PARIS: Nicolas Sarkozy de retour à la barre: l'ancien président est rejugé en appel pour corruption et trafic d'influence à partir de lundi à Paris dans l'affaire des "écoutes", aux côtés de son avocat Thierry Herzog et de l'ex-haut magistrat Gilbert Azibert.
En première instance, à l'issue d'un procès électrique où il avait dénoncé des "infamies", M. Sarkozy s'était vu infliger le 1er mars 2021 trois ans d'emprisonnement, dont un ferme, devenant ainsi le deuxième président de la Ve République condamné par la justice, après Jacques Chirac en 2011.
La même peine avait été prononcée contre ses deux coprévenus dans ce sinueux dossier, qui fait se télescoper deux retentissantes affaires judiciaires et trouve son origine dans les interceptions téléphoniques de conversations entre M. Sarkozy et Me Herzog début 2014.
A l'époque, les deux téléphones de l'ex-homme fort de la droite ont été "branchés" par les juges chargés de l'enquête sur des soupçons de financement libyen de sa campagne de 2007, qui lui valent aujourd'hui une quadruple mise en examen.
Les enquêteurs découvrent alors l'existence d'une troisième ligne mise en service le 11 janvier 2014 sous l'alias "Paul Bismuth" - du nom d'une connaissance de lycée de Me Herzog - et dédiée aux échanges entre l'ex-président (2007-2012) et son avocat et ami proche.
Au fil de conversations qu'ils pensent à l'abri des oreilles indiscrètes se dessine, selon l'accusation, un pacte de corruption noué avec Gilbert Azibert, avocat général à la Cour de cassation, qui aurait usé de son influence contre la promesse d'une intervention pour sa carrière.
Sarkozy, Herzog, Azibert: les protagonistes de l'affaire des «écoutes»
Un ancien président, une star du barreau de Paris et un haut magistrat: Nicolas Sarkozy, Thierry Herzog et Gilbert Azibert sont jugés en appel à partir de lundi pour corruption et trafic d'influence dans l'affaire des "écoutes", également appelée "Bismuth".
Voici ce qui leur est reproché:
Nicolas Sarkozy, 67 ans
Il est devenu avec ce dossier le premier ancien président de la Ve République condamné à de la prison ferme.
L'affaire trouve son origine dans des conversations téléphoniques interceptées dans le cadre de l'enquête sur des soupçons de financement libyen de sa campagne victorieuse en 2007. Ce placement sur écoute débute en septembre 2013.
Les policiers découvrent que Nicolas Sarkozy utilise un téléphone secret, ouvert en janvier 2014 sous l'identité de "Paul Bismuth", pour communiquer avec un unique interlocuteur, son avocat.
Les deux hommes s'entretiennent notamment d'une procédure devant être examinée le 11 février par la Cour de cassation: Nicolas Sarkozy a formé un pourvoi pour faire annuler la saisie de ses agendas présidentiels dans l'affaire Bettencourt.
Un contact de Thierry Herzog au sein de la haute juridiction, "Gilbert", plus tard identifié comme le magistrat Gilbert Azibert, revient dans une dizaine d'échanges sur environ 150 conversations en six semaines.
L'ex-président est soupçonné d'avoir promis d'aider Gilbert Azibert à obtenir un poste de prestige à Monaco, qu'il n'aura finalement pas, en échange d'informations sur la décision à venir de la Cour, par l'intermédiaire de son avocat.
Nicolas Sarkozy s'en est toujours vigoureusement défendu, y compris à la barre lors du premier procès fin 2020.
Le tribunal a au contraire estimé qu'un "pacte de corruption" a bien été conclu, des faits "d'une particulière gravité ayant été commis par un ancien président de la République, qui a été le garant de l'indépendance de la justice".
Thierry Herzog, 67 ans
Ami de plus de trente ans et avocat historique de Nicolas Sarkozy, Thierry Herzog est un grand nom du barreau de Paris.
Il a été de tous les combats judiciaires de son ami, le représentant dans le scandale Clearstream - où Nicolas Sarkozy était partie civile. Il est resté son conseil lorsque ce dernier a accédé à la présidence en 2007 et a obtenu un non-lieu en sa faveur dans l'affaire Bettencourt.
Le pénaliste a assis sa réputation en défendant Xavière Tiberi dans le dossier des HLM de la ville de Paris, puis Jean Tiberi dans l'affaire des faux électeurs du Ve arrondissement. Il est aussi un habitué des dossiers de grand banditisme.
