Dans l’approche que proposent les États-Unis d’un continent où les répercussions des intérêts nationaux concurrents entre puissances lointaines et prétendants à l’hégémonie se font ressentir, il est un peu troublant que la plus grande puissance économique et militaire du monde préfère se reléguer elle-même au second plan en Afrique plutôt que de poursuivre une politique cohérente qui serait de nature à mieux préserver ses prétendus idéaux.
Au cours des dernières décennies, une présence américaine insuffisamment positive au Maghreb, au Sahel et dans la Corne de l’Afrique a avant tout donné la priorité aux opérations de contre-terrorisme et aux interventions humanitaires concomitantes, bien que ces dernières aient été limitées.
Au fil des années, des milliards de dollars ont été versés dans des guerres sans fin contre les «éléments indésirables». Ils ont servi de préambule aux promesses de reconstruire ou de restaurer un semblant de paix, d’ordre et de stabilité. Cependant, il suffit d’une réflexion hâtive pour se rendre compte du peu d’exploits accomplis là où tant d’efforts ont été déployés.
Notre but n’est pas de critiquer les intentions des États-Unis en Afrique d’ici à 2050, ce qui est pourtant nécessaire compte tenu de l’approche hypocrite, paternaliste et de «bâton sans carotte» qui a très peu changé tout au long de l’ère coloniale et même après la guerre froide.
Plutôt que de jouer un rôle actif dans la promotion de la démocratisation, la refonte de la géopolitique sur le continent et la mise en place de partenariats mutuellement bénéfiques, les politiques occidentales ont toujours privilégié les «victoires» à court terme qui ont parié sur des régimes répressifs pour maintenir un semblant de stabilité.
En conséquence, la violence extrémiste a triplé au cours de la dernière décennie, doublant au cours des trois dernières années seulement. Outre le bilan humanitaire qui résulte de l’accélération de l’«autoprédation» des États, les périodes prolongées d’instabilité et d’insécurité compromettent également les efforts déployés à l’échelle mondiale pour lutter, par exemple, contre les effets invalidants du changement climatique, de la faim, de la pauvreté et de l’analphabétisme dans le monde. Les balles, les bombes et les mortiers comblent le vide laissé par l’échec du dialogue et d’édification de l’État, à supposer qu’ils aient été initiés.
Sans surprise, des décennies de négligence et de diplomatie égoïste pratiquée par les administrations républicaines et démocrates à Washington ont laissé place à une méfiance sensible à travers l’Afrique, alors que des tensions géopolitiques apparaissent dans le monde entier.
Des dirigeants plus affirmés, qui envisagent une certaine influence dans les divisions croissantes entre les principales puissances mondiales, sont de plus en plus résistants aux ouvertures douteuses de l’Occident. Ils préfèrent renforcer les liens politiques et économiques avec la Chine et les liens de sécurité avec la Russie.
Si l’on prend un peu de recul, on constate que la nostalgie des beaux jours où Washington, Bruxelles, Paris ou Berlin dictaient les affaires sur le continent apparaît très faible. D’autre part, l’appréciation renouvelée et l’intensification de la concurrence au sujet du vaste potentiel inexploité de l’Afrique ont suscité une nouvelle ruée vers le continent, avec l’apparition de nouvelles ambassades, l’expansion rapide des liens commerciaux et l’augmentation des liens de défense, même parmi les acteurs géopolitiques non traditionnels.
Si les États-Unis veulent que leurs efforts en Afrique portent leurs fruits cette fois, ils doivent redoubler de zèle, car le continent a démontré à plusieurs reprises qu’il n’avait aucun scrupule à collaborer avec les rivaux de Washington.
Hafed al-Ghwell
La Maison Blanche espérait renverser cette dynamique émergente en convoquant la semaine dernière un sommet de dirigeants américano-africains – le premier depuis 2014 – qui encouragerait une stratégie retravaillée avec moins d’armes et plus de gouvernance. Après tout, la notoire insuffisance de cette dernière reste un facteur majeur de dépit, d’extrémisme violent, de partisanerie, de terrorisme et/ou d’absence d’État de droit dans les sous-régions africaines. Cela alimente à son tour les menaces transnationales existantes ou en parraine de nouvelles, ce qui incite les forces rivales à intervenir et à compliquer la dynamique des conflits, rendant la consolidation de la paix et la restauration de l’État encore plus difficiles.
Dans le Nord, par exemple, la mauvaise gouvernance a décimé toute probabilité que la Tunisie devienne le premier État véritablement démocratique du monde arabe, après les bouleversements qu’a connus ce pays en 2011 et la décennie de consternation qui a suivi.
