PARIS: En moins de deux cents pages fournies et très bien documentées, l’ancienne diplomate française Nada Yafi dresse un état des lieux contrasté de la situation de la langue arabe en France de nos jours.
« Plaidoyer pour la langue arabe », publié dans la collection Orient XXI de la maison d’édition Libertalia est également une sorte d’aboutissement de la riche carrière qui est celle de Nada Yafi.
Indépendamment de ses origines libanaises qui font d’elle une arabisante, l’arabe a jalonné la vie professionnelle de l’autrice dans les différentes fonctions qu’elle a occupées : Interprète officielle des autorités françaises du temps des deux anciens présidents François Mitterand et Jacques Chirac, puis diplomate servant comme consule générale à Dubaï et ambassadrice au Koweït, par la suite directrice du Centre de langue et de civilisation arabes à l’Institut du Monde Arabe et enfin éditrice de la page arabe d’Orient XXI.
Cette longue carrière a permis à Nada Yafi d’identifier une ambivalence dans le traitement de la langue arabe en France.
Le paradoxe explique-t-elle à Arab News en français, réside dans le fait que la langue arabe est « célébrée dans le monde académique et dénigrée dans le monde médiatique ».
Régulièrement, tous les deux ans depuis une décennie, des polémiques autour de la langue arabe et de son enseignement à l’école publique ont eu lieu, autour d’une langue souvent « diabolisée » et accusée « d’accointances dangereuses ».
A l’opposé ajoute Yafi, « dans l’enseignement supérieur la langue arabe est considérée comme une langue de prestige, et une filière d’excellence ». C’est une langue utilisée par
« tout un réseau de centres de recherches appartenant à la France qui ont besoin d’arabisants ».
C’est une langue qui bénéficie de l’existence d’un institut culturel qui n’a pas son pareil dans d’autres pays à savoir l’Institut du Monde Arabe, qui a également recours à des arabisants.
C’est une langue enseignée dans le réseau scolaire français à l’étranger où environ 150 mille élèves apprennent l’arabe.
Enquête personnelle
C’est surtout une langue très ancienne dans le paysage français, qui remonte même au temps des croisades.
Pour comprendre la raison de ce paradoxe, Nada Yafi s’est attachée à mener une enquête personnelle, prenant à témoin non seulement son expérience d’interprète et de diplomate, mais également des enseignants, des sociologues, des linguistes et des personnalités politiques.
« Dès que je touchais à la question de la langue arabe » assure-t-elle « je voyais remonter à la surface d’autres questions comme l’immigration ou les attaques terroristes, qui n’ont rien à voir avec la langue et sont d’essence politique ».
La raison majeure de ce paradoxe lui semblait être la confusion de la langue arabe avec l’Islam voire l’islamisme.
Certes l’arabe est, dans son usage classique et liturgique, la langue du Coran, mais la langue a plusieurs autres fonctions, littéraire, véhiculaire, ornementale, musicale, dont l’usage ne se limite pas aux seuls musulmans.
L’arabe « est utilisé par les natifs de la langue mais également par d’autres, notamment des Arabes chrétiens. Le monde arabe recoupe le monde musulman dans certaines de ses parties mais ne peut pas être confondu avec lui ».
La langue arabe a préexisté à l’islam
Cette langue, selon l’autrice, a voyagé « bien au-delà d’une région et d’une religion ». Elle a d’ailleurs préexisté à l’islam. Il y avait notamment, dès l’ère pré-islamique, des poètes juifs de langue arabe. Par la suite des théologiens et des philosophes juifs ont écrit leurs œuvres en arabe, tels Saadia Gaon au Xe siècle ou Moise Maimonide au XIIe.
Yafi rappelle dans son plaidoyer le rôle de passeur de culture joué par la langue arabe à l’époque abbasside puis andalouse, par la traduction de précieux ouvrages philosophiques et scientifiques, notamment de l’antiquité grecque, qui avaient été perdus dans leur texte original. Ces ouvrages traduits en arabe, souvent enrichis de commentaires et de nouvelles découvertes, ont ensuite été restitués à l’Europe à travers les traductions latines et romanes.
L’autrice se penche aussi sur le grand moment de la « Nahda », fin XIXème début XXème siècle qui a connu des traductions vers l’arabe à partir des langues européennes.
Cette langue a sans cesse été en contact avec d’autres aires linguistiques et d’autres cultures, ce qui fait dire à Yafi que « c’est une langue traversière et non une langue communautaire contrairement à ce que prétendent certains. Il y a là une forme d’inculture affligeante de la part de certaines personnalités politiques, « c’est une vision monolingue qui n’est plus en accord avec un monde globalisé».
Le livre est nourri de multiples lectures et de rencontres, qui ont finalement mené au constat d’un « passé non « digéré » dans l’imaginaire collectif français, un passé non résolu parce qu’il n’a pas été suffisamment traité dans le débat public et donc un passé non révolu ». Il s’agit essentiellement de l’héritage colonial: il existe une difficulté à penser la question algérienne, et cet « impensé algérien » sous-tend toutes les polémiques autour d’une langue perçue comme étant avant tout celle de l’immigration. Or l’immigration arabe en France est majoritairement de descendance algérienne.
«Retour du refoulé»
L’ex-diplomate indique cependant une perspective encourageante avec un certain « retour du refoulé » depuis quelque temps. Malgré l’instrumentalisation idéologique de la question par une certaine droite et par l’extrême droite, une prise de conscience de la nécessité de revisiter le passé se fait actuellement jour dans la presse, la littérature et l’art, tout comme dans les déclarations publiques.
Selon Yafi « c’est la question du vivre ensemble qui est posée à travers la langue ». Si la langue arabe est inséparable de la civilisation arabo-musulmane, une civilisation qui a intégré de multiples apports ethniques et religieux, elle est tout aussi inséparable du patrimoine français » assure- t-elle. Elle est liée à l’avenir de notre pays, qui est « une puissance méditerranéenne également ouverte sur la région du golfe ». Elle est pour la France un atout politique, stratégique, culturel et commercial dans la mondialisation.