PARIS: Jordan Bardella devrait accéder samedi à la présidence du RN, signant une mise en retrait de l'appareil de la part de Marine Le Pen, la finaliste de la présidentielle qui conserve intactes ses ambitions élyséennes.
Le résultat du vote des adhérents, qui sera révélé lors d'un congrès à la maison de la Mutualité à Paris, doit mettre fin à un faux suspense: après trois mois de campagne, nul n'imagine que le président par intérim Jordan Bardella, qui fait face au maire de Perpignan Louis Aliot, puisse échouer à se faire élire à la tête de l'ex-Front national.
"La question, c'est l'ampleur de sa victoire", résume un cadre, alors que l'eurodéputé s'est fixé pour objectif d'obtenir au moins 67,65% des voix, le score obtenu par Marine Le Pen face à Bruno Gollnisch pour succéder à Jean-Marie Le Pen il y a onze ans.
Mais président pour quoi faire? S'occuper des tâches parfois ingrates internes au mouvement, alors que l'épicentre du RN se trouve désormais à l'Assemblée nationale, où Marine Le Pen rayonne sur un groupe de 89 députés et assoit plus que jamais son assise politique et médiatique.
Libérée de l'intendance partisane, elle pourra peaufiner une quatrième candidature à la présidentielle dans cinq ans, que personne n'ose remettre en cause.
Le sacre annoncé de Jordan Bardella doit parachever une fulgurante ascension entamée en 2019 lorsqu'il avait pris la tête de la liste RN aux Européennes, avant de rafler la présidence par intérim du parti l'année dernière.
Originaire de Seine-Saint-Denis, celui qui a fêté mi-septembre ses 27 ans s'est surtout révélé lors de la campagne présidentielle au gré de débats télévisés où son aisance et son habileté ont parfois mis en difficulté des contradicteurs chevronnés.
Populaire auprès de la base militante, M. Bardella loue sa "relation singulière d'une confiance inestimable" avec Marine Le Pen, à qui il jure régulièrement fidélité et loyauté.
Mais, présenté par d'aucuns comme "la créature" de la patronne de l'extrême droite française, il va désormais devoir trouver sa place, alors que le parti a souvent réservé un sort cruel à ses numéros deux - "le destin de dauphin est parfois de s'échouer", avait résumé en son temps Jean-Marie Le Pen.
Les moments forts du FN, devenu RN, depuis l'arrivée de Marine Le Pen à sa tête
En plus de dix ans à la tête du Front national (FN), puis du Rassemblement national (RN), Marine Le Pen a conduit le parti d'extrême droite à plusieurs succès électoraux, jusqu'à sa percée historique des dernières législatives.
2011-2014, les années fastes
Marine Le Pen accède le 16 janvier 2011 à la tête du parti cofondé par son père en 1972.
A l'élection présidentielle de 2012, elle arrive en troisième position à 17,9%. Marion Maréchal, sa nièce, et l'avocat Gilbert Collard entrent au Palais Bourbon, mais Mme Le Pen est battue de peu à Hénin-Beaumont (Pas-de-Calais).
Sur le front idéologique, Marine Le Pen tente de polir l'image d'un parti secoué par les dérapages de son père Jean-Marie, joignant dans son discours des problématiques sociales aux thèmes habituels de l'immigration et de la sécurité.
Après les municipales de mars 2014, où le FN conquiert onze mairies, le parti remporte une victoire historique - près de 25% des voix - aux élections européennes de mai, loin devant l'UMP et le PS.
2014: père et fille, rien ne va plus
Quand Jean-Marie Le Pen, président d'honneur du parti, s'en prend en juin 2014 à des artistes qui ont pris position contre le FN, Marine Le Pen condamne la "faute politique" de son père.
Aux cantonales de mars 2015, le FN arrive en tête dans 43 départements. Mais M. Le Pen contrarie encore la volonté de sa fille de "dédiaboliser" l'image du parti en répétant ses propos sur les chambres à gaz "détail" de l'Histoire.
Le 20 août 2015, Jean-Marie Le Pen, 87 ans, est exclu du FN.
2017: le FN au second tour
En avril 2017, Marine Le Pen se qualifie pour le second tour de la présidentielle avec 21% des voix, puis s'incline - après un débat télévisé qu'elle reconnaîtra "raté" - avec un score de 33% face à Emmanuel Macron.
