PARIS: Même quartier de Paris et même cible: le meurtre de trois Kurdes vendredi a ravivé le souvenir du triple assassinat qui a frappé cette communauté il y a tout juste dix ans et reste encore aujourd'hui entouré de mystère.
Dans la nuit du 9 au 10 janvier 2013, trois militantes du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) - Sakine Cansiz, 54 ans, Fidan Dogan, 28 ans et Leyla Saylemez, 24 ans - ont été tuées par balles dans l'enceinte du Centre d'information du Kurdistan (CIK) situé dans le Xe arrondissement de la capitale française, à moins de dix minutes à pied du Centre culturel kurde (CCK) pris pour cible vendredi.
L'auteur présumé de l'attaque de vendredi, français de 69 ans, avait déjà commis des violences avec arme par le passé et a indiqué avoir agi parce qu'il était "raciste".
Il a été inculpé pour assassinat et tentative d'assassinat en raison de la race, l'ethnie, la nation ou la religion et incarcéré.
Lors d'une marche blanche organisée lundi à Paris, le parallèle était dans tous les esprits.
Au milieu des pancartes à l'effigie des trois activistes tuées il y a dix ans résonnaient, chez les manifestants, la même mise en accusation du régime turc et une même défiance alimentée par l'issue judiciaire du triple crime de 2013.
Les investigations avaient alors pourtant vite progressé: aidés notamment par la vidéosurveillance, les enquêteurs avaient rapidement identifié un suspect, Omer Güney, arrêté huit jours après les faits et mis en examen pour "assassinats en relation avec une entreprise terroriste".
Le trouble profil de ce ressortissant turc, agent d'entretien à l'aéroport de Roissy, avait ensuite compliqué la donne.
D'abord présenté comme un proche du PKK, ennemi juré d'Ankara, M. Güney a été ensuite soupçonné d'être proche des milieux ultranationalistes turcs et d'avoir infiltré la communauté kurde en France à partir de la fin 2011.
Des éléments du dossier suggèrent qu'il aurait pu agir pour le compte des services de renseignement turc (MIT) avec lesquels il était en lien.
Des médias turcs avaient ainsi diffusé l'enregistrement d'une conversation entre un homme présenté comme Omer Güney et deux agents turcs, ainsi qu'un document s'apparentant à un "ordre de mission".
"Ses liens avec les services turcs étaient démontrés par de nombreux éléments du dossier", assure aujourd'hui Me Antoine Comte, l'avocat de la famille d'une des trois victimes.
Zones d'ombre
L'enquête, close en mai 2015, avait pointé "l'implication" d'agents turcs mais sans désigner de commanditaires.
Restait ainsi ouverte la question de savoir si ces agents éventuellement impliqués avaient "participé à ces faits de façon officielle" et "avec l'aval de leur hiérarchie", avait alors confié à l'AFP une source proche du dossier.
Omer Güney "était suspecté d'être un ultranationaliste turc et il y avait assez peu de doutes sur l'existence de liens avec les services secrets turcs", indique son ancien avocat Xavier Nogueras.
"Mais la question que se posaient les juges était de savoir si un ordre était venu du MIT ou si c'est lui qui s’était manifesté auprès du MIT pour savoir s'il pouvait (leur) servir à quelque chose", a ajouté Me Nogueras.
Un procès aurait peut-être permis d'en savoir plus mais il n'aura jamais lieu: un mois avant l'ouverture des débats devant la cour d'assises, Omer Güney est mort le 17 décembre 2016 à l'âge de 34 ans d'un cancer du cerveau, à la "consternation" des parties civiles.
Leur espoir d'établir l'implication d'Ankara dans ce triple assassinat n'est toutefois pas totalement éteint.
En 2017, les familles des victimes ont déposé une première plainte accompagnée de nouveaux documents étayant, selon elles, la thèse d'une "opération mûrement planifiée par les services secrets" turcs.
Le parquet de Paris a classé la procédure mais une nouvelle plainte a débouché sur la désignation en 2019 de juges d'instruction antiterroristes chargés de reprendre l'enquête en explorant d'éventuelles complicités.
Et début décembre, le Conseil démocratique kurde en France (CDK-F) a exhorté les autorités françaises à lever le secret défense entourant cette enquête pour mettre fin à "l'impunité".