KUALA LUMPUR : Le dirigeant réformiste Anwar Ibrahim a été nommé Premier ministre de Malaisie, mettant fin à une longue incertitude après les législatives de samedi qui n'avaient donné la majorité à aucun parti.
M. Anwar, qui était jusqu'à présent le principal chef de l'opposition, est nommé «dixième Premier ministre de Malaisie», a fait savoir le Palais royal dans un communiqué. Il a prêté serment devant le roi dès jeudi après-midi, vêtu d'une tenue traditionnelle malaisienne.
«Je ne tolèrerai ni la corruption ni les abus ... Personne ne sera marginalisé sous mon gouvernement», a déclaré M. Anwar lors d'une conférence de presse.
«C'est un gouvernement d'union nationale. Tous sont les bienvenus, à condition que vous acceptiez les règles fondamentales de la bonne gouvernance, pas de corruption, et la Malaisie pour tous les Malaisiens», a ajouté M. Anwar, précisant qu'il se concentrerait sur l'économie.
Le secrétaire d'Etat américain Antony Blinken a félicité M. Anwar dans un communiqué, assurant que les Etats-Unis entendaient approfondir leur «partenariat complet» avec la Malaisie «sur la base des principes démocratiques que nous partageons, du respect des droits humains et de l'Etat de droit».
Anwar Ibrahim réalise ainsi à 75 ans son rêve de devenir Premier ministre, qu'il caresse depuis un quart de siècle et qui couronne une carrière politique mouvementée, au cours de laquelle il a effectué plusieurs séjours en prison.
«Son plus grand défi sera de sortir la Malaisie du malaise économique consécutif à la pandémie», a déclaré à l'AFP James Chin, professeur d'études asiatiques à l'Université de Tasmanie.
Pakatan Harapan (Alliance de l'espoir), la coalition réformiste multi-ethnique menée par M. Anwar, a obtenu le meilleur résultat aux élections législatives de samedi avec 82 sièges. Mais elle reste loin de la majorité absolue, dans un Parlement de 222 sièges.
Le roi de Malaisie, le sultan Abdullah Ahmad Shah, avait convoqué mercredi au Palais M. Anwar et l'ancien Premier ministre Muhyiddin Yassin, dont la formation Perikatan Nasional (Alliance nationale) est arrivée deuxième aux élections avec 73 sièges. Selon M. Muhyiddin, le souverain avait demandé aux deux hommes de former un «gouvernement d'union».
Perikatan Nasional est soutenue par le Parti islamique pan-malaisien, qui prône une application stricte de la charia.
Anwar Ibrahim a entamé, lundi, des tractations avec la formation jusqu'à présent au pouvoir, Barisan Nasional. Cette formation, menée par l'Organisation nationale unifiée malaise (Umno) éclaboussée par une vaste affaire de corruption, est arrivée loin derrière avec 30 sièges, son pire résultat électoral depuis l'indépendance du pays en 1957.
Le roi de Malaisie a le pouvoir discrétionnaire de nommer un Premier ministre dont il pense qu'il a le soutien de la majorité des députés.
Malaisie: Anwar Ibrahim, de la prison au pouvoir
Eternel chef de l'opposition, emprisonné à plusieurs reprises avant de renaître de ses cendres, Anwar Ibrahim accède enfin au poste de Premier ministre de Malaisie dont il rêve depuis des années.
Le roi de Malaisie, le sultan Abdullah Ahmad Shah, l'a nommé jeudi à la tête du gouvernement après que sa formation multi-ethnique et réformiste, Pakatan harapan (Alliance de l'espoir) a obtenu le plus de sièges au Parlement aux législatives de samedi.
A 75 ans, Anwar Ibrahim atteint le sommet d'un parcours politique particulièrement mouvementé, s'étendant sur quatre décennies et comprenant plusieurs séjours en prison, une carrière au cours de laquelle il a souvent changé de camp.
Fils d'un député et d'une dirigeante politique de l'Etat de Penang (nord), M. Anwar se fait connaître dans les années 1970 en tant que leader étudiant musulman. Sa participation à des manifestations dénonçant une famine en milieu rural lui vaut une première peine de prison sous un régime autoritaire.
En 1982, il surprend ses sympathisants en se joignant à l'Organisation nationale des Malais unis (Umno), la formation qui a traditionnellement dominé la vie politique en Malaisie depuis l'indépendance en 1957. Il y est vite remarqué par le Premier ministre Mahathir Mohamad, au pouvoir de 1981 à 2003.
Politicien-né et orateur plein d'esprit, M. Anwar gravit rapidement les échelons et entre au gouvernement. Il devient ministre des Finances en 1991, en se présentant comme un réformateur et en faisant l'éloge de l'Occident.
