ANKARA: Une réunion surprise de haut niveau à Bruxelles entre la Turquie, la Grèce et l’Allemagne a fait naître l’espoir que les liens tendus entre Athènes et Ankara puissent être améliorés grâce à la médiation de la puissance politique et économique de l’Union européenne (UE).
Le porte-parole présidentiel turc, Ibrahim Kalin; le conseiller en politique étrangère et de sécurité de la Chancellerie allemande, Jens Ploetner, et la directrice du bureau diplomatique du Premier ministre grec, Anna-Maria Boura, se sont rencontrés dans le but de renforcer les canaux de communication entre la Turquie et la Grèce, deux alliés de l’Organisation du traité de l’Atlantique nord (Otan).
Aucune autre information n’a été publiée au sujet de la réunion organisée par Berlin et se déroulant au bureau de la représentation allemande auprès de l’UE.
Cette réunion fait suite aux récentes menaces du président turc, Recep Tayyip Erdogan, selon lesquelles le missile balistique national à courte portée récemment testé par Ankara, baptisé «Tayfun», pouvait frapper Athènes dans le cas où «le calme ne régnerait pas» et si Athènes «arme les îles».
La Turquie et la Grèce sont en désaccord sur plusieurs problèmes profondément enracinés, allant des survols au renforcement militaire dans les îles grecques près du littoral de la Turquie, l’exploration des ressources minérales dans la mer Égée et les revendications concurrentes pour les eaux côtières.
Les accords antérieurs entre les deux pays exigeraient que les îles restent démilitarisées.
M. Erdogan a proféré des menaces directes à plusieurs reprises contre la présence militaire grecque sur les îles: «Nous pourrions venir soudainement une nuit.»
Cependant, le ministre grec des Affaires étrangères a publié une déclaration au début du mois de décembre: «Les déclarations des responsables turcs sur la démilitarisation des îles de la mer Égée ont été à plusieurs reprises rejetées dans leur intégralité sur la base d’une série d’arguments, figurant d’ailleurs dans les lettres pertinentes que la Grèce a envoyées au secrétaire général de l’Organisation des nations unies (ONU).»
Durant le conflit, l’Allemagne a toujours tenté d’apaiser les deux partenaires de l’Otan et d’agir en tant que médiateur.
En octobre, le chancelier allemand, Olaf Scholz, a exhorté Ankara à mettre fin à ses menaces contre la Grèce au sujet des îles et il a appelé les deux parties à résoudre leur conflit par le biais du droit international.
Jannes Tessmann, chef du bureau d’Istanbul de la fondation allemande Stiftung Mercator, a souligné que l’Allemagne avait tout intérêt à résoudre le conflit méditerranéen entre la Grèce et la Turquie pour un certain nombre de raisons.
M. Tessmann déclare à Arab News: «Il y a toutefois des raisons de ne pas avoir de grandes attentes à l’égard des pourparlers: les élections entre les deux pays rendent les concessions compliquées. D’ailleurs, l’Allemagne a perdu sa crédibilité en tant que médiateur après la dernière visite de la ministre allemande des Affaires étrangères, Annalena Baerbock, en Turquie et en Grèce. Elle a été accusée par le ministre turc des Affaires étrangères, Mevlut Cavusoglu, d’être partisane.»
Lors d’une conférence de presse conjointe à Istanbul au mois de juillet dernier, les ministres des Affaires étrangères turc et allemand se sont disputés au sujet des différends entre Ankara et Athènes. M. Cavusoglu affirme que l’Allemagne avait perdu son impartialité entre la Turquie et la Grèce.
Selon Jannes Tessmann, il y a peu de pays en dehors de l’UE avec lesquels l’Allemagne entretient des relations aussi étroites que la Turquie.
Par conséquent, les développements en Turquie ont souvent un impact direct sur l’Allemagne, en termes économique, social et politique.
De ce point de vue, les experts notent que toute normalisation des liens entre Ankara et Athènes pourrait approfondir les perspectives de coopération dans d’autres domaines et apporterait par la suite des avantages à tous.
Kristian Brakel, chef de la fondation Heinrich-Böll, indique que cette réunion était une étape prometteuse pour que les parties négocient à nouveau.
«Avec les élections à venir dans les deux pays en 2023, la désescalade est la priorité pour l’instant.»
Il ajoute: «À mon avis, aucun des deux pays ne veut un vrai conflit. Ainsi, s’entendre sur un mécanisme simple ou sur des lignes rouges qui garantiraient que la rhétorique passionnée ne conduise pas à des affrontements accidentels vaudrait beaucoup.»
M. Tessmann abonde dans ce sens, affirmant que la guerre de la Russie avait renforcé l’importance de la Turquie en tant qu’acteur géopolitique et partenaire de l’Otan.
«Les décideurs européens en sont conscients, mais le conflit en Méditerranée orientale rend la coopération constructive avec la Turquie compliquée», souligne-t-il.
Les canaux de communication entre Athènes et Ankara se sont fermés, surtout après la déclaration de M. Erdogan indiquant que le Premier ministre grec, Kyriakos Miksotakis, «n’existe plus» pour lui après que ce dernier a fait pression afin de bloquer les ventes d’avions de combat F-16 à la Turquie lors de sa visite aux États-Unis.
Ebru Turhan, professeure agrégée d’études européennes à l’université turco-allemande, attire l’attention sur les tentatives antérieures de l’Allemagne sous la direction d’Angela Merkel de servir de médiateur entre les deux alliés de l’Otan.
Elle déclare à Arab News: «Au cours de la période 2020-2021, l’Allemagne a servi de médiateur central entre la Grèce et la Turquie dans l’atténuation de la crise de la Méditerranée orientale.»
«En raison de sa position équilibrée envers les deux pays et son refus d’imposer des sanctions sévères à la Turquie, le gouvernement fédéral allemand de l’époque était perçu comme un médiateur crédible par Ankara.»
Cependant, après la visite de M. Scholz à Athènes en octobre et les perspectives d’un accord sur les armes entre Athènes et Berlin, Ebru Turhan précise que le rôle de l’Allemagne en tant que gestionnaire de crise fiable s’était détérioré aux yeux de l’élite politique et des médias turcs.
Elle déclare: «Avec une approche nuancée et constructive à la fois envers la Turquie et la Grèce, le gouvernement fédéral allemand pourrait retrouver son rôle de médiateur équilibré et fiable dans cette crise.»
«Cela permettrait également de modérer la politisation et la médiatisation des relations germano-turques avant les prochaines élections turques et d’améliorer les relations bilatérales.»
Afin de rétablir leurs relations tendues, Mme Turhan souligne que la Grèce et la Turquie devraient se concentrer sur la dépolitisation et la suppression de l’influence des médias dans leur dialogue.
«L’élite politique des deux pays devrait négocier et délibérer sur les défis communs à huis clos dans un cadre professionnel, plutôt que de revenir à des déclarations publiques dures – ce que nous appelons aussi la “diplomatie du mégaphone”.»
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com