DUBAÏ: «Votre devoir en tant qu'artiste est d'être la voix des gens qui n'ont pas de voix», a révèle l'acteur franco-tunisien Adam Bessa. «La réalité du monde est assez simple. Vous avez de l'argent, vous existez. Vous n'avez pas d'argent, vous n'existez pas.»
Bessa parle de «Harka», le percutant premier film narratif du réalisateur Lotfy Nathan. Ce film a eu un impact émotionnel et physique sur Bessa, qui a vécu avec des trafiquants d'essence à la frontière avec la Libye et s'est isolé du monde extérieur pour se préparer à son rôle de vendeur de rue tunisien pauvre.
«Il faut essayer de montrer la beauté, l'importance, la lutte», ajoute-t-il. «Le film peut-être une comédie, montrant à quel point les gens sont drôles. Il peut aussi être un drame, montrant la réalité de la vie des gens. C'est juste votre devoir d'être la voix de ceux qui n'en ont pas.»
La performance extraordinaire de Bessa dans «Harka», présenté en première au Moyen-Orient et en Afrique du Nord au Festival international du film de la mer Rouge, a été largement saluée. En mai, il a remporté le prix de la meilleure interprétation au festival dans la section «Un certain regard de Cannes» (partagé avec Vicky Krieps pour le film «Corsage») et, le mois dernier, il a reçu le prix du meilleur acteur du festival international du film de la Mer Rouge à Djeddah.
Travaillant en étroite collaboration avec Nathan, qui a remporté le prix du meilleur réalisateur du festival de la mer Rouge, Bessa a passé la plupart des quatre mois à préparer le rôle d'Ali, un jeune homme qui vend de l'essence au marché noir dans les rues de Sidi Bouzid.
Après la mort de son père, Ali se retrouve non seulement chargé des dettes de son père, mais aussi du bien-être de ses deux sœurs. Risquant sa vie pour acheter de l'essence à la frontière libyenne afin de joindre les deux bouts, il est néanmoins contraint de remettre la majeure partie de ses gains à la police sous forme d'extorsion.
«Nous savions que nous devions prendre le temps de nous préparer, alors nous avons parlé du scénario et du personnage, puis je suis allé en Tunisie pendant peut-être trois semaines», explique Bessa, qui est née à Paris de parents tunisiens. «Je me suis isolé et j'ai commencé à me mettre dans la peau du personnage du film. Puis j'ai passé deux semaines sur place avec les contrebandiers. J'ai passé du temps avec eux, je suis allé en Libye, j'ai vraiment vécu avec eux et ensuite, pendant le tournage, je n'ai jamais cessé d'être Ali, car pour moi, il était très difficile de me déconnecter. Il est si spécial et si complexe et il vibre sur quelque chose de très spécial, donc, pour moi, c'était la façon dont il fallait faire.»
Inspiré de l'histoire vraie de Mohamed Bouazizi, dont l'auto-immolation a déclenché la révolution de jasmin en Tunisie et le printemps arabe, le film n'apporte aucune réponse et certainement pas de remède. L'existence d'Ali est dure et bouleversante, bien que pendant une grande partie du film, la performance de Bessa soit remarquablement contenue. Il est souvent silencieux, ou parle avec un minimum de mots. Lorsque nous rencontrons Ali pour la première fois, il siphonne de l'essence d'un bidon à l'autre et mène une existence solitaire sur un chantier de construction abandonné.
Seul le visage de Bessa laisse deviner le désespoir intérieur du personnage. Lorsqu'il atteint le point de rupture, bien plus tard dans le film, c'est une scène puissante et inconfortable à regarder. La colère de Bessa, jusque-là contenue, explose avec une férocité inquiétante.
«Mentalement, c'était difficile», admet l’acteur autodidacte Bessa. «Vous vous mettez en avant et là où la curiosité vous mène, vous y allez. Et des personnages comme Ali, vivent avec vous pour toujours. Parce que c'est bouleversant. Peut-être que c'est bouleversant parce que c'est comme ça que le monde fonctionne. Chaque jour, les choses qui arrivent à Ali arrivent quelque part et c'est un fardeau pour chacun d'entre nous de l'admettre. Parce qu'autant que nous vivons nos vies, nous sommes tous connectés. Alors c'est difficile à accepter, ça fait mal au cœur et c'est parfois déprimant. Mais c'est la vérité.»