Fin juin, elle est mise en examen dans une enquête sur les assistants parlementaires d'eurodéputés de son parti.
Aux législatives, le FN envoie huit députés, dont Mme Le Pen, au Palais Bourbon.
En septembre, Florian Philippot, vice-président, reproche au FN de ne plus faire de la sortie de l'euro sa priorité, et claque la porte.
2018 : le FN devient RN
Réélue pour un troisième mandat, Marine Le Pen veut symboliser la "mue" du FN en un "parti de gouvernement" susceptible de nouer des alliances : il devient le Rassemblement national (RN).
En juin, la justice européenne confirme qu'elle doit rembourser près de 300.000 euros au Parlement européen pour l'emploi douteux d'une assistante parlementaire. Mme Le Pen dénonce un "assassinat politique".
Sa mise en examen est requalifiée en "détournement de fonds publics".
2019: en tête aux européennes
Le 26 mai 2019, le RN arrive en tête des élections européennes (23,31%), devançant de peu La République en marche du président Emmanuel Macron. Renforcé dans ses terres de conquête, il attire des cadres LR, mais recule ensuite aux municipales et aux régionales.
En septembre 2021, Marine Le Pen cède les rênes du RN à Jordan Bardella pour se consacrer à la campagne présidentielle. Son rival à l'extrême droite, Eric Zemmour, lui ravit des figures du parti, comme Stéphane Ravier, Gilbert Collard, et même sa nièce Marion Maréchal.
2022 : record de 89 députés
L'Office européen de lutte antifraude (Olaf) préconise en mars 2022 le remboursement d'environ 600.000 euros que Mme Le Pen aurait abusivement utilisés en tant qu'eurodéputée à des fins de politique nationale.
Le 10 avril, Marine Le Pen se qualifie pour le second tour de la présidentielle face à Emmanuel Macron avec 23,15% des votes, mais s'incline avec 41,5% des suffrages. Jamais l'extrême droite ne s'est approchée à ce point du pouvoir sous la Ve République.
Aux législatives de juin, le RN réalise une percée historique (89 élus), surpassant le précédent record de 1986 (35 députés). Il devient le premier parti d'opposition devant La France insoumise.
«Aigreur» et «mauvaise foi»
Au-delà de ses propres ambitions, c'est sa ligne, voire ses amitiés politiques que mettent en exergue ses détracteurs, l'eurodéputé étant soupçonné d'accointances avec les "identitaires" et d'une trop grande mansuétude envers ceux qui étaient partis chez Eric Zemmour.
Mi-octobre, son empressement à vouloir participer à une manifestation initiée par Reconquête! après la mort de la jeune Lola à Paris - il y a renoncé in extremis - a accentué le trouble, au mieux sur ses capacités d'appréciation de la situation politique, au pire sur ses véritables desseins.
Louis Aliot ne s'y est pas trompé, le mois dernier, en rédigeant une tribune pour fustiger "les excès pratiqués par le Front national d'un autre temps", les "identitaristes" et, surtout, "les adeptes du +grand remplacement+", une expression que seul Jordan Bardella a reprise à son compte, en août 2021, quand Marine Le Pen y a toujours opposé une grande circonspection.
Le maire de Perpignan, le seul élu RN à la tête d'une ville de plus de 100.000 habitants, a eu beau jurer qu'il ne visait qu'Eric Zemmour et ses partisans, son attaque envers son adversaire est apparue transparente. Au point que Jordan Bardella lui a reproché dans le JDD "aigreur et mauvaise foi". "C'est qu'il a mal compris", lui a répondu Louis Aliot.
Celui qui fut dans les années 90 patron du Front national de la jeunesse entend poursuivre l'entreprise de "dédiabolisation" entamée par Marine Le Pen. Il met en avant son expérience et ses responsabilités d'élu local autant qu'une forme d'ouverture politique - il a recruté un ancien collaborateur du feu leader socialiste Georges Frêche.
A défaut d'espérer se faire élire par les militants, Louis Aliot entend réaliser un score suffisant pour peser dans la prochaine direction.
Quitte, bien que les deux prétendants se réclament d'une même ligne "mariniste", à ouvrir un nouveau front.