Dans l'affaire "Bismuth", il est jugé, comme l'ex-président, pour "corruption active" et "trafic d'influence actif". Il est également poursuivi pour "violation du secret professionnel", pour avoir transmis au haut magistrat un arrêt dans l'affaire Bettencourt couvert par le secret.
"Je n'ai commis aucune infraction", a-t-il clamé à la barre, sans sa robe, lors du premier procès.
Gilbert Azibert, 75 ans
Avocat général dans une chambre civile de la Cour de cassation au moment des faits, Gilbert Azibert est accusé d'avoir voulu influencer l'avocat général en charge du dossier Bettencourt à la chambre criminelle et les conseillers y siégeant afin qu'ils rendent une décision favorable à Nicolas Sarkozy, en échange de son intervention auprès des autorités monégasques.
Des accusations balayées par la défense. Thierry Herzog, qu'il connaissait depuis vingt-cinq ans, a expliqué lui avoir simplement demandé son avis en tant que spécialiste de la procédure pénale.
Une version qui n'a pas convaincu le tribunal: il a jugé que M. Azibert s'était "non seulement affranchi de façon persistante de ses obligations déontologiques", mais qu'il avait "aussi trahi la confiance de ses collègues".
L'affaire des "écoutes" est le seul accroc dans la carrière de Gilbert Azibert, un homme de réseaux classé à droite qui a fait ses premières armes comme substitut à Marseille en 1976, qui a notamment dirigé l'Ecole nationale de la magistrature (ENM).
En 2008, il est devenu secrétaire général du ministère de la Justice, auprès de Rachida Dati - il est alors considéré par certains comme le "garde des Sceaux bis".
Il a pris sa retraite en juillet 2014.
«Coup de pouce»
Ce haut magistrat est accusé d'avoir œuvré en coulisses pour peser sur une décision qui intéressait au plus haut point l'ancien chef de l'Etat et devait être rendue par la Cour de cassation.
A l'époque, la haute juridiction était saisie d'un pourvoi de Nicolas Sarkozy, qui voulait faire annuler la saisie de ses agendas présidentiels dans le cadre de l'enquête pour abus de faiblesse sur l'héritière de L'Oréal Liliane Bettencourt.
M. Azibert est soupçonné d'avoir eu connaissance, en amont, d'informations confidentielles et d'avoir tenté d'influencer des conseillers participant aux délibérations.
"Il a bossé, hein ?", se félicite Me Herzog sur la ligne "Bismuth" où il fait part à Nicolas Sarkozy du souhait du magistrat d'obtenir "peut-être un coup de pouce" pour un poste à Monaco.
D'après les interceptions, Nicolas Sarkozy promet alors à son avocat d'activer ses réseaux sur Le Rocher pour "faire monter" M. Azibert. "Je m'en occuperai parce que moi je vais à Monaco et je verrai le Prince", assure-t-il.
Finalement, M. Azibert ne décrochera pas le poste convoité et la Cour de cassation rejettera le pourvoi de Nicolas Sarkozy dans l'affaire des agendas. Le point de savoir s'il est intervenu auprès des autorités monégasques reste discuté.
Selon la défense, c'est la preuve que le pacte corruptif n'est qu'un "fantasme".
L'ex-président Nicolas Sarkozy rattrapé par les affaires judiciaires
L'ancien président Nicolas Sarkozy, dont le procès en appel dans l'affaire dite des "écoutes" s'ouvre lundi, vit sa retraite politique sous forte pression judiciaire.
Première condamnation
Dans cette affaire, Nicolas Sarkozy a été condamné en première instance, le 1er mars 2021, par le tribunal correctionnel de Paris à trois ans de prison, dont un ferme, pour corruption et trafic d'influence.
Il a été reconnu coupable d'avoir tenté, avec son avocat Thierry Herzog, d'obtenir d'un haut magistrat, Gilbert Azibert, des informations couvertes par le secret, voire d'une influence, sur un pourvoi en cassation qu'il avait formé dans l'affaire Bettencourt. En échange: la promesse d'un soutien pour un poste à Monaco.
L'ancien chef de l’État a fait appel.
Bis repetita dans Bygmalion
Nicolas Sarkozy est à nouveau condamné, sept mois plus tard, à un an de prison ferme dans le dossier Bygmalion pour le financement illégal de sa campagne présidentielle perdue de 2012.
