LA HAYE: Un tribunal néerlandais rend son verdict jeudi dans le procès pour meurtre de quatre hommes pour la destruction du vol MH17 de Malaysia Airlines au-dessus de l'Ukraine en 2014, dans un contexte de montée des tensions autour de l'invasion russe.
Les 298 passagers et membres d'équipage ont été tués lorsque l'avion reliant Amsterdam à Kuala Lumpur a été touché au-dessus de l'est de l'Ukraine tenue par les séparatistes pro-russes, par ce que les procureurs disent être un missile fourni par Moscou.
Les Russes Igor Guirkine, Sergueï Doubinski et Oleg Poulatov ainsi que l'Ukrainien Leonid Khartchenko risquent la perpétuité s'ils sont reconnus coupables. Mais ils sont toujours en liberté, et ont refusé d'assister au procès.
Les procureurs affirment qu'ils faisaient partie des forces séparatistes soutenues par le Kremlin et ont joué un rôle clé dans l'acheminement d'un système de missiles BUK en Ukraine depuis une base militaire en Russie, même s'ils n'ont pas appuyé sur la gâchette.
La région où l'avion s'est écrasé, déjà en proie à des combats en 2014, est devenue une terre d'affrontements clé dans l'invasion russe de l'Ukraine cette année.
Il y a huit ans, ses célèbres champs de tournesol avaient été jonchés de corps et de débris. Certaines victimes, dont des enfants, étaient encore attachées à leur siège.
"S'ils sont coupables, la communauté internationale devrait les traquer", a déclaré à l'AFP Evert van Zijtveld, qui a perdu sa fille Frederique, 19 ans, son fils Robert-Jan, 18 ans, et ses beaux-parents. "Je ne peux pas leur pardonner."
«Traquez-les»: l'espoir de justice des familles du vol MH17
Chaque soir avant de se coucher dans le village néerlandais de Vleuten, Evert van Zijtveld allume deux bougies dans un petit sanctuaire en béton à côté de sa porte d'entrée en hommage à ses enfants.
Cela fait plus de huit ans que sa fille Frederique, 19 ans, et son fils Robert-Jan, 18 ans, sont morts avec 296 autres personnes dans le crash du vol MH17 de la Malaysia Airlines au-dessus de l'Ukraine déjà en guerre.
Pour enfin pouvoir tourner la page, l'homme de 67 ans espère que la justice sera enfin rendue jeudi. Un tribunal néerlandais doit prononcer son verdict dans le procès de quatre suspects toujours en liberté.
"Ceux qui sont responsables de la destruction du MH17 devraient être envoyés en prison. S'ils sont reconnus coupables, la communauté internationale devrait les traquer", lâche M. Van Zijtveld dans un entretien avec l'AFP.
Pour M. Van Zijtveld et d'autres qui ont perdu des êtres chers lorsque le Boeing 777 voyageant d'Amsterdam à Kuala Lumpur a été touché par ce que les procureurs disent être un missile fourni par la Russie, la douleur est encore vive.
A Vleuten, près d'Utrecht, au centre des Pays-Bas, de grandes photos de Frederique et Robert-Jan ornent la maison d'Evert Van Zijtveld et de sa femme Grace, qui a également perdu dans la tragédie sa mère Neeltje Voorham, 77 ans, et son beau-père Jan van der Steen, 71 ans.
L'une des photos montre un Evert souriant, câlinant sa fille. Ironie du sort, le cliché a été pris dans le hall des départs de l'aéroport d'Amsterdam-Schiphol alors que Frederique partait pour un autre voyage.
«Quête de justice»
M. Van Zijtveld, grand, calme et réfléchi, n'est pas en colère, "ce n'est pas le bon mot", mais "juste très triste". Avec son travail pour aider d'autres proches de victimes à faire leur deuil, et la création d'un fonds pour les enfants défavorisés, il a gagné le respect et l'admiration de nombreux de ses compatriotes.
"Mes enfants et mes beaux-parents partaient en vacances dans l'est du monde. Ils ont été touchés par un BUK. Ils ont été assassinés. C'étaient des gens formidables", raconte-t-il à l'AFP.
Selon le parquet, les quatre suspects, trois Russes et un Ukrainien, ont joué un rôle clé dans la fourniture du missile. Ils risquent la perpétuité s'ils sont reconnus coupables.
