Une pénurie de carburant accable les Syriens épuisés par la guerre

Un jeune travailleur syrien vend des poêles à l'approche de l'hiver à Raqqa, qui a connu certains des pires combats du conflit (Photo, AFP).
Un jeune travailleur syrien vend des poêles à l'approche de l'hiver à Raqqa, qui a connu certains des pires combats du conflit (Photo, AFP).
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Publié le Lundi 26 décembre 2022

Une pénurie de carburant accable les Syriens épuisés par la guerre

  • La dernière crise, qui a éclaté début décembre, a paralysé la vie dans les zones contrôlées par le régime
  • Selon les experts, les sanctions ont appauvri la population sans pour autant favoriser la paix en Syrie

LONDRES: «La Syrie est morte, elle attend désespérément que quelqu'un la débranche». C'est ainsi que Nour, une nutritionniste de 26 ans originaire de Homs, a résumé la situation dans son pays, plus de dix ans après le début de la guerre civile et alors que la crise économique s'aggrave.

La pénurie de carburant, qui s'est renforcée avec l'arrivée de l'hiver, a paralysé la vie dans les zones contrôlées par le régime en Syrie, y compris dans la capitale Damas, obligeant les autorités à suspendre ou à réduire de nombreux services publics essentiels.

Le 5 décembre, le gouvernement a presque doublé le prix du carburant en une nuit. Les coupures de courant quotidiennes durent désormais vingt-deux heures en moyenne, même dans les quartiers chics de la capitale. De nombreux habitants n'ont pas les moyens de chauffer leur maison avec la chute des températures hivernales.

Des Syriens font la queue pour remplir leur réservoir dans un contexte de crise du carburant qui entraîne une dégradation du niveau de vie (Photo, AFP).

Malgré l'apaisement des combats entre le gouvernement et les factions rebelles ces dernières années, la Syrie reste confrontée à l'une des plus grandes crises humanitaires au monde, avec des millions de civils toujours déplacés, des infrastructures en ruines et une grande partie de la population vivant sous le seuil de pauvreté.

L'isolement de la Syrie s'est accentué depuis que les États-Unis ont imposé en 2020 les sanctions les plus sévères à l'encontre du régime du président Bachar Assad.

«La crise actuelle du carburant dans les zones contrôlées par le gouvernement n'est pas une nouveauté dans l'économie de conflit en Syrie», a déclaré à Arab News Mohammad al-Asadi, chercheur économiste basé en Allemagne au Syrian Center for Policy Research (SCPR).

Le SCPR a suivi plusieurs pénuries majeures de carburant depuis 2020, mais, selon M. Al-Asadi, «la pénurie actuelle est celle qui a le plus d'impact économique et social ces deux dernières années».

Le ministère syrien du Commerce intérieur a récemment annoncé son intention de vendre le diesel industriel et commercial à 5 400 livres syriennes le litre – contre 2 500 livres syriennes fin novembre – tandis que l'essence sera vendue à 4 900 livres syriennes le litre.

Le prix du carburant distribué par l'entreprise publique Syrian Petroleum Company restera à 2 500 livres syriennes par litre.

La demande contenue de carburant a eu un impact négatif sur la valeur de la livre syrienne, qui a atteint un nouveau record à la baisse le 10 décembre.

Le taux de change du dollar sur le marché noir a dépassé pour la première fois les 6 000 livres syriennes, tandis que le taux de la banque centrale s'est établi à 3 015 livres syriennes. En 2011, au début de la guerre civile, le taux officiel se chiffrait à 47 livres syriennes.

Selon les rapports, les pénuries de diesel et d'essence ont entraîné une forte affluence dans les terminaux de bus à Damas et dans les zones périphériques, car le gouvernement a réduit les allocations de carburant pour les services de minibus – le moyen de transport le moins cher dont disposent les Syriens.

«Après 13 heures, les minibus cessent de circuler, et nous prenons n'importe quel véhicule que nous trouvons sur la route pour rentrer chez nous», explique Nour. «Les passagers se battent parfois à coups de poing pour les sièges dans les minibus et les taxis collectifs.»

Khaled, un étudiant en comptabilité de 21 ans qui n'a communiqué que son prénom, gagne environ 50 000 livres syriennes par mois en tant que serveur. Un voyage en taxi collectif de Zabadani, dans le Rif Dimashq, à l'autoroute de Mezzeh à Damas – une distance de seulement 48 km – lui a coûté 6 800 livres syriennes au début du mois.

En revanche, «j'ai payé 3 300 pour le même trajet à la mi-novembre», a-t-il indiqué à Arab News.

