TUNIS: En Tunisie, le retard est quasiment un sport national. Comme les individus, les projets sont rarement à l’heure. Celui qui était supposé faire entrer le pays dans le club des grands producteurs d’électricité à partir des énergies renouvelables n’échappe pas à cette «règle».
D’après la stratégie de maîtrise de l’énergie dévoilée en 2014, la part des énergies renouvelables dans la consommation énergétique finale devait atteindre 6,9 % en 2020. Elle n’est aujourd’hui que de 4 %, d’après Abdelhamid Khalfallah, directeur de la transition énergétique au ministère de l’Industrie, des Mines et de l’Énergie.
Mais le gouvernement jure ses grands dieux qu’il veut combler le retard accumulé dans ce domaine. Il veut porter la part des énergies renouvelables dans le mix énergétique non pas à 12,4 % en 2030, comme initialement prévu en 2014, mais de – presque – la tripler, à 35 % à la même échéance.
Pourquoi la Tunisie a-t-elle raté son décollage alors que le Maroc, l’éternel concurrent, a déjà pris son envol dans ce domaine? «Les programmes étaient ambitieux, mais ils ont tardé à décoller», déplore Belhassen Chiboub, directeur général de l’électricité et des énergies renouvelables au ministère de l’Industrie, des Mines et de l’Énergie, en marge du Salon international de la transition énergétique, organisé en octobre dernier.
La Tunisie peut-elle atteindre ses nouveaux objectifs après avoir échoué une première fois? Ce n’est pas impossible, mais ce n’est pas gagné d’avance.
Comme dans la plupart des dossiers en Tunisie, notamment économiques, tout est affaire de volonté politique et de capacité des autorités à résoudre les deux problèmes qui ont le plus entravé le boom des énergies renouvelables.
Le premier est la rigidité réglementaire et les lourdeurs administratives qui rendent l’investissement dans ce domaine très compliqué. Les autorités semblent désormais disposées à régler ces problèmes. En ouverture du Salon international de la transition énergétique, Ahlem Béji, chef de cabinet de la ministre de l’Industrie, des Mines et de l’Énergie, a annoncé un train de réformes réglementaires «pour ouvrir la voie à l’investissement privé» dans les énergies renouvelables.
Saisissant la balle au bond, Hichem Elloumi, vice-président de l’Union tunisienne de l’industrie, du commerce et de l’artisanat (Utica), l’organisation patronale historique, a affirmé que la moitié de la capacité additionnelle de production «proviendra du secteur privé».
Ce dont les autorités elles-mêmes sont convaincues. «On ne peut pas demander à la Société tunisienne d’électricité et de gaz (Steg) d’investir 3,5 à 4 milliards de dinars (1 dinar tunisien = 0,30 euro) dans le développement des énergies renouvelables», reconnaît M. Chiboub.
Or, et c’est là la deuxième entrave au développement de la Tunisie dans les énergies renouvelables, la Steg ne l’entend pas de cette oreille. Sous la pression de son syndicat, le fournisseur public d’électricité est farouchement opposé à l’ouverture de ce secteur aux investisseurs privés. Et il l’a démontré d’une manière on ne peut plus claire en bloquant pendant près de trois ans la connexion à son propre réseau d’une centrale solaire construite à Tataouine (dans le sud, à 542 kilomètres de Tunis) par l’Entreprise tunisienne d'activités pétrolières (Etap, groupe public) et la société italienne ENI. «Ce problème a été surmonté», assure Lotfi Battikh, directeur général adjoint de la Steg. Il reste à prouver sur le terrain qu’il s’agit d’un virage stratégique et non d’un repli tactique et à le confirmer à Tataouine et ailleurs.