PARIS : La Cour de cassation, plus haute juridiction de l'ordre judiciaire français, se penche mardi sur l'épineuse question de l'extradition de dix ex-militants d'extrême gauche italiens installés en France depuis plusieurs décennies et réclamés par Rome pour des faits de "terrorisme" lors des "années de plomb".
Près de deux ans après l'arrestation de ces dix anciens militants, la Cour doit examiner les pourvois formés par le parquet général de Paris contre le refus de la cour d'appel de les extrader vers l'Italie.
Ces deux femmes et ces huit hommes, âgés de 62 à 79 ans, ont déjà été condamnés par la justice italienne pour leur implication dans des faits à caractère terroriste commis dans leur pays durant les "années de plomb", de la fin des années 60 au début des années 1980.
Tous ont refait leur vie en France depuis trente ou quarante ans et se croyaient protégés par la doctrine Mitterrand: le président socialiste de France entre 1981 et 1995 avait pris l'engagement de ne pas extrader les anciens activistes ayant rompu avec leur passé.
Mais au printemps 2021, après des mois de tractations, le président français Emmanuel Macron avait décidé de favoriser la mise à exécution des demandes d'extradition de ces six ex-Brigades rouges et quatre ex-membres de groupes armés, renouvelées un an auparavant par Rome.
En avril 2021, sept d'entre eux ont été arrêtés et deux autres se sont rendus à la justice dans la foulée. Un dixième a été arrêté en juillet de la même année. Ils ont tous été placés sous contrôle judiciaire dans l'attente d'une décision de la justice française sur leur sort.
En juin 2022, un avis défavorable a finalement été prononcé à leur remise aux autorités italiennes, s'appuyant sur le respect du droit à la vie privée et familiale de ces personnes établies en France ainsi que sur le droit à un procès équitable, prévus par les articles 8 et 6 de la Convention européenne des droits de l'Homme.
Après cette décision, Emmanuel Macron, qui avait qualifié l'arrestation des anciens activistes de "moment historique", a néanmoins réaffirmé son souhait qu'ils soient "jugés sur le sol italien", arguant qu'ils avaient été "impliqués dans des crimes de sang".
«Acharnement»
Quelques jours plus tard, le procureur général de Paris saisissait la Cour de cassation contre cette décision, suscitant la colère des avocats des anciens militants qui ont dénoncé un "acharnement" et un "dévoiement de l'Etat de droit".
Interrogée par l'AFP, Me Irène Terrel, qui défend sept de ces ex-militants, dont la médiatique Marina Petrella, a toutefois dit être "très sereine" à l'approche de cette audience, soulignant que la cour d'appel avait "fait du droit".
"Il faut prendre en compte la spécificité des infractions commises", observe de son côté Me William Julié, avocat de l'Etat italien, soulignant par ailleurs que si le temps avait passé - un des motifs de la cour d'appel pour refuser les extraditions -, c'était "non pas du fait de l'inaction des autorités italiennes mais de l'absence de coopération des autorités françaises".
La plupart des anciens militants réclamés aujourd'hui par les autorités italiennes ont déjà fait l'objet d'une procédure d'extradition dans les années 1980 ou 1990.
Si la justice avait alors émis un avis favorable pour certains, les autorités françaises n'avaient jamais signé le décret de remise à l'Italie. La présence dans l'Hexagone de ces anciens militants empoisonne les relations entre les deux pays depuis les années 1980.
Epoque de violentes luttes sociales, les "années de plomb" en Italie ont été marquées par une surenchère entre ultradroite et ultragauche et se sont soldées par plus de 360 morts attribués aux deux bords, des milliers de blessés, 10 000 arrestations et 5 000 condamnations.