En attendant, la Libye reste profondément fragmentée, alors que nombre d’acteurs externes rivalisent pour guider la trajectoire du pays, à travers une transition troublée, vers un état final encore indéfini, avec une très faible participation du peuple libyen ordinaire, qui porte le fardeau d’un malaise sans fin.
Ailleurs, à travers le Sahel, des stratégies antiterroristes ont échoué, ce qui a entraîné la marginalisation des citoyens alors que leurs gouvernements, compromis par la corruption et l’incompétence, déchaînent des forces de sécurité irresponsables contre le peuple, exacerbant le mécontentement et alimentant l’émergence de groupes extrémistes qui bénéficient du soutien d’habitants désespérés.
En Afrique de l’Ouest, le partenariat américano-nigérian établi pour combattre Boko Haram, un groupe affilié de Daech, souffre de la même malveillance immuable des interventions sécuritaires ratées, ce qui a conduit les forces gouvernementales nigérianes à perpétrer certains des pires exemples d’atteintes aux droits humains avec des armes achetées aux Américains.
La Corne de l’Afrique constitue peut-être la plus grande preuve que des interventions de plusieurs années axées sur la sécurité n’ont pas encore réussi à inverser la tendance dans une partie instable du monde. La lutte sans fin contre Al-Chabab a entraîné des pertes civiles inutiles lors de frappes aériennes et d’opérations militaires conjointes américano-somaliennes, ce qui n’a fait qu’alimenter la propagande de ce groupe extrémiste lié à Al-Qaïda et le recrutement de jeunes mécontents.
Des exemples aussi innombrables qu’horribles servent de sombres rappels du triste héritage de l’Occident – une combinaison d’absentéisme, de paternalisme autoritaire et de stratégies d’ancrage déséquilibrées en Afrique.
Grâce à sa nouvelle stratégie annoncée au mois d’août et présentée lors du sommet de la semaine dernière, les États-Unis cherchent à se dissocier de leurs échecs historiques en matière de formation, d’équipement et de partenariat avec des éléments connus pour leurs violations des droits de l’homme et leur propension à faire s’effondrer l’État, tout simplement parce qu’ils pourraient contrer le terrorisme ou mener des opérations de contre-insurrection.
Dans l’ensemble, l’administration actuelle de Washington coche toutes les cases lorsqu’elle parle de sociétés ouvertes, de dividendes de démocratisation, de changement climatique, de justice énergétique et de possibilités économiques, autant de problèmes cruciaux qui doivent être abordés dans le cadre des efforts de réinitialisation d’une relation tendue entre les États-Unis et le peuple africain ainsi que leurs dirigeants.
Cependant, ces efforts ne doivent pas s’arrêter aux expressions idéalistes, aux discours entraînants ni aux belles paroles sur la nécessité de reconnaître l’Afrique comme un acteur majeur susceptible d’aider à résoudre un certain nombre de problèmes internationaux sur lesquels les États-Unis ne sauraient progresser sans la contribution et l’approbation du continent. Washington devrait simplement déployer davantage d’efforts.
Les bonnes intentions doivent être accompagnées d’investissements réels dans l’amélioration de la gouvernance et les priorités susmentionnées, qui sont toujours à la traîne alors même que la crédibilité des États-Unis est en jeu sur un continent qui prend lentement conscience des réalités changeantes d’un monde fragmenté.
Pour chaque dollar actuellement investi sur le continent (1 dollar = 0,94 euro), seuls cinq centimes servent à remédier aux fragilités sous-jacentes qui minent tout progrès que Washington espère faire afin de redorer son blason et de restaurer la crédibilité de sa stratégie de réengagement.
Si les États-Unis veulent que leurs efforts en Afrique portent cette fois leurs fruits, ils doivent redoubler de zèle. En effet, le continent a démontré à plusieurs reprises qu’il n’avait aucun scrupule à collaborer avec les rivaux de Washington, même s’il préférerait aggraver les conflits ou prolonger le malaise au lieu de collaborer de bonne foi sur une série d’enjeux communs.
Hafed al-Ghwell est chercheur principal et directeur exécutif de l’Initiative stratégique d’Ibn Khaldoun au Foreign Policy Institute de la John Hopkins University School of Advanced International Studies, à Washington. Il a précédemment occupé le poste de président du conseil d’administration du Groupe de la Banque mondiale.
Twitter: @HafedAlGhwell
NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com