PARIS : Il s'était présenté comme un SDF qui voulait braquer un train après avoir trouvé un sac d'armes et de munitions abandonné dans un parc. Au procès de l'attaque déjouée du Thalys, la cour d'assises spéciale de Paris est revenue mardi sur la version «fantaisiste» servie par Ayoub El Khazzani en garde à vue.
21 août 2015, 18H00 environ. Ayoub El Khazzani est interpellé en gare d'Arras, où s'est arrêté en urgence le train Amsterdam-Paris dans lequel il est monté armé d'une kalachnikov, d'un pistolet, d'un cutter et de 300 balles, avant d'être maîtrisé par les passagers. Il est placé en garde en vue.
«J'ai en face de moi un jeune homme de 25 ans, athlétique, 1m85. Propre sur lui, barbe bien rasée, attitude calme, posée. Il est très détendu», dit à la cour d'assises spéciale, par visioconférence, un des enquêteurs de l'antiterrorisme qui l'a interrogé pendant quatre-vingt-douze heures.
Le suspect commence par dire la vérité. Il est né au Maroc, est arrivé en Espagne grâce au regroupement familial à ses 18 ans. Début 2014, il se retrouve en Belgique, à la recherche d'un travail.
Les enquêteurs trouvent la suite de son récit moins crédible. Ayoub El Khazzani leur dit qu'il est SDF, qu'il erre en Europe où il vit de petits larcins.
«Il avait les mains sales, les ongles longs?», demande l'avocat général. «Absolument pas, il n'avait pas les stigmates de quelqu'un qui vit dans la rue», répond l'enquêteur.
«Déclarations fantaisistes»
Aux policiers, le Marocain décrit une «vie très routinière», jusqu'au 19 août. «Cette nuit-là dans un parc à Bruxelles, il découvre une valise», remplie d'armes et de centaines de munitions, leur dit-il.
Et deux jours plus tard, il affirme monter dans un train «choisi au hasard» pour y faire un braquage. «Si lourdement armé?», s'étonnent les enquêteurs qui s'interrogent aussi sur la façon dont il comptait sortir du train.
«Il voulait sauter par la fenêtre», raconte l'enquêteur à la barre. Un pari risqué dans un train lancé à grande vitesse, lui font-ils remarquer. «Maintenant que vous le dites...», avait répondu Ayoub El Khazzani.
«On est d'accord que ce sont des déclarations fantaisistes, qu'il vous a raconté n'importe quoi», balaie son avocate Sarah Mauger-Poliak.
Les policiers découvrent ensuite qu'il s'est rendu en Turquie, qu'il a publié des messages djihadistes sur l'Etat français «terroriste» sur les réseaux sociaux. Sur son téléphone, ils identifient aussi un chant religieux repris par les organisations djihadistes pour galvaniser leurs combattants.
Le président le fait jouer dans la salle d'audience, où il résonne pendant 2 minutes 40. L'accusé garde les yeux au sol.
Questions oubliées Confronté à ses incohérences, Ayoub El Khazzani a refusé de répondre aux questions des policiers à la fin de sa garde à vue. Il se murera ensuite dans le silence pendant un an et demi, avant de reconnaître s'être rendu à Bruxelles pour commettre un attentat dans le Thalys dirigé, assure-t-il aujourd'hui, contre les seuls soldats américains qui l'ont maîtrisé.
L'accusé a voyagé de Syrie en Europe par la route des migrants, en compagnie d'Abdelhamid Abaaoud, le coordinateur de la cellule jihadiste à l'origine de l'attaque du Thalys, puis des attentats de Paris (130 morts) et de Bruxelles (32 morts). Ce dernier a été tué en banlieue parisienne par la police dans la foulée des attaques du 13-Novembre.
Mais en août 2015, Ayoub El Khazzani n'a rien dit de tout ça.
«Pendant ses dernières auditions de garde à vue, il oppose son droit au silence à 290 questions», rappelle l'avocat général. «A quatre reprises, il va choisir de répondre. Vous vous rappelez de ces questions?». L'enquêteur n'en a pas souvenir, alors l'avocat général les lit.
«Avez-vous des informations à nous fournir concernant un attentat sur le territoire national?» «Non, je ne connais pas», répond alors Ayoub El Khazzani. «Concernant un attentat à l'étranger? Je n'ai pas d'informations». « J'aimerais bien vous aider mais je ne connais rien de tout ça».
«A 290 reprises il ne répond pas et là, il choisit de le faire. A votre avis pourquoi?», demande l'avocat général.
«Il joue la montre, clairement, il gagne du temps», poursuit le magistrat. «Malheureusement, on sait ce qu'il s'est passé ensuite».