur l'environnement" soit une notion à valeur constitutionnelle, aucune réunion d'information n'a été prévue pour permettre aux habitants de poser leurs questions sur les éléments techniques du dossier, notamment les risques de pollution de la nappe phréatique ou la faisabilité du retrait des déchets.
Sollicitée pour savoir sur quels aspects l'enquête publique pourrait faire évoluer le projet, la préfecture du Haut-Rhin a refusé tout entretien.
L'issue des débats ne fait guerre de doute. Le confinement définitif des déchets sans déstockage complémentaire a été décidé par Barbara Pompili en janvier 2021. "Le confinement est inéluctable. Il n'y a pas d'alternative", a encore soutenu son successeur Christophe Béchu, en janvier à l'Assemblée nationale.