PARIS: Trains à l'arrêt, écoles fermées, syndicats dans les rues. La France entame une journée de grève massive jeudi contre une réforme des retraites sur laquelle le président Emmanuel Macron joue son crédit politique, son gouvernement appelant à éviter un "blocage" du pays.
Le projet et sa mesure phare, le report de l'âge de départ à 64 ans, contre 62 aujourd'hui, se heurte à un front syndical uni et une large hostilité dans l'opinion d'après les sondages.
"Ce sera un jeudi de galère (...), de fortes perturbations dans les transports", a averti le ministre délégué aux Transports, Clément Beaune, en appelant à différer les déplacements ou à télétravailler.
La compagnie nationale SNCF prévoit une circulation "très fortement perturbée" avec un train grande vitesse (TGV) sur trois, voire un sur cinq selon les lignes, et à peine un train régional sur dix en moyenne.
Les matinales du service public perturbées par la grève
Les matinales du service public, radio et télé, sont en majorité perturbées jeudi par "un appel à la grève de l'ensemble des organisations syndicales" contre la réforme des retraites, selon les messages diffusés.
En radio, sur franceinfo, au lieu de l'information en continu, les bulletins, raccourcis, sont espacés d'une demi-heure par une plage musicale. La même façon de procéder a été adoptée sur France Inter, avec une playlist musicale mêlant tous les styles (la pop surannée de Sixto Rodriguez juste avant le rappeur Lomepal).
A intervalle régulier, les auditeurs ont pu entendre le message: "En raison d'un appel à la grève de l'ensemble des organisations syndicales représentatives de Radio France déposé dans le cadre de la journée nationale de mobilisation contre la réforme des retraites, nous ne sommes pas en mesure de diffuser l'intégralité de nos programmes habituels".
En télévision, sur France 2, Télématin, a rediffusé des anciennes interviews, qu'il s'agisse de thèmes sociétaux (dérives des réseaux sociaux) ou de séquences culturelles, comme la chanteuse Zazie venue présenter le 14 décembre 2022 son dernier album "Aile-P".
Sur franceinfo télé, le journal matinal en plateau de Samuel Etienne s'est déroulé avec chroniqueurs (économie, sports, etc) et invités pour commenter, essentiellement, les mouvements sociaux en France. Mais là aussi, un bandeau prévient les téléspectateurs d'un fonctionnement perturbé (moins de reportages diffusés).
A Paris, le trafic était dès le matin très réduit dans le métro, selon la régie des transports RATP, avec une ligne de métro totalement fermée et douze autres ne fonctionnant, parfois partiellement, qu'en heures de pointe.
Et les baisses de production organisées par des agents de l'entreprise publique d'électricité EDF se sont fortement intensifiées dès jeudi matin, atteignant au moins l'équivalent de deux fois la consommation de Paris.
"C'est le début de la lutte jusqu'au retrait!!", écrit la fédération CGT Mines Energie dans un tract sur les réseaux sociaux, annonçant "plus de 7.000 mégawatts de baisse de production sans aucun impact sur les usagers".
La réforme des retraites "canalise tous les mécontentements", selon Martinez
La réforme des retraites "canalise tous les mécontentements" en France, a estimé le secrétaire général de la CGT Philippe Martinez jeudi, jour de mobilisation massive contre ce projet phare du gouvernement, face auquel l'unité syndicale est la preuve que "le problème est très grave".
"Cette question des retraites canalise tous les mécontentements", a déclaré le N.1 de la CGT interrogé sur Public Sénat, quelques heures avant le coup d'envoi des manifestations dans plus de 200 villes pour dire non au recul de l'âge légal de départ à la retraite de 62 à 64 ans.
Ces manifestations sont "le reflet médiatique de ce mécontentement", mais les personnes qui feront grève sans battre le pavé feront aussi partie des indicateurs d'une mobilisation "forte", selon lui.
"Aujourd'hui, ça va être une très grosse journée de mobilisation, de surcroît quand tous les syndicats sont d'accord", a ajouté le leader syndical. "C'est un vrai marqueur. Quand les syndicats sont d'accord, c'est rare, c'est que le problème est très grave. On est d'accord pour dire que la réforme est injuste", a-t-il poursuivi.
Son homologue de la CFDT, Laurent Berger sur BFMTV s'est dit "pas très inquiet" sur le niveau de mobilisation.
"Beaucoup de gens nous disent on va venir manifester, des gens qui disent on ne vient pas d’habitude mais là on en a assez", a poursuivi le N.1 de la CFDT.
"C’est la première journée de mobilisation, il faut faire une démonstration de force, au sens pacifique du terme", a-t-il complété.
"On est partis pour un conflit dur. Il faut enlever le totem de l’âge de départ et de l’allongement de la durée de cotisation", a pronostiqué de son côté sur Sud Radio le secrétaire général de FO, Frédéric Souillot.