En pratique, l'inflation élevée s'est traduite par une crise du coût de la vie, avec une augmentation généralisée des prix des biens mais une stagnation des salaires réels.

«Un programmeur informatique peut gagner environ 800 000 livres par mois dans le secteur privé, mais cela suffit à peine à payer le loyer, les produits de base et les frais de transport», explique à Arab News un journaliste de Damas, qui a requis l'anonymat.

En décembre 2021, le salaire minimum de l'État était d'environ 93 000 livres syriennes, selon Shaam Times, un site d'information affilié au gouvernement.

M. Al-Asadi, chercheur au SCPR, s'attend à ce que la pénurie nationale de carburant «dure aussi longtemps que durera la fragmentation du pays à plusieurs niveaux» – un état de fait auquel, selon lui, les autorités ont peu de chances de remédier.

Un Syrien remplit un bidon de diesel qu'il vend au bord d'une route, alors que le nord-est de la Syrie connaît une crise du carburant (Photo, AFP).

«Aucun des pouvoirs politiques locaux en Syrie n'a fait de réels efforts pour venir à bout des profonds défis socio-économiques auxquels le pays est confronté, notamment les pénuries d'énergie et de carburant», a-t-il déclaré à Arab News.

«Après 12 ans de conflit, la plupart des efforts sont encore consacrés à diriger les ressources financières, physiques et humaines restantes pour servir les activités liées à l'économie de guerre, au détriment du rétablissement du cycle économique normal fondé sur la production.»

«Par conséquent, les investissements dans des solutions énergétiques alternatives ont suscité peu d'intérêt au cours de la dernière décennie.»

Les revenus pétroliers représentaient entre 5 et 7 % du produit intérieur brut de la Syrie avant la guerre civile. Les réserves totales sont estimées à 2,5 milliards de barils, dont au moins 75 % dans les champs entourant Deir ez-Zor, en dehors de la sphère de contrôle du régime. 

Le régime Assad a accusé à plusieurs reprises les forces américaines déployées dans le nord-est du pays, à majorité kurde, de «piller» le pétrole syrien, aggravant ainsi la pénurie de carburant.

Le 1er décembre, l'agence de presse nationale syrienne SANA a affirmé qu'un convoi de 54 camions-citernes «chargés de pétrole pillé» avait été repéré à Al-Yaarubiyah, dans la province de Hasakah, alors qu'il traversait le poste frontière d'Al-Mahmudiyah en Irak.

Le nord-est de la Syrie est en grande partie autonome depuis que les forces du régime se sont retirées de la région en 2011 pour repousser le soulèvement qui a lieu ailleurs dans le pays. 

Au cours de l'été 2014, les militants de Daech ont exploité cette vacance du pouvoir, prenant le contrôle de plusieurs grandes villes, dont Raqqa, et de nombreux champs pétroliers lucratifs de la région.

«En l'absence d'un accord politique inclusif, les solutions définitives à ces pénuries sont encore loin», affirme Mohammad al-Asadi, chercheur économiste au Syrian Center for Policy Research (Photo fournie).

Une coalition de milices arabes et kurdes, appelée par la suite les Forces démocratiques syriennes, a rapidement délogé le groupe extrémiste avec le soutien militaire des États-Unis, prenant en charge les champs pétrolifères.

L'Administration autonome du nord et de l'est de la Syrie (AANES), qui a pris le contrôle de ces territoires, a commencé à vendre ce pétrole aux pays voisins et au régime Assad.

En 2019, le président Donald Trump a annoncé qu'il retirait les forces américaines du nord-est de la Syrie, tout en y laissant un petit contingent pour protéger le pétrole. 

Le même mois, il a été annoncé que des troupes américaines seraient déployées à Deir ez-Zor pour aider les FDS à préserver les champs pétroliers des mains de Daech.

Souvent incapable de s'assurer un approvisionnement suffisant en carburant auprès de ses alliés iraniens, le gouvernement Assad a fait pression sur l'AANES afin que celle-ci fournisse davantage de carburant aux zones tenues par le régime en bloquant l'approvisionnement de produits essentiels comme la nourriture, les médicaments et les matériaux de construction. 

Dans un rapport publié en 2021, le Washington Institute for Near East Policy a déclaré que bien que l'administration américaine ait nié avoir pillé le pétrole syrien, cette dernière a mis en œuvre un «plan moralement et juridiquement douteux», qui consiste à soutenir ses alliés kurdes en gardant le pétrole «hors des mains du régime Assad» et en «aidant à le raffiner et à le vendre».

Les spécialistes de la Syrie s'accordent généralement à dire que la modeste implication américaine n'est pas la cause première de la crise actuelle du carburant.

