RAMALLAH: Des journalistes palestiniens racontent à Arab News de quelle manière ils sont régulièrement la cible de l’armée, de la police et des colons israéliens.
Sous pression, des médias internationaux connus retirent des contenus de leurs sites, ce qui rend très difficile la tâche de couvrir objectivement la violence des autorités israéliennes dans la région.
Des journalistes déclarent à Arab News qu’Israël leur a effectivement déclaré la guerre avec la mort de la correspondante d’Al Jazeera Shireen Abu Akleh au mois de mai dernier.
Des membres de la presse sont régulièrement blessés, arrêtés et harcelés par les forces israéliennes, qui les empêchent de voyager hors de Cisjordanie vers la Jordanie, Israël ou même la bande de Gaza, affirment-ils, ajoutant que les médias étrangers pour lesquels ils travaillent sont contraints de les expulser.
Environ mille deux cents journalistes palestiniens en Cisjordanie pensent que les atrocités régulièrement perpétrées contre eux – hors ligne et en ligne – font partie d’une campagne israélienne destinée à les empêcher de dénoncer les crimes de l’armée et de la police d’Israël.
EN BREF
Bien que les médias internationaux aient mené des enquêtes approfondies sur le meurtre de la journaliste Abu Akleh, les médias israéliens, eux, n’ont mené aucune investigation. Les Palestiniens les ont accusés de se rallier au récit de Tsahal sur la partie responsable.
Le 11 mai, des soldats israéliens ont tué la journaliste Abu Akleh à la périphérie de Jénine pendant qu’elle couvrait un raid. Elle a été abattue alors qu’elle portait une veste «presse», tandis que son producteur, Ali Samoudi, a été blessé. Les Forces de défense israéliennes ont initialement accusé des hommes armés palestiniens d’être responsables de l’incident, mais, sous la pression internationale, elles ont admis que leurs troupes étaient peut-être à l’origine des tirs.
Ghaida Abu Farha, responsable de la documentation des violations israéliennes contre les journalistes au ministère palestinien de l’Information, déclare à Arab News qu’il s’agit notamment de détenir des reporters sur les lieux des événements jusqu’à la fin de ces derniers, de confisquer ou de détruire du matériel de presse palestinien et d’empêcher les journalistes basés à Jérusalem de pénétrer dans la mosquée Al-Aqsa.
Elle déclare que les forces de sécurité ne reconnaissent pas les cartes d’identité des journalistes palestiniens locaux et internationaux. Au mois de mai, quarante-quatre incidents ont été enregistrés au cours desquels des journalistes palestiniens ont été battus. En juin, dix-sept comptes de journalistes palestiniens sur les réseaux sociaux ont été bloqués sous la pression israélienne. En octobre, on a documenté douze incidents qui ont empêché les journalistes de couvrir des événements. En novembre, deux insultes racistes de la part de colons contre des journalistes ont été enregistrées.
Le même mois, Tsahal a saisi la clé de voiture et la carte de presse du journaliste Saïf al-Qawasmi près du poste de contrôle militaire de Kalandia, au nord de Jérusalem.
Le 23 novembre, des colons israéliens ont attaqué l’équipe de France 24 à Jérusalem-Ouest lors de la couverture d’une explosion à la bombe. De jeunes Israéliens ont interrompu une émission en direct de la correspondante de la chaîne, Laila Odeh, et du caméraman, Nader Baybars, en utilisant des insultes racistes et en scandant «mort aux Arabes» et «retournez à Gaza».
Après cet incident, la caméra de la chaîne a été détruite. La police israélienne n’est pas intervenue malgré les appels à l’aide de la correspondante.
Le 3 septembre, la police israélienne a arrêté la journaliste de Jérusalem-Est Lama Ghosheh après qu’elle a écrit un message sur sa page Facebook qui rendait hommage à un Palestinien tué par la police israélienne. Elle a été libérée au bout d’une semaine et assignée à résidence.
