PARIS: « La guerre des images » entre défenseurs des forces de l'ordre et pourfendeurs des bavures policières s'invite à l'Assemblée nationale, qui examine à partir de mardi un texte LREM controversé prévoyant notamment d'encadrer la diffusion de l'image des policiers et gendarmes.
Présentée par le parti majoritaire et son allié Agir, la proposition de loi « sécurité globale » ne devait être initialement que la traduction législative d'un rapport parlementaire consacré au « continuum de la sécurité » avec, à la clef, de nouvelles prérogatives pour les polices municipales et la structuration du secteur de la sécurité privée.
Mais la place Beauvau a saisi l'occasion pour venir doper ce texte avec des nouvelles mesures sécuritaires destinées à répondre aux récriminations des syndicats policiers.
« Ce n'est plus une proposition de loi de parlementaires mais un vrai projet de loi du gouvernement », raille-t-on à droite comme à gauche.
Pour Darmanin, comme pour les deux corapporteurs du texte, Jean-Michel Fauvergue et Alice Thourot, il s'agit de « protéger ceux qui nous protègent », les forces de l'ordre, confrontées à une montée de la défiance voire de la violence.
Dans leur viseur, selon Fauvergue, ex-patron du RAID, une unité d'élite de la police nationale : la « guerre des images » que « l'autorité, l'État en particulier, est en train de perdre », alors que se sont multipliées dans le sillage du mouvement des « gilets jaunes » les accusations de violences policières.
Pour « regagner du terrain », la majorité a dégainé plusieurs dispositions dans la proposition de loi dont la plus polémique est son article 24.
Celui-ci prévoit de pénaliser d'un an de prison et de 45 000 euros d'amende la diffusion de « l’image du visage ou tout autre élément d’identification » d'un policier ou d'un gendarme en intervention lorsque celle-ci a pour but de porter « atteinte à son intégrité physique ou psychique ».
La mesure fait bondir les représentants des journalistes et les défenseurs des libertés publiques, qui fustigent « une grave atteinte » au droit de la presse.
A gauche, la LFI Danièle Obono dénonce le risque « d'autocensure ». Pour le socialiste Hervé Saulignac, « il y a des lignes rouges à ne pas franchir. Le texte pousse tous les curseurs, même Sarkozy n'était jamais allé aussi loin ».
« Il n’est pas du tout interdit, dans l’article 24, de filmer les forces de sécurité intérieure en train d’intervenir », a tenté de déminer Christophe Castaner, chef de file des députés LREM et ex-ministre de l'Intérieur.
Flouter ?
Selon Fauvergue, la mesure vise à empêcher les « cabales » contre des membres des forces de l'ordre sur les réseaux sociaux, et « n’impose pas un floutage ».
La restriction ne vise par ailleurs pas le numéro de matricule, dit « RIO » – qu’un policier ou un gendarme est censé arborer en intervention.
Mais Gérald Darmanin a remis vendredi une pièce dans la machine, en plaidant pour un durcissement du texte.
« Si vous voulez diffuser sur Internet de façon sauvage, pardon de le dire comme ça, vous devrez faire flouter les visages des policiers et des gendarmes », a déclaré le ministre de l'Intérieur, honorant ainsi une promesse aux représentants des forces de l'ordre.
« On aura des débats (...) à l'Assemblée et au Sénat, on aura l'occasion d'améliorer le texte s'il le faut », a-t-il ajouté.
Son entourage a cependant précisé que le gouvernement ne déposerait pas d'amendement sur l'article 24.
Des députés LR, qui soutiennent le texte de même que le RN, ont déposé un amendement se rapprochant de la position exprimée publiquement par le ministre qui, selon des sources parlementaires, a pris à rebrousse-poil une bonne partie des « marcheurs ».
Ceux-ci ne pourront compter sur leurs alliés du Modem qui veulent supprimer la mesure, et font part de leurs sérieuses réserves sur d'autres dispositions du texte.
Le député LREM Saïd Ahamada a lui annoncé son intention de ne pas voter cet article « contre-productif en jetant un doute illégitime sur toutes les interventions policières ».
Un autre sous couvert d'anonymat concède son scepticisme sur l'avenir d'une telle disposition en cas de saisine du Conseil Constitutionnel.
Plus de 1 300 amendements ont été déposés sur le texte.