«Bien que les sanctions et le pillage du pétrole des régions orientales riches en pétrole vers la région voisine du Kurdistan irakien contribuent à aggraver la crise du carburant dans le pays, ces facteurs ne sont pas les plus importants», a déclaré M. Al-Asadi à Arab News.

«Les principaux responsables de la nouvelle crise du carburant – et de tous les défis socio-économiques similaires – ne peuvent être déconnectés de la nature de l'économie politique qui a prévalu dans le pays au cours de la dernière décennie, en particulier des aspects liés à la fragmentation politique, à la subordination à des acteurs politiques étrangers et à la domination par les alliés des principales ressources et opportunités d'investissement.»

Pire encore, les organisations humanitaires affirment que l'invasion russe de l'Ukraine en février dernier a relégué la crise humanitaire en Syrie au second plan.

Après avoir passé environ deux semaines en Syrie en novembre, Alena Douhan, rapporteuse spéciale des Nations unies sur les droits de l'homme, a affirmé que les sanctions actuelles des États-Unis, de l'Union européenne et du Royaume-Uni «peuvent s'apparenter à des crimes contre l'humanité».

Un Syrien vend du carburant au bord de la route, dans la banlieue de Raqqa (Photo, AFP).

Mme Douhan a appelé à la levée immédiate des sanctions car elles «portent atteinte aux droits de l'homme et empêchent tout effort de redressement rapide».

Même certains critiques du régime Assad affirment que les sanctions économiques n'ont guère contribué à faire avancer les parties belligérantes de la Syrie vers une solution politique, tout en appauvrissant davantage la population.

«Le régime Assad n'est pas près de bouger, si bien que de nombreux observateurs s'interrogent de plus en plus sur l'utilité de sanctions qui nuisent non seulement au régime, mais aussi au peuple syrien», a déclaré à Arab News David Romano, professeur de politique du Moyen-Orient à la Missouri State University.

«Bien qu'il existe des dispositions prévoyant des dérogations à l'exportation de produits d'importance humanitaire pour le peuple syrien, dans la pratique, les sanctions américaines et européennes à l'encontre de la Syrie ont gravement nui à une économie déjà paralysée, à l'échelle du pays», a-t-il ajouté.

Le 5 décembre, les habitants de Suwayda, dans le sud-ouest de la Syrie, sont descendus dans la rue pour protester contre la dégradation du niveau de vie. La manifestation a rapidement dégénéré en affrontements avec les forces de sécurité locales, faisant deux morts et huit blessés.

«On s'attend à ce que les souffrances des gens ordinaires augmentent», a déploré M. Al-Asadi. «(En particulier) les travailleurs qui dépendent principalement du transport pour assurer leur subsistance, comme les agriculteurs, les chauffeurs de taxi et de microbus, et les travailleurs du secteur de la livraison.»

En raison de la hausse des coûts de transport de nombreux biens et services couramment échangés, M. Al-Asadi s'attend à ce que les pénuries de carburant actuelles «durent au moins jusqu'à la mi-janvier 2023», que les pressions inflationnistes augmentent et que de nombreuses entreprises «soient confrontées à des interruptions majeures. «Bien que certains pétroliers devraient atteindre la Syrie au cours des prochaines semaines, les quantités fournies pourraient ne pas être suffisantes pour surmonter la crise.»

Au lieu de trouver des solutions à la crise du carburant, le gouvernement fait peser «le poids du conflit sur les ménages», a déclaré M. Al-Asadi à Arab News, ajoutant qu’«en l'absence d'un accord politique inclusif, les solutions définitives à ces pénuries sont encore loin».

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com


1977 : Quand Sadate s'est rendu en Israël

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  • Premier dirigeant arabe à se rendre dans le pays, le président égyptien a fait une tentative de paix qui a indigné la région
  • Les choses se sont ensuite accélérées. Onze jours plus tard, le 19 novembre, Sadate arrive à Jérusalem pour une visite de trois jours. Le 20 novembre, il s'adresse à la Knesset, le parlement israélien

LE CAIRE: Le 8 novembre 1977, le président égyptien Anouar el-Sadate a annoncé devant le parlement égyptien - en présence de Yasser Arafat, chef de l'Organisation de libération de la Palestine - qu'il était prêt à se rendre à Jérusalem pour entamer des négociations en vue d'un processus de paix avec Israël.

Cette annonce a choqué toutes les personnes présentes et, au fur et à mesure que la nouvelle se répandait, elle a surpris le monde entier, y compris Israël même : si l'Égypte reconnaissait diplomatiquement Israël, elle serait le premier État arabe à le faire.

Les choses se sont ensuite accélérées. Onze jours plus tard, le 19 novembre, Sadate arrive à Jérusalem pour une visite de trois jours. Le 20 novembre, il s'adresse à la Knesset, le parlement israélien.