A soixante kilomètres de Vleuten, dans le village de Renkum, Sander Essers, 72 ans, écoute souvent de la musique pour l'aider dans le deuil de son frère Peter, sa belle-sœur Jolette et leurs deux enfants Emma, 20 ans et Valentijn, 17 ans, également morts dans le drame.
"Certains soirs, je prends le temps d'écouter la musique brésilienne préférée de mon frère, de penser à lui et à sa famille et de pleurer", témoigne-t-il auprès de l'AFP.
"Pour moi, le verdict sera la fin partielle de la quête de justice pour ma chère famille", déclare-t-il, entretenant l'espoir que les preuves seront jugées suffisantes pour parvenir à une condamnation.
«Impardonnable»
Pour Evert Van Zijtveld et Sander Essers, quel que soit le verdict, il représente une étape importante après plus de huit ans de deuil et une tragédie hautement médiatisée aux Pays-Bas.
"C'est une façon pour nous de tourner la page. Il faut bien clore cette phase un jour ou l'autre. C'est trop lourd de recommencer" au gré des développements judiciaires, observe M. Van Zijtveld, évoquant un éventuel procès en appel.
Cela ne l'empêche pas d'avoir des mots durs envers les accusés, les Russes Igor Guirkine, Sergei Doubinski et Oleg Poulatov, et l'Ukrainien Leonid Khartchenko, qui ne se sont pas présentés au procès.
"Ce sont de vrais lâches", fulmine Evert van Zijtveld.
De son côté, Sander Essers exhorte les personnes impliquées dans la destruction du MH17 à se montrer honnêtes, s'ils veulent un jour pouvoir se regarder dans la glace "avec au moins un sentiment de dignité".
"S'ils sont coupables, s'ils avaient ce rôle que nous pensons qu'ils avaient, cela semble impardonnable", affirme-t-il.
"Mes enfants et mes beaux-parents ont été tués. Je ne peux pas leur pardonner", abonde M. Van Zijtveld. "Je ne pourrai jamais faire ça".
«Des jouets éparpillés»
Des familles en deuil voyageront du monde entier vers le tribunal près de l'aéroport d'Amsterdam-Schiphol, d'où le Boeing 777 avait décollé le 17 juillet 2014, pour entendre le verdict jeudi à 13H30 (1230 GMT).
Le procès, qui a commencé en 2020, a eu lieu aux Pays-Bas car 196 victimes étaient néerlandaises.
Les avocats de M. Poulatov, seul suspect à disposer d'une représentation légale, soutiennent que le procès a été inéquitable, et que le parquet n'a pas réussi à prouver qu'un missile BUK a abattu l'avion.
Ils ont évoqué des "scénarios alternatifs", notamment qu'un avion ukrainien ait abattu le MH17.
Moscou nie toute implication dans la tragédie.
Dans son dossier, le parquet s'est largement appuyé sur des appels téléphoniques interceptés passés par les suspects et des données qui les localiseraient à proximité du site de lancement ou dans des centres de décision.
Les procureurs ont également utilisé des déclarations de témoins - notamment un ancien séparatiste qui s'est effondré en décrivant les "jouets pour enfants éparpillés" sur les lieux - et des preuves vidéo et photo des mouvements du missile.
Du matériel médico-légal comprenant plus de 300 fragments, certains trouvés dans les corps des victimes, a été cité comme preuve qu'il s'agissait d'un missile BUK.
Espoirs de capture
M. Guirkine, ancien espion russe devenu le soi-disant ministre de la Défense de la République populaire séparatiste de Donetsk, a aidé à fournir le système de missiles, selon le parquet.
Récemment devenu critique de l'armée russe pour sa gestion de l'invasion de l'Ukraine, il se serait porté volontaire pour s'y battre, donnant des espoirs aux proches des victimes du MH17 qu'il soit capturé et extradé aux Pays-Bas.
M. Doubinski, également lié aux services de renseignement russes, aurait été le chef du renseignement militaire des séparatistes, et aurait donné des ordres concernant le missile.
Leurs subordonnés, M. Poulatov, un ancien soldat des forces spéciales russes, et M. Khartchenko, qui aurait dirigé une unité séparatiste, ont joué un rôle plus direct dans l'acheminement du missile vers le site de lancement, selon le parquet.
Les accusés auraient fait en sorte que le missile soit amené pour contrer la puissance aérienne ukrainienne, mais en vertu de la loi néerlandaise, cela "n'a aucune importance" qu'ils aient ou non abattu l'avion par erreur, selon les procureurs.