DAKAR: Des quartiers de Dakar ont été jeudi le théâtre de scènes de guérilla entre jeunes Sénégalais et forces de l'ordre pendant la comparution de l'opposant Ousmane Sonko dans un procès dont pourrait dépendre sa candidature à la présidentielle de 2024.
Des groupes mobiles de jeunes ont lancé des pierres sur les gendarmes et les policiers dans les rues adjacentes au tribunal où M. Sonko était convoqué pour répondre de diffamation contre le ministre du Tourisme Mame Mbaye Niang.
Les forces de sécurité ont repoussé à plusieurs reprises les assaillants à coups de lacrymogènes dans des détonations assourdissantes, ont constaté des journalistes de l'AFP.
Au milieu de ce grabuge intermittent, une pharmacie est restée ouverte, contrairement à nombre de commerces alentour.
"Chacun fait ce qu'il veut mais devrait attendre les élections et se prononcer à ce moment-là. Les violences, ça ne mène à rien et ce n'est pas bon pour les affaires", dit Mamy Diouf, la gestionnaire d'une vingtaine d'années.
Des centaines de policiers et de gendarmes casqués en tenue anti-émeute ont été déployés et un impressionnant dispositif sécuritaire a transformé le tribunal en camp retranché. L'activité de la métropole tournait au ralenti. De nombreuses écoles sont restées fermées.
Des accrochages ont été rapportés dans d'autres quartiers.
Aucun bilan humain ou matériel de ces incidents n'a été rapporté.
Le trajet de M. Sonko jusqu'au tribunal sous forte escorte policière à travers une ville en état d'alerte a été émaillé de troubles. Les forces de sécurité ont fini par extraire M. Sonko de sa voiture pour le transférer de manière musclée dans un véhicule blindé et le conduire au palais de justice.
"J'ai été brutalisé. Le régime ne compte que sur les forces de sécurité", a-t-il dit une fois à la barre. Ceux qui l'accompagnaient accusent les forces de sécurité de les avoir aspergés de lacrymogènes pour les extirper de la voiture.
M. Sonko a expliqué avoir voulu choisir son itinéraire et craindre pour sa vie sur celui choisi par la police.
Il s'est fait ausculter par un médecin au tribunal, l'une des interruptions et multiples incidents de cette audience sous haute tension.
Le procès a finalement été renvoyé au 30 mars et a dégénéré en pugilat à la sortie de la salle entre membres de l'entourage des deux parties.
«Pour la jeunesse»
Ce nouvel accès de fièvre est le dernier épisode d'un psychodrame qui dure depuis deux ans.
En mars 2021, la mise en cause de M. Sonko dans une affaire de viols présumés et son arrestation sur le chemin du tribunal avaient contribué à déclencher les plus graves émeutes depuis des années dans ce pays réputé comme un rare îlot de stabilité dans une région troublée.
Il y avait eu au moins une douzaine de morts.
Les tensions vont à nouveau grandissant à l'approche de la présidentielle de 2024.
Le dossier de viols présumés, non jugé pour le moment, et celui pour diffamation, font peser la menace d'une éventuelle inéligibilité sur M. Sonko, 48 ans.
Lui et ses supporteurs crient au complot ourdi par le pouvoir pour l'éliminer politiquement.
M. Sonko avait appelé ses partisans à venir massivement le soutenir au procès.
Sa personnalité divise. Son discours souverainiste, panafricaniste et social, ses diatribes contre les élites, la corruption et l'emprise économique et politique exercée selon lui par l'ancienne puissance coloniale française lui valent une grande popularité parmi les jeunes dans une population dont plus de la moitié a moins de 20 ans.
Ses détracteurs dénoncent en lui un populiste n'hésitant pas à souffler sur les braises sociales et à instrumentaliser la rue pour échapper à la justice.
Le doute que le président Macky Sall entretient sur son intention de briguer ou non un troisième mandat contribue aussi à attiser les antagonismes.
Près du tribunal, Abdou Anne, un enseignant de 53 ans, verse des seaux d'eau sur un feu de pneus qui dégage une grosse fumée noire à un rond-point après des heurts. Il dit être avec les manifestants, mais intervient parce qu'il y a un centre de soins pour enfants juste à côté.
"Je ne suis pas pour Ousmane Sonko. Je suis pour la jeunesse. Tout ce qu'ils (les jeunes) veulent, c'est arrêter ce projet", celui d'un troisième mandat de M. Sall. "Personne n'est d'accord. On est prêt à laisser notre vie", lâche-t-il posément.