"Aujourd'hui, je suis venu à vous avec des mesures fermes, pour construire une nouvelle vie et établir la paix", a-t-il déclaré aux membres de l'assemblée.

"Nous tous sur cette terre, musulmans, chrétiens et juifs, adorons Dieu et personne d'autre que Lui. Les enseignements et les commandements de Dieu sont l'amour, la sincérité, la pureté et la paix".

Arab News a publié en première page la visite d'Anouar el-Sadate en Israël, relatant les événements qui ont conduit à l'accord de paix historique.

Il a déclaré qu'il n'avait consulté personne avant de prendre sa décision, ni ses collègues, ni les autres chefs d'État arabes.

Il parle des familles des "victimes de la guerre d'octobre 1973 ... toujours en proie au veuvage et au deuil de leurs fils et à la mort de leurs pères et de leurs frères".

Il a également affirmé qu'il était de son devoir "de ne rien négliger pour épargner à mon peuple arabe égyptien les horreurs déchirantes d'une autre guerre destructrice, dont seul Dieu peut connaître l'ampleur".

Sadate a ajouté que les autorités israéliennes devaient faire face à certains faits "avec courage et clairvoyance". Elles doivent se retirer des territoires arabes qu'elles occupent depuis 1967, y compris Jérusalem. En outre, tout accord de paix doit garantir "les droits fondamentaux du peuple palestinien et son droit à l'autodétermination, y compris le droit de créer son propre État".
Sadate a été le premier dirigeant arabe à se rendre en Israël et s'adresse au Parlement israélien le lendemain. "Devant nous aujourd'hui se trouve la chance de la paix... une chance qui, si elle est perdue ou gâchée, entraînera la malédiction de l'humanité et la malédiction de l'histoire pour celui qui aura comploté contre elle", a-t-il indiqué. 

Le pari audacieux de Sadate a suscité la colère dans le pays et à l'étranger. Ismail Fahmy, ministre égyptien des Affaires étrangères, a démissionné de son poste deux jours avant la visite. Dans ses mémoires, il décrit l'initiative de Sadate comme "un geste irrationnel dans un jeu de paix long et compliqué". Ensuite, Sadate nomme Mahmoud Riad comme nouveau ministre des Affaires étrangères, qui a également démissionné.

En effet, les critiques ne manquaient pas en Égypte, notamment celles de l'éminent homme politique Fouad Serageddin et de l'écrivain Youssef Idris, qui qualifiaient le geste de Sadate de "soumission et d'humiliation de la volonté victorieuse de l'Égypte face à un ennemi vaincu", en référence à la victoire d'octobre 1973 des forces égyptiennes et syriennes sur Israël dans le Sinaï et sur les hauteurs du Golan.

De nombreux pays arabes de la région ont suspendu leurs relations avec l'Égypte et gelé les projets communs et les investissements dans le pays, qui a également été exclu de la Ligue arabe.

Cette colère s'est reflétée dans les rues de la région, avec des manifestations dans plusieurs villes arabes, dont Beyrouth, Damas, Bagdad, Aden, Tripoli et Alger.

La visite de Sadate à Jérusalem était la première étape d'un processus de négociations de deux ans entre l'Égypte et Israël, sous l'égide des États-Unis, qui s'est achevé par la signature d'un traité de paix entre Sadate et le premier ministre israélien Menachem Begin à Washington le 26 mars 1979, en présence du président Jimmy Carter, à la suite des accords de Camp David de septembre 1978.

Sadate avait alors signé son propre arrêt de mort. Parmi les personnes et les organisations qui ont appelé à sa mort figurent Omar Abdel Rahman, chef d'un groupe islamiste extrémiste actif en Égypte à l'époque, les Frères musulmans et l'ayatollah Khomeini, chef de la révolution iranienne.

Le 6 octobre 1981, alors qu'il assiste à la parade militaire annuelle au Caire pour célébrer la victoire égyptienne de 1973 dans le Sinaï, Sadate et dix autres personnes sont abattus par des membres du Tanzim Al-Jihad, un groupe islamiste égyptien.

Hani Nasira est un universitaire et expert politique égyptien, ainsi que le directeur de l'Institut arabe d'études. Il est l'auteur de plus de 23 ouvrages.
 