Contrairement à ses 13 coprévenus (anciens cadres de la campagne et de l'UMP ainsi que de la société Bygmalion), l'ex-président n'était pas mis en cause pour le système de fausses factures imaginé pour masquer l'explosion des dépenses de campagne autorisées, mais pour avoir dépassé le seuil légal de ces dépenses de plus de 20 millions d'euros.
Il fait appel. Son procès s'ouvrira le 8 novembre 2023.
Mis en examen
La justice le soupçonne également d'avoir financé sa campagne 2007 avec des fonds occultes libyens. Cette retentissante enquête s'est ouverte après la publication par Mediapart en 2012 de documents affirmant que Tripoli aurait, en 2006, donné son accord pour un financement de 50 millions d'euros.
Nicolas Sarkozy, qui conteste les faits, a été mis en examen le 21 mars 2018 pour corruption passive, financement illégal de campagne électorale et recel de fonds publics libyens, puis le 12 octobre 2020 pour association de malfaiteurs.
En octobre, les juges d'instruction ont annoncé avoir bouclé l'enquête mais ils n'ont pas encore indiqué s'ils ordonneront ou pas un procès.
Enquêtes en cours
Ses lucratives activités de conseil en Russie font par ailleurs l'objet d'une enquête préliminaire du Parquet national financier (PNF) qui soupçonne cette fois l'ancien président d'un possible "trafic d'influence".
Selon Mediapart, qui a sorti l'information, cette enquête a été ouverte à l'été 2020. Elle vise à déterminer s'il "se serait adonné à des activités de lobbying potentiellement délictuelles" pour le compte d'oligarques russes.
La justice enquête aussi depuis 2019 pour "corruption active et passive" sur un déjeuner tenu en 2010 entre Nicolas Sarkozy, alors président de la République, deux hauts dirigeants qataris et Michel Platini, à l'époque patron de l'UEFA.
Objectif : déterminer si le vote de M. Platini en faveur du Qatar pour le Mondial-2022 de football a été obtenu en échange de contreparties.
Mis hors de cause
L'ex-président a bénéficié d'un non-lieu dans plusieurs dossiers: celui sur des voyages en jet privé, qui avaient fait naître des soupçons d'abus de biens sociaux parce qu'ils étaient payés par la société de l'un de ses proches, ou encore dans l'enquête sur les pénalités dues aux irrégularités financières de sa campagne de 2012 réglées par l'UMP.
La justice a également abandonné ses poursuites dans l'affaire des dons octroyés à l'UMP par la richissime héritière du groupe L'Oréal Liliane Bettencourt (décédée en 2017), où il a été brièvement mis en examen pour abus de faiblesse.
Immunité présidentielle
Par ailleurs, quatre ex-membres du premier cercle de Nicolas Sarkozy ont été condamnés en janvier dans l'affaire dite des sondages de l’Élysée, facturés sans appel d'offres entre 2007 et 2012. L'ancien secrétaire général de la présidence et ex-ministre Claude Guéant, condamné à un an d'emprisonnement dont huit mois ferme, a fait appel.
L'ancien chef de l’État, couvert par l'immunité présidentielle, qui prévaut pour les actes accomplis en cette qualité, n'a jamais été mis en cause dans ce dossier.
«Injustice profonde»
Au contraire, en première instance, le tribunal correctionnel a considéré que la corruption était caractérisée dès lors qu'une récompense était proposée et acceptée en échange d'une contrepartie, que le but ait été ou non atteint.
Nicolas Sarkozy "s'est servi de son statut d'ancien président (...) pour gratifier un magistrat ayant servi son intérêt personnel", a tranché le tribunal.
Après sa condamnation, l'ex-président s'est dit victime d'une "injustice profonde" et la droite a crié haro sur le parquet national financier (PNF), qui avait confié l'enquête à deux juges d'instruction début 2014 et dont l'impartialité avait déjà été mise en cause par la défense lors du procès.
Les débats devant la cour d'appel, prévus jusqu'au 16 décembre, promettent d'être moins orageux mais une zone d'ombre au moins demeurera.
Fin février 2014, un brusque changement de ton dans les échanges entre M. Sarkozy et son avocat avait convaincu les enquêteurs qu'ils se savaient sur écoutes - ce qu'ils contestent.
Une enquête distincte, ouverte par le PNF, n'a pas permis d'identifier une éventuelle "taupe" qui les aurait informés.
Mais elle a provoqué son propre séisme - l'affaire des "fadettes" - dont une des répliques est le renvoi en procès de l'actuel garde des Sceaux Eric Dupond-Moretti pour avoir lancé des poursuites disciplinaires contre trois magistrats financiers.