PARIS: La perspective d'un nouveau procès se profile pour Nicolas Sarkozy: à l'issue de près de dix ans d'investigations sur les soupçons de financement libyen de sa campagne victorieuse de 2007, les juges d'instruction ont terminé leur enquête dans laquelle il est poursuivi avec douze autres personnes.
Les deux juges d'instruction chargés de cette information judiciaire ouverte depuis avril 2013 ont annoncé clore leurs investigations vendredi, selon le parquet national financier (PNF), confirmant une information de l'Obs.
Ces treize suspects et les parties civiles peuvent désormais adresser leurs observations aux magistrats. Ensuite, le PNF prendra ses réquisitions, avant que les juges d'instruction ordonnent ou non un procès devant le tribunal correctionnel de Paris.
Nicolas Sarkozy, qui conteste les faits, est mis en examen notamment pour corruption passive et association de malfaiteurs. Son avocat n'a pas souhaité réagir.
Cette retentissante enquête avait été ouverte après la publication par Mediapart en 2012, dans l'entre-deux tours de la présidentielle, d'un document censé prouver que la campagne victorieuse de Nicolas Sarkozy avait été financée par le régime de Mouammar Kadhafi.
Témoignages de dignitaires libyens, notes des services secrets de Tripoli, accusations d'un intermédiaire... En près de dix ans de travail, les magistrats ont réuni une somme d'indices troublants qui ont donné corps à cette thèse.
Toutefois, aucune preuve matérielle n'a pour l'heure été retrouvée, même si des mouvements de fonds suspects ont conduit à ces treize mises en examen dans ce volet principal.
« Où est l'argent ? »
"Vous n'avez ni les preuves de l'arrivée, ni les preuves de la sortie concernant l'argent. Où est l'argent alors?", a demandé l'ancien chef de l'Etat aux magistrats lors d'un interrogatoire en octobre 2020, à l'issue duquel il a été mis en examen pour "association de malfaiteurs".
Cette infraction suggère que Nicolas Sarkozy a sciemment laissé ses proches collaborateurs, ses soutiens politiques et des intermédiaires "agir afin d'obtenir ou tenter d'obtenir des soutiens financiers en vue du financement de sa campagne électorale 2007", à raison de plusieurs millions d'euros.
Le camp Sarkozy aurait-il promis des contreparties diplomatiques, économiques et juridiques à Mouammar Kadhafi ? ont cherché à déterminer les magistrats financiers.
L'ancien président, qui a multiplié les recours pour faire annuler les poursuites, a livré sa lecture du dossier: selon lui, l'intermédiaire franco-libanais Ziad Takieddine, rôle central dans ce dossier, aurait abusé "des fonds libyens pour les détourner à son profit", tout en prétendant qu'ils étaient destinés à la campagne du futur chef de l'Etat.
A l'approche de la chute du régime kadhafiste en 2011, les Libyens auraient tenté le tout pour le tout en menaçant Nicolas Sarkozy avec de "fausses" accusations, selon lui.
Parmi les douze autres suspects figurent Ziad Takieddine et le Franco-algérien Alexandre Djouhri, hommes d'affaires soupçonnés d'avoir servi d'intermédiaires, ainsi que les anciens ministres Claude Guéant, Eric Woerth et Brice Hortefeux.
"Au bout de 10 ans, le dossier n'aura pas réussi à établir qu'il y ait eu le moindre centime d'euro qui a servi à contribuer" à cette campagne, a réagi Me Philippe Bouchez El Ghozi, avocat de Claude Guéant qui était le directeur de campagne de Nicolas Sarkozy en 2007.
"C'est ce qu'a dit de manière constante et répétée depuis 10 ans Claude Guéant", a précisé Me Bouchez El Ghozi.
Me Elise Arfi, avocate de M. Takieddine, qui s'est enfui au Liban en 2020, "espère" pour sa part "que l'on pourra trouver un moyen de lever son mandat d'arrêt pour qu'il vienne participer et se défendre lors du procès".
Cette enquête déjà tentaculaire s'est enrichie en 2021 d'un volet sur une possible tentative de subornation de Ziad Takieddine, qui a temporairement retiré fin 2020 ses accusations contre Nicolas Sarkozy. Un autre volet porte sur une tentative de corruption de magistrats libanais pour obtenir la libération de Hannibal Kadhafi, fils de Mouammar Kadhafi incarcéré au Liban.
Retiré de la vie politique depuis 2016 mais toujours populaire à droite, l'ex-chef de l'Etat a fait appel de ses deux condamnations à de la prison ferme, dans deux autres affaires; l'une dite des "écoutes" et l'autre "affaire Bygmalion".