Deux ans plus tard, il devient vice-Premier ministre. Mais des divergences avec M. Mahathir sur la gestion de la crise financière asiatique de 1997-1998 se terminent mal.
Limogé par le Premier ministre d'alors, M. Anwar est ensuite condamné à six ans de prison pour corruption, puis à neuf ans de prison supplémentaires pour sodomie, un crime dans ce pays musulman. Selon certains observateurs, c'est surtout son impatience à remplacer M. Mahathir qui lui aurait valu les foudres de son ancien protecteur.
L'incarcération de M. Anwar, qui crie à la persécution politique, déclenche des manifestations de ses partisans. Ces protestations tournent rapidement au mouvement pour des réformes démocratiques.
- Oeil au beurre noir -
Des photos de lui avec un oeil au beurre noir, infligé en prison par le chef de la police de l'époque, sont publiées dans les journaux du monde entier, faisant de lui le symbole d'un combat qui a adopté le cri de guerre "Reformasi!" ("Réformes!")
La rivalité entre MM. Mahathir et Anwar a dominé et façonné la politique malaisienne au cours des quatre dernières décennies, "apportant alternativement désespoir et espoir, progrès et régression à la politique du pays", estime Oh Ei Sun du Pacific Research Center of Malaysia.
En 2004, la Cour suprême annule la condamnation pour sodomie de l'homme politique, qui est libéré.
Après une brève pause au cours de laquelle il enseigne à l'université, il revient dans l'arène politique pour diriger une coalition d'opposition lors des élections générales de 2013. Son alliance remporte 50,87% des voix, mais il échoue à rassembler suffisamment de députés pour obtenir la majorité parlementaire.
La controverse continue à suivre ce père de six enfants. De nouveau condamné en 2015, cette fois à cinq ans de prison, il clame son innocence et bénéficie d'une grâce royale totale, trois ans après le début de sa peine. Il revient au parlement quelques mois plus tard, en remportant une élection partielle.
M. Anwar s'allie de nouveau à M. Mahathir lors des élections de 2018, lorsque son ennemi d'antan sort de sa retraite pour défier le Premier ministre sortant Najib Razak, embourbé dans le scandale financier 1MDB.
Leur alliance remporte une victoire historique contre l'Umno et M. Najib, qui purge depuis une peine de 12 ans de prison pour corruption.
M. Mahathir redevient Premier ministre, cette fois en promettant de céder son poste à M. Anwar plus tard. Mais il ne tient jamais parole, l'alliance entre les deux hommes s'effondre au bout de 22 mois et l'Unmo revient au pouvoir.
Samedi, sa formation est arrivée en tête lors des élections législatives anticipées avec 82 sièges, loin de la majorité absolue dans ce Parlement qui compte 222 députés, mais suffisamment pour devenir le dixième Premier ministre de Malaisie.
- Bras de fer avec Mahathir -
Au cours de sa carrière mouvementée, le nouveau Premier ministre a été proche d'arriver au pouvoir par deux fois, et chaque fois auprès de l'ancien chef de gouvernement Mahathir Mohamad.
D'abord à la fin des années 1990, en tant que ministre des Finances et vice-Premier ministre. Mais les deux hommes s'étaient brouillés sur la manière de gérer la crise financière asiatique de 1997-1998 et M. Anwar avait été limogé.
Il avait ensuite été condamné à six ans de prison pour corruption, puis à neuf ans de prison supplémentaires pour sodomie, un crime dans ce pays musulman. Mais selon certains observateurs, c'était surtout son impatience à remplacer M. Mahathir qui lui aurait valu les foudres de son ancien protecteur.
Sa première condamnation pour sodomie annulée par la cour suprême, M. Anwar a été à nouveau condamné à cinq ans de prison en 2015 mais avait bénéficié d'une grâce royale après trois ans derrière les barreaux.
Il était revenu aux affaires en 2018, à l'occasion d'une nouvelle alliance avec M. Mahathir, 93 ans, lorsque son ancien ennemi lui avait promis de lui céder son poste plus tard. Mais le Premier ministre n'avait pas tenu parole et l'alliance entre les deux hommes s'était effondrée.
- Valse des Premiers ministres -
Depuis quatre ans, le pays est secoué par des turbulences politiques et une valse des gouvernements, qui ont conduit trois Premiers ministres à se succéder en quatre ans.
Après plus de soixante ans aux commandes, l'Umno avait été lourdement sanctionnée dans les urnes et évincée du pouvoir en 2018, marquant la première alternance de l'histoire du pays.
Le Premier ministre de l'époque Najib Razak, impliqué dans le détournement de plusieurs milliards de dollars du fonds souverain 1MDB, purge une peine de douze ans de prison.