PARIS: Deux bras d'honneur du ministre de la Justice Eric Dupond-Moretti dans l'hémicycle et un texte du groupe majoritaire rejeté: l'Assemblée nationale a connu mardi une nouvelle séance tumultueuse à l'occasion de débats sur l'exemplarité des élus.
Les députés avaient à peine commencé leurs interventions en fin d'après-midi, sur la proposition de la présidente du groupe Renaissance Aurore Bergé, que les débats ont dérapé.
Le texte visait à imposer une peine d'inéligibilité à davantage d'auteurs de violences. Mais il est critiqué par les oppositions comme une réaction opportuniste à la condamnation du député insoumis Adrien Quatennens en décembre pour des violences sur sa compagne.
À la tribune, le président du groupe LR Olivier Marleix a invité la majorité à "s'offrir une séance d'introspection".
Le député d'Eure-et-Loir ne s'est pas privé d'énumérer des condamnations, mises en examen ou enquêtes concernant des membres du camp présidentiel, le député Damien Abad, le secrétaire général de l'Elysée Alexis Kohler et, pour terminer, le garde des Sceaux.
Eric Dupond-Moretti est soupçonné d'avoir profité de sa fonction, une fois à la tête du ministère de la Justice, pour régler des comptes avec des magistrats avec lesquels il avait eu maille à partir lorsqu'il était avocat, ce qu'il conteste. La Cour de justice de la République (CJR) a ordonné un procès pour le ministre mais ses avocats ont formé un pourvoi en cassation.
Piqué au vif, le ministre a fait deux bras d'honneur. Face au tollé suscité, il a reconnu et "regretté" ses gestes qui n'étaient selon lui "pas adressés au député Marleix" mais à l'atteinte "à la présomption d'innocence".
"Vous avez fréquenté beaucoup de voyous mais c'est plus qu'inapproprié", l'a corrigé M. Marleix.
C'est "indigne de votre fonction", lui a lancé la présidente du groupe LFI Mathilde Panot, critiquant les membres du camp macroniste "qui donnent des leçons de maintien".
Pressé lors de rappels au règlement à droite comme à gauche de faire amende honorable, le ministre a fini par présenter ses "excuses" à Olivier Marleix "ainsi qu'à toute la représentation nationale". M. Marleix a demandé dans une lettre à la présidente de l'Assemblée l'accès "aux images de ce moment captées par les caméras".
«Ce comportement n'a pas sa place dans l'hémicycle», dit Borne à Dupond-Moretti
Elisabeth Borne a fait savoir mercredi au ministre de la Justice Eric Dupond-Moretti, qui a provoqué un tollé la veille à l'Assemblée nationale en faisant deux bras d'honneur, que son "comportement n'avait pas sa place dans l'hémicycle", a appris l'AFP auprès de l'entourage de la Première ministre.
La cheffe du gouvernement a tenu ses propos lors d'un échange téléphonique avec le ministre, a-t-on ajouté de même source.
Des appels à la démission
La présidente du groupe RN Marine Le Pen a estimé sur Twitter que ces bras d'honneur "discréditent" M. Dupond-Moretti "dans les fonctions éminentes qui sont les siennes" et que "c'est à la Première ministre, maintenant, de prendre ses responsabilités".
"Pour la première fois sous la Ve République, un ministre adresse deux bras d'honneur à la représentation nationale. Dans n'importe quelle autre démocratie la Première ministre aurait exigé sa démission", a réagi le premier secrétaire du PS Olivier Faure, également sur Twitter.
Les débats ont finalement repris après les excuses du ministre, mais dans un climat restant houleux.
La proposition de loi avait été présentée le jour même du retour à l'Assemblée d'Adrien Quatennens qui reste suspendu du groupe des députés LFI jusqu'au 13 avril.
Le texte présenté par Aurore Bergé entendait élargir la peine complémentaire obligatoire d'inéligibilité à une série de violences aggravées: celles commises sur un mineur de moins de 15 ans, une personne vulnérable, le conjoint ou encore en cas de motivation raciste, lorsqu'elles ont entraîné une incapacité totale de travail inférieure ou égale à 8 jours - la loi couvre déjà les ITT de plus de 8 jours.