Acteur autodidacte, Bessa a été le seul représentant du film au Festival international du film de la mer Rouge, réalisant des interviews avec patience et humilité et assistant aux deux projections du film. Il a également été classé parmi les étoiles arabes de demain par Screen Daily, aux côtés de l'écrivaine et réalisatrice marocaine Sofia Alaoui et de la Libanaise Dania Bdeir.
Le succès de Bessa est d'autant plus remarquable si l'on considère son parcours. Il a commencé à jouer dans «Les Bienheureux» de la réalisatrice algérienne Sofia Djama alors qu'il travaillait comme pêcheur dans le sud de la France.
«Ce n'est pas si facile, vous savez», souligne-il. «Je voulais être footballeur, ça n'a pas été le cas. J'ai étudié le droit, ça ne m'a pas plu. Puis j'ai commencé à travailler. J'étais passionné par le cinéma et j'ai essayé de me lancer dans le métier, mais c'était très compliqué, alors j'ai arrêté d'essayer et je suis allé travailler comme agent immobilier. Vous gagnez votre vie et, tout à coup, vous avez une opportunité. Pour moi, cette opportunité était le film de Sofia Djama.»
Un ami de Bessa lui a dit qu'il y avait un appel à casting pour «Les Bienheureux», alors il a envoyé une cassette et a fini par rencontrer la réalisatrice à Paris. Il ne s'est jamais retourné depuis.
«Pour la plupart des gens, il y a un certain chemin. Mais tant d'histoires ne suivent pas un chemin déterminé. Si vous êtes passionné par quelque chose et que vous n'écoutez pas vraiment ce que tout le monde vous dit de faire et que vous suivez simplement ce que vous voulez faire, votre route devient bizarre et étroite et les gens se disent: ‘Oh, quel parcours’. Mais je crois que tout le monde aurait un drôle de parcours en suivant simplement son cœur. Si vous suivez ce que vous aimez et ce qui vous inspire, votre route devient exceptionnelle», a indiqué Bessa.
Il a ensuite joué dans le film «Mosul», réalisé par Matthew Michael Carnahan, qui suit une unité de police irakienne pendant la bataille pour libérer la ville de Daech et reprendra bientôt son rôle de Yaz Kahn dans le film «Extraction 2» de Netflix aux côtés de Chris Hemsworth. Il jouera également dans le film «Motherhood» de la réalisatrice tuniso-canadiennne Meryam Joobeur, dont la sortie est prévue cette année.
«L'idée claire reste toujours de suivre mon instinct», dévoile Bessa à propos des réalisateurs avec lesquels il travaille. «C'est comme ça que j'ai traversé la vie, que j'ai grandi et que je suis là où je suis maintenant. Je suis mon instinct. Bonne histoire, bon réalisateur, peu importe le nom. Je ne me fie pas aux noms, je ne me fie pas à l’hyper médiatisation, je me fie aux sentiments. Si les gens m'inspirent, je travaille avec eux. Si je sens qu'on peut aboutir à un résultat formidable ensemble, je le fais. Si je ne le sens pas, je ne le fais pas. Même si vous échouez, mais qu’il s’agit de votre propre choix, vous n'avez pas l'impression d'échouer, vous avez l'impression de vivre votre vie. Quand vous écoutez les autres et que vous échouez, vous avez des regrets et je déteste les regrets.»
Quelle est la suite? Encore plus de films, certes. Mais peut-être la réalisation un jour?
«Absolument, pourquoi pas?», répond-il. «Pas maintenant, mais peut-être dans l'avenir. C'est une question d'histoires. Il ne s'agit pas de faire des choses parce qu'il faut cocher des cases. Peut-être que je vais créer une marque, peut-être que je vais faire autre chose. Peut-être que j'éditerai des livres. Je ne sais pas ce que je ferai. C'est ce qui m'inspire. C'est comme ça que je travaille. J'entends des histoires, j'entends des gens, donc si j'ai une idée ou si je rencontre quelqu'un qui me propose une histoire que j'aime et qui me convient, je le ferai. Il s’agit d’une question de personnes et du bon moment — faire ce qui convient.»
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com