BAKHMOUT : Dans son centre de soins de la ville ukrainienne de Bakhmout, enjeu de combats acharnés sur la ligne de front de l'est du pays, le docteur Elena Moltchanova jure qu'elle restera tant qu'il y aura des civils à soigner, malgré les bombes, le froid et le manque de tout.
Elle reçoit ses patients dans une petite pièce chauffée par un seul poêle à bois, où elle prodigue des soins, fournit des médicaments mais aussi remplit des certificats de décès.
Parfois ses visiteurs - les derniers habitants de cette ville bombardée quotidiennement et coupée des services les plus élémentaires - viennent seulement chercher là un abri et un peu de chaleur dans l'hiver et dans la guerre.
Le docteur Moltchanova, 40 ans, est un des cinq derniers médecins qui tentent de venir en aide aux 8 000 civils restés dans cette ville de jadis 70 000 habitants, selon l'estimation des autorités locales.
Bakhmout subit depuis des mois les assauts des troupes russes qui tentent d'avancer pour prendre le contrôle total de la région de Donetsk, officiellement annexée par Vladimir Poutine.
Avant la guerre, les couloirs de la clinique du docteur Moltchanova étaient éclairés, les toilettes fonctionnaient, et les visiteurs étaient accueillis à l'entrée.
Maintenant elle occupe le seul cabinet en activité, avec des piles de matériel médical en désordre, des sacs de pommes de terre et des papiers divers autour d'elle.
Elle a peur qu'un bombardement trop proche ne fasse exploser la baie vitrée éclairant son bureau.
Mais elle n'a pas l'intention de partir.
"Quand je suis devenue médecin, j'ai fait le serment d'Hippocrate, et je ne peux pas trahir ces gens", a-t-elle dit à l'AFP. "Ils viennent pour être soignés, et nous le faisons du mieux que nous pouvons".
Personnes âgées
Beaucoup de ceux qui sont restés dans l'enfer de Bakhmout et de la bourgade voisine de Soledar - théâtre des combats les plus acharnés ces dernières semaines - sont des personnes âgées ou handicapées.
La disponibilité des médicaments et des équipements, en particulier pour les troubles psychiatriques ou les pathologies chroniques comme le diabète, est au mieux épisodique, dit le docteur Moltchanova.
Les arrivages dépendent de ce qui est fourni par le gouvernement, les ONG, voire ce qui est récupéré dans des bâtiments bombardés, comme les deux fauteuils roulants amenés par des soldats mercredi après-midi.
"Il n'y a pas assez de seringues et d'aiguilles à insuline. Les stocks de médicaments pour le cœur s'épuisent très rapidement. Il y a suffisamment de paracétamol mais cela ne guérira pas les patients malades", déplore-t-elle.
Même si elle ne peut pas toujours prodiguer les soins nécessaires, le docteur Moltchanova, son mari et deux autres médecins aident aussi les habitants en les accueillant dans les sous-sols proches de la clinique, où ils vivent.
Les pièces aux plafonds bas, éclairées par de simples ampoules, contiennent des stocks de bûches pour alimenter les poêles, seul moyen de chauffage dans la ville.
Grâce à un générateur, les gens peuvent venir recharger leur téléphone, se connecter un moment à internet et simplement se réchauffer.
L'hiver glacial fait qu'il n'y a plus de problème pour conserver l'insuline, mais amène au docteur Moltchanova des patients souffrant du froid ou qui se sont brûlés sur des chauffages au bois improvisés.
«Je ne partirai pas»
Pour d'autres c'est trop tard, et c'est souvent le docteur Moltchanova qui remplit les certificats de décès, plusieurs chaque jour.
Oleksiy Stepanov est venu pour le certificat de décès de son voisin de 83 ans, qui est mort chez lui. Ses fenêtres avaient été soufflées par les bombardements. "Les gens ont peur", dit-il.
Tetiana, qui préfère ne pas donner son nom de famille, est venue chercher des cachets pour son voisin de 81 ans, un homme sourd, aveugle et alité. "Il n'a aucune idée qu'il y a la guerre et qu'on se fait bombarder", avance-t-elle.
Les proches du vieil homme l'avaient d'abord payée pour rester auprès de lui, mais maintenant elle reste de son plein gré. "Il n'est pas en état de voyager", affirme-t-elle. "Je ne partirai pas".
C'est un état d'esprit que partage le docteur Moltchanova. Même si elle ne comprend pas pourquoi certaines personnes n'ont pas fui, en particulier les familles avec enfants, elle se doit de rester et de prendre soin d'eux.
Mais elle l'assure: "Tant qu'ils sont là, je suis là".