1976, les origines de la Journée de la Terre

Un policier palestinien place un drapeau national devant des soldats israéliens lors d'affrontements sur des terres confisquées par l'armée israélienne pour ouvrir une route aux colons juifs. (AFP)
Un policier palestinien place un drapeau national devant des soldats israéliens lors d'affrontements sur des terres confisquées par l'armée israélienne pour ouvrir une route aux colons juifs. (AFP)
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  • La Journée de la terre reflète une injustice historique non résolue
  •  Pendant la Nakba, en 1948, deux villages palestiniens du nord d'Israël, Iqrit et Biram, majoritairement chrétiens, ont été dépeuplés par les forces israéliennes

AMMAN: La Journée de la terre, célébrée chaque année le 30 mars, commémore un moment crucial de l'histoire palestinienne: en 1976, six citoyens palestiniens d'Israël non armés ont été tués par les forces israéliennes lors de manifestations contre l'expropriation par le gouvernement de terres appartenant à des Arabes en Galilée.

Cet événement n'a pas seulement marqué la première mobilisation de masse des Palestiniens en Israël depuis 1948, il a également mis en évidence leur lutte permanente pour les droits fonciers et l'identité.

Les premières manifestations de la Journée de la terre, le 30 mars 1976, ont été déclenchées par le projet du gouvernement israélien de confisquer environ 20 000 dunams (2 000 hectares) de terres dans la région de Galilée, au nord d'Israël. Les terres visées par l'expropriation, dans des villages tels que Sakhnin, Arraba et Deir Hanna, appartenaient principalement à des citoyens palestiniens d'Israël.

Cette confiscation de terres à grande échelle s'inscrivait dans le cadre d'une politique israélienne plus large, la «judaïsation de la Galilée», qui visait à accroître la population juive dans la région et à réduire la proportion de terres appartenant à des Arabes.

La Journée de la terre reflète également une injustice historique non résolue. Pendant la Nakba, en 1948, deux villages palestiniens du nord d'Israël, Iqrit et Biram, majoritairement chrétiens, ont été dépeuplés par la force. L'armée israélienne a promis aux habitants, qui sont devenus citoyens israéliens et ont continué à vivre en Israël, qu'ils pourraient retourner chez eux après une brève évacuation jugée nécessaire pour des raisons de sécurité. Cependant, ils n'ont jamais été autorisés à rentrer chez eux; au contraire, les villages ont été détruits et les terres expropriées par l'État israélien.

Les villageois d'Iqrit et de Biram, ainsi que leurs descendants, continuent de faire campagne pour leur droit au retour, et les deux villages perdus restent des symboles durables de la lutte palestinienne plus large pour le droit à la terre.

Arab News a commémoré le 75e anniversaire de la Nakba en titrant en première page «La lutte continue».

L'importance de la Journée de la terre va au-delà des événements de 1976. La commémoration annuelle permet de rappeler le lien profondément ancré entre le peuple palestinien et ses terres ancestrales, un lien qui a été continuellement menacé par les politiques israéliennes conçues pour modifier les paysages historiques, démographiques et géographiques de la Palestine.

Au cours des années qui ont suivi cette première Journée de la terre, le gouvernement israélien a continué à mettre en œuvre des politiques qui aboutissent à l'appropriation de terres palestiniennes. Ces actions comprennent l'expansion des colonies en Cisjordanie, la construction de la barrière de séparation et la désignation de terres domaniales dans des zones traditionnellement utilisées par les communautés palestiniennes.  

La réponse à ces politiques a été multiforme, englobant des défis juridiques, un activisme de base et un plaidoyer international.

Les citoyens palestiniens d'Israël, ainsi que ceux des territoires occupés et de la diaspora, ont utilisé la Journée de la terre comme plate-forme pour mettre en lumière les problèmes de dépossession des terres et appeler à la justice et à l'égalité. Cette journée est devenue un événement fédérateur, favorisant la solidarité entre Palestiniens au-delà des clivages géographiques et politiques.

Cependant, les défis à relever restent considérables. Le système juridique et politique israélien favorise souvent les intérêts de l'État et des colons, ce qui rend difficile pour les Palestiniens de récupérer les terres confisquées ou d'empêcher de nouvelles expropriations.

Les lois israéliennes ont facilité l'expansion des colonies, fourni des protections juridiques aux colons et permis l'appropriation de terres, souvent au détriment des droits des Palestiniens. La loi de 1970 sur les questions juridiques et administratives, par exemple, promulguée après l'annexion de Jérusalem-Est en 1967, permet aux juifs de récupérer les propriétés qui leur appartenaient dans cette zone avant 1948, même si des Palestiniens y ont vécu pendant des décennies depuis lors. Toutefois, les Palestiniens n'ont pas le même droit de réclamer les propriétés qu'ils possédaient à Jérusalem-Ouest, ou ailleurs en Israël, avant la guerre de 1948.

