PARIS: En garde ! "Les Trois Mousquetaires" reviennent mercredi avec une brochette d'acteurs en vue, de Pio Marmaï à Lyna Khoudri en passant par Vicky Krieps, sur une partition assez fidèlement inspirée du monument de la littérature francophone.
L’œuvre d'Alexandre Dumas a été déclinée en deux "chapitres", deux films dotés chacun d'un budget de 36 millions d'euros, l'un des plus gros paris du cinéma français depuis la pandémie de Covid-19. Le premier volet est consacré au jeune D'Artagnan, interprété par François Civil.
L'épreuve du feu pour cette figure montante du 7e art, dont le dernier rôle remarqué remonte à "Bac Nord" (2022), où il incarnait un flic marseillais.
Le cadet de 33 ans, à la prestation parfois un peu lisse, pourra compter sur la camaraderie des Trois Mousquetaires, Vincent Cassel (Athos), Pio Marmaï (Porthos) et Romain Duris (Aramis). Et tombera comme il se doit amoureux de l'insaisissable Constance Bonacieux (Lyna Khoudri).
Louis Garrel amuse en Louis XIII dépassé par les événements, dans son mariage malheureux avec Anne d'Autriche (Vicky Krieps), et sous la surveillance ombrageuse du Cardinal de Richelieu (Eric Ruf). La redoutable Milady est interprétée par Eva Green, mais il faudra attendre le second volet (sortie le 13 décembre), qui lui est consacré, pour la voir plus longuement à l'écran.
Comment Dumas a écrit « Les Trois Mousquetaires »
C'est dans une certaine frénésie, mais avec toute sa maîtrise du suspense, qu'Alexandre Dumas écrit en 1844 "Les Trois Mousquetaires", un chef-d'œuvre du roman d'aventure adapté une nouvelle fois au cinéma.
Âgé de 41 ans, ce dramaturge et romancier est l'une des plumes les plus aimées de Paris, notamment depuis le triomphe de "Henri III et sa cour" à la Comédie-française en 1829.
Depuis l'arrivée du journal La Presse en 1836, la mode est au roman-feuilleton, avec des lecteurs qui se sont passionnés pour "Les Mystères de Paris" d'un rival, Eugène Sue.
Dumas, en se lançant pour le quotidien Le Siècle, "investit cette formule avec son art du suspense, une tension dramatique, un goût pour l'Histoire qui touchent un très grand public", raconte à l'AFP Julie Anselmini, professeure de littérature française à l'université de Caen Normandie.
En plus de sa vie mouvementée, c'est un boulimique de travail, ajoute-t-elle. "Il le raconte dans ses mémoires: il lui arrive de se priver de sommeil pour venir à bout de la tâche".
« Homme excessif »
"Même si c'est un homme excessif, passionné, qui a des maîtresses, de fortes amitiés, et qui voyage, Alexandre Dumas est assez organisé", souligne son biographe Sylvain Ledda.
La forme du feuilleton, contrairement à ce qu'on croit souvent, ne l'incite pas à écrire au jour le jour. L'écrivain sait dès le départ où il va, aidé par un coauteur qui le nourrit de documentation, le très cultivé Auguste Maquet.
C'est ensuite, une fois établi le plan, que le roman est tronçonné pour les besoins de la parution quotidienne.
"Dumas a le sens du rythme, il sait où accélérer, où faire une pause dans son intrigue. Ses canevas tiennent la route. Et en plus c'est très drôle, avec le meilleur de l'esprit français: sa patte, c'est la fantaisie, la dérision", selon Sylvain Ledda.
L'humour fait mouche avec les personnages des Trois Mousquetaires, immédiatement rejoints par un quatrième, le jeune D'Artagnan. Avec Athos, qui a le plus d'épaisseur et des côtés sombres, Aramis, coquet et irrévérencieux, et Porthos, costaud et vaniteux, le quatuor s'attire les faveurs dès les premières pages.
