PARIS : «J'ai visé sa tête... et je n'ai pas pu». Au procès de l'attentat déjoué du Thalys, le principal accusé Ayoub El Khazzani a livré mercredi sa version des faits, un scénario confus d'attaque qui ne visait selon lui que des soldats américains mais qu'il n'a pas été capable de mener à bout.
Ce 21 août 2015, après avoir pris un café à la gare de Bruxelles, le Marocain monte dans le train Amsterdam-Paris, muni d'une kalachnikov et de trois cents munitions. Il agit sur ordre d'Abdelhamid Abaaoud, arrivé avec lui en Europe depuis la Syrie pour piloter la cellule jihadiste qui coordonnera aussi les attentats de novembre 2015 à Paris et de mars 2016 à Bruxelles.
«Je me suis assis à ma place. J'ai commencé à chercher les gens dont il m'avait parlé, des soldats américains, des gens de la Commission européenne. Honnêtement, c'était pour les tuer», raconte l'accusé, 31 ans, en veste de sport blanche, les mains croisées devant lui.
«Je regardais les gens autour, j'ai vu des femmes, des hommes âgés... J'ai hésité. Puis j'ai repéré les Américains», poursuit-il.
- «Comment vous les avez reconnu ?», demande le président.
- «Abaaoud m'avait expliqué que c'était des jeunes, costauds, qu'ils parlaient anglais».
- «C'est tout ?»
- «Oui».
- «C'est quand même très léger», note, sceptique, le président, qui n'obtiendra pas non plus de réponses sur «la Commission européenne» qu'Ayoub El Khazzani avait aussi pour ordre de cibler.
«Je n'ai pas pu»
«J'ai pris la décision d'attaquer les soldats américains», continue l'accusé via une interprète. Il cherche sur internet un chant religieux. Abdelhamid Abaooud m'avait dit ça va te donner l'envie, la détermination», ajoute-t-il.
«Je suis parti aux toilettes, j'étais en pleine hésitation... Je me disais +je vais tuer des gens+, j'étais dans un état... comme si j'allais me jeter d'une falaise», continue Ayoub El Khazzani, qui décrit son «cœur qui bat dans la gorge». «J'ai ouvert la valise, mis mon sac à dos (rempli de munitions) devant moi, mon pistolet à la ceinture et ma kalachnikov dans la main. Je tremblais».
Quand il sort des toilettes, il se retrouve nez à nez avec Mark Moogalian, professeur d'anglais à la Sorbonne. «Il m'a souri. Quand j'ai vu son sourire, ça m'a rappelé que ce sont des gens, des humains que je vais tuer».
Il lui fait «un signe de la tête pour qu'il parte». Mais le passager attrape la kalachnikov alors Ayoub El Khazzani sort son pistolet et lui tire dans le dos. «Je visais la main», soutient-il, «c'était un réflexe».
Au premier rang dans la salle d'audience, M. Moogalian, gravement blessé lors de l'attaque, écoute la tête baissée, la main dans celle de sa femme.
Ayoub El Khazzani dit ensuite repérer Spencer Stone, le soldat de l'armée de l'air américaine en vacances avec des amis. «J'ai visé sa tête... Je n'ai pas pu. Je ne peux pas vous expliquer, c'était trop (...) je l'ai laissé m'attraper».
Plusieurs témoins ont assuré l'avoir vu armer son fusil d'assaut et entendu des déclics métalliques.
L'accusation affirme qu'Ayoub El Khazzani a été empêché de commettre un massacre dans le train à cause de munitions défectueuses et de l'intervention des passagers qui l'ont maîtrisé.
«Marionnette»
Sur les détails de l'opération, le pourquoi des 300 munitions s'il ne visait que quelques passagers, El Khazzani exaspère. «Je ne sais pas», «je n'ai pas demandé», «c'est un trou noir», «c'est Abaaoud qui m'a dit de»... répond-il mollement. «C'était plutôt Abaaoud qui s'occupait de la logistique?», demande son avocate Sarah Mauger-Poliak. «Oui». «Il n'aimait pas trop qu'on lui pose des questions ?». «Non, il me disait le minimum».
«Vous êtes une marionnette en fait», résume le président.
L'avocat général prend la parole : «En garde à vue, on vous demande +avez-vous des informations sur la préparation d'un attentat en France?+, vous répondez +Je ne sais pas+».
«Je ne savais pas», dit El Khazzani depuis le box.
«Si, vous saviez ce qu'ignoraient tous les services d'enquête le 25 août», rétorque l'avocat général en haussant le ton. «Qu'Abdelhamid Abaaoud n'était plus en Syrie mais dans une planque à Bruxelles, avec des complices et des armes. Si vous aviez parlé, il n'y aurait pas eu 130 morts à Paris», trois mois plus tard, en novembre.
El Khazzani : «Je sais, je le regrette».