Les expulsions de Sheikh Jarrah en 2021, qui ont été à l'origine de la guerre de 11 jours entre Palestiniens et Israéliens cette année-là, ont montré que les communautés palestiniennes sont toujours menacées d'expulsion à Jérusalem-Est en vertu des lois israéliennes. La Cour suprême israélienne a tranché en faveur des colons en décidant que les familles palestiniennes de Sheikh Jarrah ne pouvaient rester sur place que si elles payaient un loyer aux colons, reconnaissant de fait les revendications de ces derniers en matière de propriété de biens immobiliers antérieurs à 1948.

En outre, les réactions internationales à ces développements se sont souvent limitées à des déclarations d'inquiétude, avec peu d'actions tangibles pour tenter de rendre les autorités israéliennes responsables de leurs politiques, y compris celles liées aux questions d'expropriation de terres, de colonies illégales et de déplacements de population.

Ces dernières années, la Journée de la terre a pris une signification supplémentaire, notamment dans le contexte des manifestations de la Grande Marche du retour qui ont débuté en 2018 dans la bande de Gaza. Ces manifestations, qui réclamaient le droit au retour des réfugiés palestiniens et la fin du blocus de Gaza, se sont heurtées à une violence importante de la part des forces israéliennes, faisant de nombreuses victimes.

En outre, les actions des citoyens palestiniens d'Israël en Galilée n'ont pas permis à la société israélienne de prendre véritablement conscience des injustices historiques et actuelles perpétrées à l'encontre de ces Palestiniens. Il s'agit notamment de l'incapacité à reconnaître la discrimination systémique et la dépossession qui ont caractérisé les politiques de l'État, ou à œuvrer en faveur d'une égalité et d'une réconciliation véritables.

Les événements de 1976, qui ont marqué la première mobilisation palestinienne de masse depuis 1948, ont mis en évidence le pouvoir de la solidarité au-delà des clivages politiques, religieux et idéologiques. Cette unité est restée la pierre angulaire de la lutte, renforçant l'idée que ce n'est que par des efforts collectifs que les politiques discriminatoires peuvent être efficacement contestées et les droits affirmés.

Les enseignements de la Journée de la terre soulignent également l'importance d'une résistance stratégique et persistante, tant au niveau local qu'international. L'attention mondiale suscitée par les manifestations de 1976 a montré l'importance d'un activisme pacifique et organisé pour amplifier la cause palestinienne. Elles ont également mis en évidence la nécessité d'une mobilisation politique pour lutter contre la discrimination systémique et garantir l'égalité des droits.

Pour les Palestiniens d'Israël et d'ailleurs, la Journée de la terre est une occasion qui résume à la fois la douleur de la perte et l'espoir d'un avenir où règnent la paix et la justice.

Daoud Kuttab est chroniqueur pour Arab News, spécialisé dans les affaires du Moyen-Orient, et plus particulièrement dans les affaires palestiniennes.

Il est l'auteur du livre «State of Palestine NOW: Practical and logical arguments for the best way to bring peace to the Middle East».


1979 : La révolution iranienne, le siège de La Mecque et l'invasion soviétique de l'Afghanistan

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  • Les événements sismiques de 1979 ont remodelé le Moyen-Orient, alimentant l'extrémisme, les hostilités régionales et les conflits mondiaux qui continuent de se répercuter aujourd'hui

RIYAD – Dans une région où les bouleversements géopolitiques sont presque monnaie courante, la triple onde de choc de 1979 a fait de cette année un tournant exceptionnel, hors du commun.

La révolution iranienne, le siège de La Mecque et l'invasion soviétique de l'Afghanistan ont été reliés par un seul et même fil conducteur : La naissance d'une forme d'extrémisme islamique qui allait avoir des conséquences catastrophiques pour des millions de personnes, et dont les répercussions se font encore sentir aujourd'hui dans le monde entier.

Les premiers grondements ont commencé l'année précédente, dans un contexte d'inquiétude généralisée en Iran face au régime de plus en plus oppressif du shah Mohammed Reza Pahlavi, dont les réformes de la "révolution blanche" étaient perçues par beaucoup comme poussant l'occidentalisation du pays trop loin et trop vite.

En janvier 1978, une manifestation religieuse dans la ville de Qom, centre d'études chiites situé à 130 kilomètres au sud-ouest de la capitale, Téhéran, a été violemment réprimée par les forces de sécurité qui ont ouvert le feu, tuant jusqu'à 300 manifestants, principalement des étudiants du séminaire.

Les manifestations se sont étendues aux villes du pays et ont culminé à la fin de l'année par des grèves et des protestations généralisées pour exiger le départ du shah et le retour du grand ayatollah Khomeini de son exil en France.

