PARIS : C'est un point ultrasensible du plan justice: la "simplification" de l'enquête pénale, promise par le garde des Sceaux et dont le chantier a démarré lundi, devra faciliter le travail des policiers et gendarmes sans nuire aux libertés individuelles.
Missionné par Eric Dupond-Moretti, le comité d'experts chargé de cette réforme et de la réécriture du code de procédure pénale s'est réuni pour la première fois lundi et devra affiner l'architecture actuelle qui repose sur trois types d'enquêtes.
Trois enquêtes aux contours variables
. L'enquête de flagrance est celle qui donne les coudées les plus franches aux forces de l'ordre. Un officier de police judiciaire (OPJ) peut ainsi adresser des réquisitions à des organismes privés ou publics (Sécu...) sans l'aval du procureur et lancer des perquisitions sans l'assentiment du mis en cause.
Comme dans les autres types d'enquête, l'OPJ peut par ailleurs ordonner des gardes à vue sans autorisation préalable du procureur mais en l'informant dans les plus brefs délais, sous peine de nullité.
La flagrance est toutefois réservée aux crimes ou délits qui se sont produits dans les dernières quarante-huit heures et sa durée est limitée: huit jours, renouvelable une fois sur décision du procureur.
Dans l'enquête préliminaire, le contrôle du parquet est plus étroit. Pour demander l'adresse d'un mis en cause à un opérateur téléphonique, les enquêteurs doivent ainsi obtenir l'aval du procureur.
"Ça crée une charge très importante pour un contrôle qui devient, au final, purement formel parce que les autorisations sont systématiquement accordées", explique un magistrat interrogé par l'AFP.
Les actes les plus attentatoires aux libertés individuelles, comme la mise sur écoute ou des perquisitions sans consentement du mis en cause, nécessitent, eux, le feu vert d'un juge des libertés et de la détention.
Depuis décembre 2021, la durée maximale de ces enquêtes a été limitée à deux ans, prolongeable d'un an.
. L'information judiciaire enfin est une enquête menée par un juge d'instruction, statutairement indépendant, qui peut ordonner lui-même écoutes ou perquisitions.
Le justiciable, une fois mis en examen, a accès au dossier, un droit dont il ne bénéficie pas dans une enquête préliminaire. Très médiatisées, les "infojuds" ne représentent toutefois que 3% des enquêtes pénales, selon le rapport des Etats généraux de la justice.
Un débat sous tensions
Fruit de huit mois de consultations, ce rapport a fait le constat que cette coexistence de trois types d'enquêtes "contribuait à la complexité actuelle de la conduite des investigations" et a appelé, prudemment, à une réflexion sur le sujet.
Derrière une possible réforme, se joue un équilibre subtil.
"On met le doigt dans un engrenage hyper complexe", souligne le magistrat interrogé par l'AFP, évoquant de "grandes tensions entre la nécessité d'avoir des enquêtes efficaces et la protection des libertés individuelles".
Comme l'a reconnu lui-même M. Dupond-Moretti, cette simplification répond aux souhaits des enquêteurs qui se plaignent régulièrement de procédures trop complexes.
"Aujourd'hui, les dispositions se répondent les unes aux autres, il y a des exceptions dans l'exception, des superpositions au fil des modifications, on ne s'y retrouve pas", disait récemment à l'AFP un enquêteur d'office central.
Certains redoutent que la réforme ne conduise à faire disparaître l'enquête préliminaire au profit de la flagrance.
"On réduirait le contrôle des atteintes aux libertés publiques sous couvert de l'efficacité des enquêtes", fait valoir à l'AFP Romain Boulet, coprésident de l'Association des avocats pénalistes.
Me Boulet souhaiterait au contraire que le régime le plus protecteur "bénéficie à tout le monde" et que les justiciables aient un accès accru au dossier, quel que soit le cadre d'enquête.
"Il faut maintenir une certaine dose de secret", rétorque le magistrat sondé par l'AFP. "Les avocats seront toujours en demande de plus d'accès au dossier pour construire une stratégie de défense".
Dans leurs conclusions, les Etats généraux avaient estimé qu'en raison des "impératifs" relatifs aux droits de la défense, une unification ne "pourrait s'opérer qu'en direction de l'enquête préliminaire" mais qu'une telle solution aboutirait à "une complexification".