Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi) a désigné ce week-end son nouveau chef, une figure du djihad algérien connue pour ses interventions publiques, mais dont les objectifs à la tête de la franchise sahélienne du groupe demeurent obscurs.
Plusieurs mois après la mort de son chef historique, Abdelmalek Droukdal, tué en juin par les forces armées françaises dans le nord du Mali, Aqmi a annoncé la nomination d'Abou Oubaïda Youssef al-Annabi, à la tête de son «conseil des notables» qui tient lieu de comité directeur du groupe.
L'annonce n'a guère surpris, tant Annabi occupait un rang de choix dans l'organisation.
Outre sa place dans l'organigramme, «c'était aussi l'un de ses responsables médias», relève pour l'AFP Laurence Bindner, co-fondatrice de JOS Project, une plateforme d'analyse de la propagande extrémiste en ligne. «C'est lui qui avait prêté allégeance au chef d'Al-Qaïda centrale Ayman Al-Zawahiri en 2011 au nom du groupe. Et il a fait un nombre important de communiqués, ces dernières années».
Cet ancien membre du GSPC algérien (Groupement salafiste pour la prédication et le combat), né en 1969 dans le nord-ouest du pays, est inscrit sur la liste noire américaine depuis 2015, sur celle des Nations Unies depuis 2016.
Mais sa légitimité en interne n'est pas acquise, face à une jeune génération pas forcément en phase avec la mouvance algérienne d'Aqmi.
«Il est plus connu comme un propagandiste et un pseudo-religieux qu'une figure opérationnelle», écrit Alex Thurston, professeur de sciences politiques à l'université de Cincinnati (Etats-Unis). Sa prise de pouvoir, écrit-il, traduit aussi une organisation «qui se bat pour trouver une pertinence et manque d'autorité charismatique».
Depuis des années, l'ambition d'Annabi a fait l'objet de multiples conjectures. Selon le think-tank américain Counter Extremism Project (CEP), on lui prêtait des relations tendues avec son prédécesseur.
Des sources proches d'Aqmi affirment qu'il avait témoigné de sa volonté de «prendre le pouvoir sur Droukdal dans une vidéo de recrutement en 2010, dans laquelle il appelait, au nom d'Aqmi, la jeunesse musulmanne du Sahara à rejoindre le djihad», fait valoir le CEP.
Tensions entre terrain et sommet
Mais les informations sont rares sur cette rivalité. Et ce que deviendra Aqmi dans un avenir proche reste affaire de suppositions.
A commencer par la nature des relations entre l'émir et le touareg malien, Iyad Ag Ghaly. Ce dernier, chef du Groupe de soutien à l'islam et aux musulmans (GSIM), affilié à Aqmi, jouit en effet d'une grande autonomie d'action et d'une connaissance inégalée des dynamiques locales.
«Il y a toujours eu des tensions entre les hommes du terrain au nord Mali et un émir d'Aqmi qui est très isolé en Algérie», constate à cet égard pour l'AFP, Elie Tenenbaum, chercheur à l'Institut français des relations internationales (Ifri).
«Est-ce qu'il va changer les noms des chefs de katibas (unités de combattants, ndlr) dans le Sud ? Est-ce qu'il va être tenté de placer des proches ? Est-ce qu'il va changer la donne politique sur le lien avec les alliés locaux d'Aqmi ?», s'interroge-t-il.
Annabi devra aussi se positionner sur les négociations que les autorités maliennes appellent de leurs voeux, mais que Paris, qui déploie plus de 5.000 hommes au Sahel pour la lutte antidjihadiste, dénonce avec force.
En 2019, il avait accordé une interview au journaliste de France 24, Wassim Nasr, expert reconnu du djihadisme. Annabi évoquait notamment des négociations pour la libération de l'otage française, Sophie Pétronin, demandant indirectement la libération de prisonniers, «des vieux, des blessés et des mineurs», détenus au Sahel.
Mme Pétronin a été libérée en octobre en même temps que deux Italiens et un homme politique malien, en échange d'environ 200 détenus, y compris des djihadistes. Paris a affirmé ne pas avoir été associée à l'opération.
Enfin, Annabi devrait poursuivre les affrontements armés avec l'Etat islamique au grand Sahara (EIGS), en écho à la rivalité planétaire entre la centrale d'Al-Qaïda et celle du groupe Etat islamique.
Du point de vue malien, le GSIM «apparaît aujourd'hui comme le groupe avec lequel on peut parler, à l'inverse de l'EIGS», relève Elie Tenenbaum. La lutte fratricide «ne devrait pas être remise en cause. Le temps de la réconciliation est passé et ne semble plus à l'ordre du jour».