Mamoun Wazwaz, photographe pour l’agence de presse chinoise Xinhua et l’agence turque Anadolu à Hébron, confie à Arab News qu’un soldat israélien lui a délibérément tiré dessus avec deux balles de métal le 11 mars alors qu’il filmait des affrontements entre de jeunes Palestiniens et des soldats israéliens dans le quartier de Bab al-Zawiya et dans la rue Al-Shuhada, à Hébron. Il se tenait pourtant loin des jeunes et portait une veste qui portait la mention «presse».
M. Wazwaz a déposé une plainte auprès de la police militaire israélienne contre le soldat en question, mais aucune mesure n’a été prise. Il hésite désormais à s’approcher des affrontements, redoutant d’être à nouveau pris pour cible.
«Souvent, le bon endroit pour prendre une photo se situe à proximité du champ de tir. Je préfère ne pas m’en approcher et me contenter d’une image de moindre qualité», explique M. Wazwaz.
Sa page Facebook a également été interdite.
M. Wazwaz indique que de tels incidents ont contraint les agences de presse à les empêcher de couvrir des événements importants et à limiter leur couverture de militants et de représentants d’institutions des droits de l’homme.
«Lorsque des événements violents se produisent, j’entre dans un état d’autoconflit: est-ce que je prends un risque en prenant des photos? J’ai une famille qui a besoin de moi, alors peut-être que je ne devrais pas mettre ma vie en danger», indique M. Wazwaz.
«Ils prennent les journalistes palestiniens pour cibles puisque ce sont les seuls à documenter leurs violations contre les Palestiniens.»
Mohammed Daraghmeh, un journaliste palestinien chevronné, déclare à Arab News que le fait de tuer des journalistes ou de les blesser l’affectait en tant que directeur de bureau d’une chaîne satellite arabe bien connue. Il a donc cessé d’envoyer les membres de son équipe couvrir des événements importants.
«Je suis cent fois plus prudent qu’avant en ce qui concerne la couverture sur le terrain, de peur qu’un membre de mon équipe ne soit tué ou blessé», souligne M. Daraghmeh.
Ali Samoudi, correspondant pour le journal local Al-Quds et producteur au sein d’Al Jazeera à Jénine, en Cisjordanie, confie à Arab News que le meurtre de sa collègue Abu Akleh ainsi que ses blessures par balle dans le dos constituent un message: les forces israéliennes tueront tous les journalistes palestiniens qui documentent les événements dans les territoires palestiniens.
«La présence de journalistes perturbe l’occupation et peut limiter sa liberté de commettre des crimes. Elle cherche donc à éloigner les journalistes des zones où elle opère», précise M. Samoudi.
L’année en cours est la pire pour les médias palestiniens depuis que M. Samoudi a commencé son travail de journaliste, il y a trente-deux ans. La violence de Tsahal contre les journalistes palestiniens a à ce point augmenté que de nombreux médias arabes et internationaux ont peur d’envoyer des équipes à Jénine, précise-t-il.
Bien que les médias internationaux aient mené des enquêtes approfondies sur le meurtre de la journaliste Abu Akleh, les médias israéliens, eux, n’ont entrepris aucune investigation. Les Palestiniens les ont accusés de se rallier au récit de Tsahal sur la partie responsable.
Le Syndicat des journalistes palestiniens dénonce les attaques systématiques contre les journalistes palestiniens et il soutient qu’elles découlent d’une décision israélienne officielle qui consiste à ne tolérer aucune couverture des crimes de l’occupation contre les Palestiniens.
Cependant, les autorités israéliennes ont nié avoir pris pour cibles des journalistes.
Le lieutenant-colonel Richard Hecht, porte-parole de Tsahal pour les médias internationaux, précise à Arab News: «Il est impossible que Tsahal tire intentionnellement sur des civils et des journalistes non impliqués. Si une erreur se produit, c’est tragique; il est impossible que ces
choses se produisent intentionnellement.»
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com