Alors que certaines stations-services sont déjà à sec, M. Beaune a appelé les automobilistes redoutant des pénuries provoquées par d'éventuels arrêts de travail dans les raffineries à ne "pas prendre de mesures de précaution".
L'aviation civile a de son côté demandé aux compagnies aériennes d'annuler jeudi un vol sur cinq à l'aéroport de Paris-Orly, en raison d'une grève de contrôleurs aériens.
Dans l'Education, 70% des enseignants du primaire ne feront pas cours et de nombreuses écoles seront fermées, d'après leur principal syndicat et des grèves sont aussi prévues dans le secteur électrique.
De nombreux Français qui en ont la possibilité et qui ne font pas grève devraient recourir au télétravail. "Demain je vais faire du télétravail, je vais rester à la maison et attendre que ça passe", a confié Aurélie Lenoir, 36 ans, dirigeante d'une start-up.
Entre 70 et 100% de grévistes dans la plupart des raffineries TotalEnergies
Le mouvement de grève contre la réforme des retraites était suivi par 70 à 100% de grévistes dans la plupart des raffineries du groupe TotalEnergies, a indiqué jeudi la CGT du groupe.
"Partout, les expéditions ont été suspendues", a déclaré à l'AFP Eric Sellini, coordinateur national du syndicat pour TotalEnergies.
Selon un premier point de la CGT, il y avait 100% de grévistes dans les équipes du matin pour la bio-raffinerie de La Mède, le dépôt de carburant de Flandres, près de Dunkerque, et l'usine pétrochimique de Carling (Moselle).
La raffinerie de Donges (Loire-Atlantique) connaissait 95% de grévistes et celle de Normandie 80%, alors que les équipes de la raffinerie de Feyzin (Rhône) étaient en grève à plus de 70%, selon M. Sellini.
"Rien ne rentre ni ne sort" de ces installations, a assuré le syndicaliste.
Il n'avait pas de chiffres en revanche pour le site de Grandpuits, en Seine-et-Marne.
"C'est un mouvement qui est bien suivi, ça donne de l'élan, de la force et du courage pour la suite", a déclaré à l'AFP Benjamin Tange, responsable syndical CGT au dépôt de Flandres, avant d'aller défiler contre la réforme des retraites à Dunkerque.
La mobilisation du personnel de jour, c'est-à-dire toutes les fonctions support et administratives, "s'annonce importante aussi", selon M. Tange.
Côté Esso-ExxonMobil, la raffinerie de Fos-sur-Mer (Bouches-du-Rhône) connaissait 100% de grévistes parmi les équipes du matin, alors qu'il n'y avait pas de grévistes à la raffinerie de Gravenchon (Seine-Maritime), selon la CGT.
Réforme phare
Emmanuel Macron, dont la réforme des retraites est un chantier crucial du second quinquennat, auquel il s'était engagé dès la campagne de son premier mandat, joue gros : son parti, qui ne dispose pas d'une majorité à l'Assemblée nationale, pourrait être fragilisé si le mouvement était profond et durable.
Alors que le président français pointait du doigt mercredi certains syndicats qui voudraient "bloquer le pays", le porte-parole du gouvernement Olivier Véran a dit espérer, sur le même champ lexical, que l'"expression populaire ne se transformera pas en blocage", alors que les syndicats, unis pour la première fois depuis 12 ans, sont tendanciellement en perte de vitesse dans le paysage social français.
La gauche et l'extrême droite sont opposées à la réforme. Seule l'opposition de droite classique paraît ouverte au compromis.
"La coupe est pleine", estime Olivier Mateu, un élu syndical du sud de la France, interrogé par l'AFP à Marseille. "On a vu que tout ce que faisait le gouvernement c'était en faveur des plus riches de ce pays et jamais envers ceux qui créent les richesses, c'est-à-dire nous les travailleurs."
Des rassemblements sont attendus dans 215 à 250 villes, selon les sources, qui espèrent une mobilisation dépassant "le million" de manifestants. Cette jauge symbolique aiderait le mouvement à s'inscrire dans la durée.
Plus de 10.000 policiers et gendarmes, dont 3.500 à Paris, seront mobilisés pour sécuriser les manifestations, selon le ministère de l'Intérieur qui s'attend à "un petit millier" de manifestants "qui pourraient être violents" dans la capitale.
La France est l'un des pays européens où l'âge légal de départ à la retraite est le plus bas, sans que les systèmes de retraite soient complètement comparables. C'est 65 ans en Allemagne, Belgique ou Espagne, 67 ans au Danemark selon le Centre des liaisons européennes et internationales de sécurité sociale, un organisme public français.
Le gouvernement a fait le choix d'allonger la durée de travail, pris pour répondre à la dégradation financière des caisses de retraite et au vieillissement de la population. Il défend son projet en le présentant comme "porteur de progrès social" notamment en revalorisant les petites retraites.