PARIS: Stigmatisant pour les uns, "sur la bonne voie" pour les autres: le projet de loi sur l'immigration tiraille les organisations humanitaires, qui veulent profiter des concertations à venir avec le gouvernement pour ramener les droits fondamentaux des exilés au coeur du texte.
Ce futur texte, qui doit être déposé début 2023 et dont le gouvernement a dévoilé les grandes lignes la semaine dernière, prévoit une série de durcissements pour parvenir à plus d'efficacité sur les expulsions, ainsi que quelques mesures sur l'intégration, en particulier des travailleurs sans-papiers.
Son volet le plus répressif inquiète 26 associations et ONG, qui s'en sont ouvertes dans une lettre à la Première ministre Elisabeth Borne rendue publique lundi.
"Nous voulons (...) vous interpeller quant aux objectifs poursuivis par cette concertation et ce futur projet de loi, et vous signifier que nous ne saurions accepter une démarche fondée sur la stigmatisation et les raccourcis assimilant immigration et délinquance", ont écrit ces organisations, dont la Ligue des droits de l'homme ou Médecins du monde.
Outre les mesures proposées par le ministre de l'Intérieur, qui prévoit par exemple d'inscrire toutes les personnes visées par une obligation de quitter le territoire français (OQTF) au fichier des personnes recherchées, les organisations font surtout référence à ses propos et à ceux d'Emmanuel Macron, qui avait affirmé fin octobre que "la moitié" des actes de délinquance sont le fait d'étrangers à Paris.
"Et cela est vrai dans les dix plus grandes métropoles", a abondé la semaine dernière Gérald Darmanin dans Le Monde, estimant "qu'on doit désormais être méchants avec les méchants et gentils avec les gentils".
"Nos politiques d'asile et d'immigration sont trop fondamentales pour faire l'objet d'un jeu politique qui les résume à une opposition entre les gentils et les méchants", avait réagi la directrice générale de France terre d'asile Delphine Rouilleault, déplorant "des mesures essentiellement répressives, qui réduiront les droits des étrangers, très loin de l'équilibre annoncé".
Grand écart
"La politique d'accueil est défaillante en France. On veut remettre cette question au centre du débat", a abondé Manon Fillonneau, spécialiste du sujet chez Amnesty international, signataire de la lettre ouverte.
Le gouvernement "se concentre sur les expulsions mais les problèmes sur le terrain sont liés au non accès aux droits, à la rue, la santé, aux personnes vulnérables qui doivent être protégées", énumère-t-elle.
Des concertations s'ouvrent en novembre sur ce projet de texte. Gérald Darmanin doit recevoir les chefs de file du parlement, le ministre du Travail Olivier Dussopt les partenaires sociaux et la secrétaire d'Etat en charge de la Citoyenneté, Sonia Backès, le tissu associatif.
A l'image d'un projet qui fait le grand écart entre les mesures favorisant les expulsions et celles prévoyant une meilleure intégration par le travail, d'autres organisations se sont montrées optimistes sur ce dernier volet, notamment concernant la proposition de création d'un titre de séjour "métier en tension", censé répondre à la pénurie de main d'oeuvre dans certains secteurs.
"Régulariser les travailleurs sans-papiers qui occupent aujourd'hui les emplois les plus précaires serait une avancée politique. Leur régularisation est un enjeu social central et un outil de lutte contre le dumping social dans l'intérêt de l'ensemble du salariat", a par exemple réagi Marilyne Poulain, qui a ferraillé auprès des travailleurs sans-papiers à la tête du collectif immigration de la CGT, jusqu'à l'été.
Il faut désormais "que le gouvernement aille au bout de sa logique", en leur offrant un titre pluriannuel et non d'une seule année, ce qui n'a "aucun sens", réclame Pascal Brice, président de la Fédération des acteurs de la solidarité, qui rassemble 850 associations.
"Si l'idée est d'enfin mettre en relation la situation des travailleurs sans-papiers et des besoins économiques, d'arrêter de pourrir la vie de l'immense majorité des étrangers, alors on est sur la bonne voie", estime l'ancien patron de l'Ofpra, qui voit aussi un "point très positif" dans l'idée de permettre aux sans-papiers de demander eux-mêmes leur régularisation, sans passer par l'employeur.
Sur ce changement de paradigme annoncé, il portera ce message, lors des concertations: "Je dis +chiche!+".