PARIS : "Je pensais qu'il allait me mettre une balle dans la tête". Au procès de l'attentat déjoué du Thalys en août 2015, les passagers ont raconté jeudi une attaque qui aurait pu tourner au "carnage" sans leur intervention.
Ce 21 août 2015 en fin d'après-midi, Mark Moogalian, professeur d'anglais à la Sorbonne de 51 ans, revient d'un séjour à Amsterdam avec sa femme et leur petit chien. "J'ai aperçu quelqu'un entrer aux toilettes avec sa valise. J'ai trouvé ça un peu étrange parce que les toilettes sont tellement petites", raconte-t-il à la barre dans son accent américain.
Il va voir. Dans le sas, Damien A., 28 ans, qui rejoint sa compagne à Paris pour le week-end, patiente devant les toilettes.
La porte s'ouvre très lentement. En sort un homme "1,85 m, athlétique", un regard à la fois "déterminé et hagard", dira Damien A. Le président lit ses dépositions à l'audience ; encore très marqué, il n'a pas voulu venir.
Ayoub El Khazzani, 25 ans à l'époque, est torse nu, kalachnikov à la main, un sac à dos rempli de près de 300 munitions ouvert sur le ventre.
"On est en août 2015, vous pensez à un attentat ?", demande le président. "Non", répond M. Moogalian, costume noir et chemise blanche. "Peut-être à un déguisement". Damien A. imagine lui "une caméra cachée", avant de comprendre : "Je me suis jeté dessus, en lui serrant le cou avec mes deux mains autant que je pouvais".
Contrôleur depuis 30 ans à la SNCF, Michel B., cheveux grisonnants, croit à une bagarre entre passagers. "Je me suis mis au milieu pour les séparer et j'ai vu que l'un d'eux tenait une arme", raconte-t-il. El Khazzani en profite pour se dégager. "Il s'est retourné et il m'a mis en joue. Je crois que son arme ne marchait plus parce qu'il n'a pas tiré", dit Damien A.
M. Moogalian crie à sa femme de s'enfuir. "Je suis partie mais pas loin, je me suis dit +Je veux mourir avec mon mari", raconte-t-elle en pleurs à la barre. Elle croise le regard plein de "terreur" d'une autre passagère, se demande pourquoi elle se cache puisqu'"on va tous mourir de toutes façons".
La suite pour Mark Moogalian, "est un peu flou", s'excuse-t-il. Mais "j'ai fini par m'emparer de l'arme. Je dis +I've got the gun+, j'ai l'arme. J'ai fait trois pas et on m'a tiré dans le dos".
"Et puis, rien"
El Khazzani a sorti son pistolet. Mark Moogalian rampe sous un siège. "Je me dis, j'ai raté mon coup, ça va être une catastrophe". Al Khazzani marche vers lui pour récupérer sa kalachnikov. "Je pensais qu'il allait me mettre une balle dans la tête. J'attendais. Et puis, rien". Dans le box, El Khazzani regarde dans le vague.
"Pourquoi il ne vous a pas achevé ?", demande Sarah Mauger-Poliak, l'avocate d'El Khazzani. "Parce que l'arme ne fonctionnait pas", répond Moogaliann, qui décrit les "déclics métalliques" entendus.
Il voit ensuite "un corps voler dans les airs": "C'était Spencer Stone".
Soldat de l'armée de l'air américaine de 23 ans, Spencer Stone se jette sur El Khazzani, réussit à le désarmer et à le maîtriser, avec l'aide d'amis qui voyageaient avec lui et d'autres passagers.
La balle qui a touché Mark Moogalian est ressortie par le cou. "La moquette du Thalys était devenue noire de sang et je ne savais pas quoi faire", dit sa femme entre deux sanglots. Spencer Stone lui prodigue les premiers soins avant l'arrivée des secours. "Il m'a sauvé la vie", dit le professeur d'anglais.
Spencer Stone devait être entendu par la cour dans l'après-midi mais a dû être hospitalisé après un malaise, à son arrivée à l'aéroport de Roissy mercredi. Ses deux amis américains témoigneront plus tard dans la journée et vendredi.
"Vous pensez qu'El Khazzani était là pourquoi?", interroge l'avocat de M. Moogalian, Thibault de Montbrial. "Je pense qu'il était là pour tuer tout le monde."
"Si mon client peut s'adresser au témoin, il attend ce moment depuis longtemps" demande à la cour l'avocate d'El Khazzani. C'est Mark Moogalian qui répond: "Je n'accepte pas".