Comment nous l'avons écrit

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Le journal a couvert la "première crise majeure" du gouvernement iranien lorsque les troupes pro-Chah ont affronté les manifestants à Ahwaz, ravivant les tensions dans le contexte d'un tremblement de terre simultané.

Le 16 janvier 1979, le chah et sa famille quittent l'Iran pour ne plus jamais y revenir. Le 1er février, Khomeini est arrivé à l'aéroport de Mehrabad à Téhéran, débarquant d'un vol Air France en provenance de Paris après 15 ans d'exil, accueilli dans le tumulte par des millions d'Iraniens.

En l'espace de dix jours, les derniers vestiges de l'ancien régime se sont effondrés et Shapour Bakhtiar, le premier ministre nommé par le chah à peine un mois plus tôt, a pris le chemin de l'exil.

Le 1er avril 1979, les résultats d'un référendum national sont révélés et, avec le soutien de plus de 98 % des électeurs, Khomeini déclare la création de la République islamique d'Iran, dont il sera le chef suprême.

La révolution iranienne a été fondée sur une base constitutionnelle sectaire qui mettait l'accent sur l'exportation de son idéologie révolutionnaire, ce qui a alimenté les tensions sectaires dans toute la région.

La révolution a introduit la théorie de la tutelle du juriste (Wilayat Al-Faqih), un principe sectaire qui place le juriste islamique, ou expert en droit islamique, au-dessus de l'État et de son peuple, lui accordant l'autorité ultime en matière de relations étrangères et de sécurité nationale.

Le juriste gardien se perçoit comme le chef de tous les musulmans du monde, son autorité ne se limitant pas aux Iraniens ni même aux chiites. C'est cette prétention au leadership universel qui a le plus alarmé les autres pays de la région, car cette théorie fait fi de la souveraineté des États, favorise les groupes sectaires et accorde au régime révolutionnaire le "droit" d'intervenir dans les affaires des autres nations.

L'attachement de la nouvelle République islamique au principe de l'exportation de sa révolution a encore exacerbé les hostilités régionales, la guerre Iran-Irak qui a éclaté en 1980 en étant le point de départ.

Le programme révolutionnaire de l'Iran avait cherché à affaiblir l'Irak, un pays arabe essentiel, en incitant et en soutenant les groupes et les milices chiites par l'entraînement, l'aide financière et les armes. En fin de compte, ce sont ces groupes qui ont formé la base des milices que l'Iran a largement exploitées après l'invasion américaine de l'Irak en 2003, lorsque le régime Baas de Saddam Hussein a chuté.

Il n'a pas fallu longtemps pour que les craintes des voisins de l'Iran de voir la révolution se propager dans toute la région se concrétisent.

Le 20 novembre 1979, après la prière de l'aube dans la Grande Mosquée de La Mecque, plus de 200 hommes armés, dirigés par Juhayman al-Otaibi, un extrémiste religieux, se sont emparés du site sacré et ont annoncé que le Mahdi tant attendu, l'annonciateur du jour du jugement, prophétisé pour apporter la justice après une période d'oppression, était apparu. Ce prétendu Mahdi était le beau-frère d'Al-Otaibi, Mohammed Al-Qahtani.

Al-Otaibi demande à ses partisans de fermer les portes de la mosquée et de placer des tireurs d'élite au sommet de ses minarets, qui dominent La Mecque. Pendant ce temps, l'homme identifié comme le Mahdi, qui se croyait sous protection divine, a été rapidement abattu par les forces spéciales saoudiennes lorsqu'il est apparu lors des affrontements sans protection.

Le siège de La Mecque s'est poursuivi pendant 14 jours et s'est achevé par la capture et l'exécution d'Al-Otaibi et de dizaines de ses compagnons d'insurrection survivants.

Bien qu'il n'y ait aucune preuve de l'implication directe de l'Iran dans la prise de la Grande Mosquée, le climat révolutionnaire en Iran a été une source d'inspiration idéologique pour de nombreux mouvements extrémistes et organisations armées au cours de cette période.

La réponse énergique du gouvernement saoudien au siège a envoyé un message clair et sans équivoque aux factions extrémistes : la rébellion et les idéologies violentes ne seraient pas tolérées. Cette stratégie de dissuasion s'est avérée déterminante pour préserver le royaume de nouvelles violences et de nouvelles effusions de sang.

Comment nous l'avons écrit

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Arab News a rapporté la fin du siège, citant 75 "renégats" tués, 135 capturés et 60 soldats saoudiens morts "au service de Dieu".

Mais l'année 1979 cachait un autre choc. Le 25 décembre, un peu plus d'un mois après la fin du siège de La Mecque, les troupes soviétiques envahissent l'Afghanistan.

