Paris: Trois jours au Liban ont suffi au ministre des Affaires étrangères français Jean-Yves Le Drian pour constater de près ce qu’il savait déjà : l’incompétence de la classe politique qui dirige le pays. Le Drian a rencontré le président de la République Michel Aoun, le Premier ministre Hassan Diab et le chef du Parlement Nabih Berri, ainsi que son homologue Nassif Hitti, le Patriarche Rai et des opposants de la société civile. Il n’a pas mâché ses mots avec les trois présidents et s’est montré bien plus brutal en privé devant cette classe politique qu’il ne l’a été dans sa conférence de presse, apprend-on. Le chef de la diplomatie française a même employé une métaphore, s’adressant à ces responsables de la situation désastreuse du pays en leur disant qu’il ne comprenait pas comment ils pouvaient chanter pendant que le Titanic coule.
Aucun des responsables n’avait un bilan d’actions accomplies à présenter pour réformer le pays et amorcer une sortie de crise. Le gouvernement libanais s’est empressé de choisir un cabinet d’audit pour examiner comptes de la Banque centrale à l’occasion de l’arrivée du ministre au Liban. Ce qui a fait dire durement à Le Drian que s’il a suffi de sa venue pour que les autorités choisissent un cabinet d’audit, il devrait peut-être venir tous les 15 jours pour qu’ils se décident à agir, soulignant que choisir ne suffit pas, encore faut-il que l’audit se fasse. De plus, concernant la réforme de l’électricité, il s’est étonné sèchement de l’existence d’une loi, votée en 2002 et jamais appliquée, pour la désignation d’un haute-autorité de régulation. Le gouvernement libanais actuel est en train d’amender la partie de la loi concernant la haute autorité pour ramener tous les pouvoirs au ministre de l’Énergie et vider la loi supposée réformer l’électricité de son sens. Paris doute de la capacité des autorités libanaises à se réformer. Ceci va entrainer une confrontation du pouvoir libanais avec la communauté internationale et mettre le pays à genoux par manque d’essence et de fuel.
Le Drian a explicitement dit à ses interlocuteurs qu’il ne fallait rien attendre ni de la France, ni de ses partenaires, tant que les réformes ne seront pas entreprises. Le ministre français a ajouté que ce n’était pas la peine d’envoyer des émissaires à l’étranger, lui-même ayant fait le tour des pays susceptibles d’aider le Liban qui lui ont tous dit qu’ils ne donneraient rien tant qu’aucune réforme ne sera faite. Le Drian a mis le pouvoir libanais face à ses responsabilités de la manière la plus ferme possible. Au président Aoun qui lui disait son intention de lutter contre la corruption, il a répondu : « mais faites donc ! ». Les trois présidents ont reçu le même message : « Indépendance de la justice, nominations, soit mais agissez ». Le ministre Français est exaspéré d’entendre les trois présidents lui dire leur intention de faire des réformes et de savoir qu’ils ne font rien. Les trois présidents étaient sur la défensive devant un ministre français échaudé par leur passivité devant la gravité et la détérioration de la situation de leur pays. Le Drian leur a donc adressé un message franc, dur et même brutal.
Par ailleurs le député de Lorient, Gwendal Rouillard, qui accompagnait Le Drian au Liban, a résumé la position française exprimée par le ministre en écrivant « Sans réformes, nous n’accorderons aucune aide à un système fait d’incompétences, de corruption et de manipulations. Fin de partie. Comme au Monopoly. Face à cette incurie, nous comptons sur le peuple libanais pour mettre une pression maximale sur l’ensemble des dirigeants du pays et sur la majorité parlementaire, CPL (le parti du président Aoun et de son gendre Gebran Bassil), Hezbollah, Amal etc… »
Cerise sur le gâteau, au cours du déjeuner offert par le ministre des Affaires étrangères Nassif Hitti en l’honneur de Le Drian et de la délégation française au restaurant Oum Charif, le chef de cabinet de Hitti, M. Hachem, testé positif au Covid-19, s’est joint au groupe qui a appris par la suite que M. Hachem avait subi un second test et n’avait pas attendu le résultat pour courir se joindre à eux. Ce qui a obligé les membres de la délégation françaises à se faire tester à leur arrivée à Paris. Une imprudence de plus de la part d’un pouvoir qui a perdu toute crédibilité aux yeux de sa population et de la communauté internationale qui ne viendra pas au secours d’un pays qu’il conduit au bord de l’abîme.