"Le roman nous fait entrer dans l'intimité des grands. Les mousquetaires sont dans les bals, à la cour, au plus près d'Anne d'Autriche, en Angleterre... De la même façon qu'on regarde la série +The Crown+ aujourd'hui, à l'époque on lit +Les Trois Mousquetaires+ et on se cultive sur l'Histoire de France", commente Karl Akiki, chercheur en littérature libanais qui a consacré sa thèse aux "Trois Mousquetaires".
« Accoutumance »
Son génie de la narration fonctionne toujours, près de deux siècles plus tard.
"Dumas est le meilleur pour nous entraîner dans l'accoutumance", explique Karl Akiki. "On se dit: je ne vais pas éteindre, je vais lire le chapitre suivant. Mais le chapitre suivant nous donne d'autres réponses et fait naître d'autres mystères, ce qu'on appelle la narration à double hélice. Il n'y a pas tellement de portraits, de descriptions comme chez Balzac. Tout le monde finit par entrer dedans".
Le succès du roman incita Dumas à écrire deux suites, "Vingt ans après" dès 1845, et "Le Vicomte de Bragelonne", dont la parution en feuilleton s'étala sur trois ans (1847-1850).
L'auteur, jamais rassasié, et se ressourçant en dehors de Paris à Saint-Germain-en-Laye, publia aussi en 1844 un autre roman-feuilleton resté célèbre, "Le Comte de Monte-Cristo". Une adaptation est annoncée au cinéma en octobre 2024.
Ces énormes succès lui permirent de réaliser un rêve: rembourser ses dettes et se construire une maison, au Port-Marly. Répit éphémère. Dès 1848, il est ruiné à nouveau.
Garanti sans trucage
Un film de cape et d'épée en 2023 ? Les Mousquetaires n'abusent pas des séquences de combat, élégamment chorégraphiées, et se veulent comme une œuvre "romanesque et tirant du côté du thriller", dit à l'AFP son réalisateur Martin Bourboulon.
Comme dans le roman, on suit le jeune Gascon d'Artagnan tenter d'intégrer le corps des Mousquetaires du Roi. Par amour pour Mme Bonacieux, il se lancera à la rescousse de la Reine en récupérant des mains du Duc de Buckingham ses précieux ferrets, et déjouant au passage une conspiration de Richelieu. Le film brode quelques intrigues parallèles pour maintenir la dramaturgie.
Côté production, "Les Trois Mousquetaires" tirent parti d'une production garantie sans effet numérique, ni tournage en studio - de nombreuses scènes ont été filmées au Château de Fontainebleau (Seine-et-Marne), où est né le véritable Louis XIII.
"Nous avons été guidés par le principe de la chasse au vrai, dans les scènes d'action comme dans les costumes, afin de tout faire pour croire au maximum à l'histoire", indique le réalisateur, revendiquant aussi une lecture "au premier degré" de l'intrigue.
« Made in France »
Jérôme Seyoux, le patron du producteur Pathé, qui décrétait en octobre 2022 que "les gens ne veulent pas aller au cinéma pour se faire chier", aura les yeux rivés dès mercredi sur les chiffres de fréquentation.
A charge pour "les Trois Mousquetaires" de faire revenir en nombre au cinéma voir du grand spectacle "made in France", de préférence dans les salles premium au tarif plus salé, dans lesquelles Pathé imagine son avenir.
A côté du cinéma de super-héros américain notamment, hégémonique chez les plus jeunes, "la France a le droit de faire des grands films d'aventure populaires à spectacle", veut croire Martin Bourboulon.
La pression est d'autant plus élevée que jusqu'à présent la réussite n'est pas franchement au rendez-vous: le dernier film de ce réalisateur, "Eiffel", au budget conséquent, a été rapidement oublié après sa sortie en 2021 (1,5 million de spectateurs en salle).
L'autre grand projet Pathé de l'année, "Astérix et Obélix: L'Empire du Milieu" de Guillaume Canet n'a pas rempli toutes les attentes, avec 4,5 millions de spectateurs pour un budget de 64 millions d'euros. Trois fois moins que "Mission Cléopâtre" d'Alain Chabat vingt ans plus tôt.