L'invasion a eu lieu au cours d'une période d'intense instabilité politique dans le pays. En 1978, le président Mohammed Daoud Khan et sa famille ont été renversés et tués par Nur Mohammed Taraki, un communiste.

Le règne de Taraki a été de courte durée : son ancien camarade de parti, Hafizullah Amin, s'est emparé du pouvoir et l'a tué. Les tentatives d'Amin d'aligner l'Afghanistan plus étroitement sur les États-Unis ont incité les Soviétiques à orchestrer son assassinat et à le remplacer par Babrak Karmal, un communiste plus fiable, s'assurant ainsi une direction plus docile.

L'intervention soviétique a été motivée par plusieurs raisons. Sur le plan économique, la richesse en ressources naturelles de l'Afghanistan en faisait une cible de choix. Sur le plan politique, l'invasion visait à soutenir le régime communiste chancelant et à s'assurer qu'aucun gouvernement hostile n'émerge en Afghanistan, un voisin clé dans la sphère géopolitique immédiate de l'Union soviétique.

Cet objectif était particulièrement important dans le contexte plus large de la guerre froide, où les États-Unis s'efforçaient activement de contrer l'influence soviétique en encerclant l'Union soviétique et en freinant ses ambitions expansionnistes.

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Arab News rapporte que le ministre afghan Muhammad Abdo Yamani a exhorté l'Autriche à exiger le départ des forces soviétiques d'Afghanistan et a suggéré un embargo pour faire pression sur leur retrait.

En Afghanistan, l'armée soviétique s'est heurtée à une forte résistance de la part des moudjahidines islamistes, qui bénéficiaient d'un soutien important de la part des puissances internationales, en particulier des États-Unis et de leurs alliés régionaux, et l'intervention s'est finalement avérée vaine.

Pendant dix ans, l'Union soviétique a subi d'importantes pertes humaines et matérielles en Afghanistan, mais n'a pas réussi à reprendre le contrôle et la stabilité politique du pays grâce au système politique qu'elle avait adopté. Ce système manquait de légitimité populaire et ne contrôlait qu'un territoire limité, le reste du pays restant sous le contrôle des forces d'opposition.

Tous ces facteurs ont finalement contraint l'armée soviétique à se retirer d'Afghanistan après près d'une décennie. La guerre civile qui s'ensuivit aboutit à l'arrivée au pouvoir des Talibans en 1996.

L'invasion soviétique de l'Afghanistan a eu des conséquences considérables. Sur le plan géopolitique, elle a révélé les limites de l'armée soviétique, et l'échec en Afghanistan a coïncidé avec le déclin politique et économique interne de l'Union soviétique, son incapacité à rivaliser avec les États-Unis dans la course aux armements et l'éclatement de soulèvements populaires dans les pays qui avaient adopté le modèle socialiste.

En tant que telle, l'invasion est largement considérée comme un facteur majeur ayant contribué à l'effondrement final de l'Union soviétique.

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Les résistants afghans ont repoussé l'invasion soviétique au prix d'un immense sacrifice humain et d'une aide importante de l'Occident, en particulier des États-Unis. On estime à 1,5 million le nombre d'Afghans qui ont trouvé la mort dans ce conflit. (AFP)

La guerre est également devenue un terreau fertile pour les mouvements extrémistes djihadistes. Les Arabes et les musulmans qui ont rejoint la résistance afghane ont trouvé dans le conflit une plateforme unificatrice, attirant des dirigeants et des combattants de plusieurs pays du monde islamique.

À leur retour dans leur pays, ces individus ont apporté avec eux une expertise militaire et des idéologies radicales. Cet environnement a facilité la création d'organisations terroristes, ces vétérans cherchant à reproduire la lutte armée pour renverser les régimes dans leur propre pays.

Le produit le plus marquant de ce phénomène est Oussama ben Laden, né en Arabie saoudite, qui a combattu aux côtés des moudjahidines contre les Soviétiques en Afghanistan. Il a fondé le groupe terroriste Al-Qaida, qui s'est imposé comme une force de premier plan parmi les organisations religieuses extrémistes.

Ben Laden et Al-Qaida ont joué un rôle crucial dans la vague mondiale de terrorisme qui a culminé avec les attentats du 11 septembre 2001 contre les États-Unis et toutes les répercussions qui en ont découlé. L'invasion de l'Afghanistan par une coalition dirigée par les États-Unis en 2001 et la montée en puissance de groupes terroristes soutenus par l'Iran en Irak après le renversement de Saddam Hussein en 2003, qui ont finalement conduit à la montée en puissance de Daesh, en sont des exemples.

Mohammed Al-Sulami dirige l'Institut international d'études iraniennes (Rasanah).

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com