Il avait reçu le soutien d'Eric Dupond-Moretti.
Mais la plupart des oppositions ont voté contre, à l'instar du MoDem et d'Horizons, pourtant alliés de Renaissance, en regrettant une "loi de circonstance". Le texte a été rejeté par 140 voix contre 113.
Les députés LR, qui avaient initialement annoncé qu'ils ne s'opposeraient pas au texte, ont voté contre.
"Les personnes condamnées pour avoir frappé leur femme, leur enfant, pour violences racistes ou antisémites sont-ils dignes d'être des élus de la République ? L'Assemblée a donc répondu oui (...) Quel cynisme", a déploré sur Twitter Aurore Bergé.
Sacha Houlié, président de la commission des Lois (Renaissance), a pointé des "petites combines" et considéré que "l'Assemblée s'est protégée".
Accusée d'"instrumentalisation", Mme Bergé avait assuré être "sincère": "Je sais de quoi je parle quand je parle des violences conjugales".
Bras et doigts d'honneur: quand les politiques perdent leur sang froid
A l'image du geste du Garde des Sceaux Eric Dupond-Moretti mardi à l'Assemblée nationale, d'autres bras et doigts d'honneur ont émaillé la vie politique française ces dernières années.
Zemmour répond à une passante
Œil pour œil, doigt pour doigt... Le 27 novembre 2021, au cours d'une visite chahutée à Marseille, Eric Zemmour répond au doigt d'honneur d'une passante en levant à son tour son majeur et en lançant "et bien profond".
Son entourage "assume" dans un premier temps un "geste instinctif", mais le polémiste d'extrême droite reconnaît le lendemain un "geste inélégant". Il annoncera sa candidature à l'Elysée trois jours après.
Longuet et Collard contre la «repentance»
Le 30 octobre 2012, Gérard Longuet fait un bras d'honneur pendant le générique d'une émission de Public Sénat, alors que le son est coupé mais pas l'image. Le sénateur réagit alors à la question hors antenne d'une journaliste sur un ministre algérien qui exige "une reconnaissance franche des crimes perpétrés à leur encontre par le colonialisme français".
L'ex-ministre de la Défense assume un "geste de mauvaise humeur typiquement populaire" contre la "repentance". Il sera imité le surlendemain sur LCI par le député FN Gilbert Collard sur le même thème.
Emmanuelli s'emporte contre Fillon
Le 7 juin 2011 à l'Assemblée nationale, le député (PS) Henri Emmanuelli s'emporte lors d'une prise de parole de François Fillon en faisant furtivement un doigt d'honneur. Le geste est visible en direct sur France 3 et sur le site internet de l'Assemblée.
La raison de son courroux : des propos du Premier ministre assurant que l'Allemagne se porte mieux que la France car elle a fait plus tôt les réformes que son gouvernement est en train de mener, et ce sous le gouvernement social-démocrate de Gerhard Schröder.
L'ex-président de l'Assemblée nie son geste. "Si ça a été interprété comme ça, j'en suis désolé."
Mamère défend Greenpeace
Le 2 décembre 2009, une dizaine de militants de Greenpeace font irruption dans l'hémicycle de l'Assemblée nationale en plein débat. Le député écologiste Noël Mamère applaudit l'initiative, puis fait un bras d'honneur aux députés de la majorité qui l'insultent.
M. Mamère est sanctionné pour "geste insultant" et se voit priver pendant un mois du quart de son indemnité parlementaire.
"S'il faut refaire un bras d'honneur, je le referai volontiers et je paierai", réagit l'ancien journaliste, défendant "sa liberté d'expression".
Le «jeu» d'Eric Besson
Le 14 septembre 2009, le ministre de l'Immigration Eric Besson apparaît faisant un "doigt d'honneur" sur une vidéo diffusée sur internet. On y voit Eric Besson assis sur un banc, entouré de jeunes de son mouvement, qui, hilare, fait un "doigt d'honneur" en direction de l'équipe de Canal+ qui le filme.
M. Besson expliquera sur France Info s'être livré à "un jeu" d'un "goût douteux" avec "un journaliste qu('il) connaî(t) et apprécie. Il m'a chambré pendant toute la journée, et moi aussi".