FRANCFORT: La Banque centrale européenne a donné jeudi un nouveau tour de vis à sa politique monétaire afin de lutter contre l'inflation galopante, en relevant fortement ses taux malgré le risque d'alimenter la récession qui menace.
Comme attendu, le conseil des gouverneurs de la BCE, composé de 25 membres, a relevé ses taux directeurs de 0,75 point pour la deuxième fois consécutive, après le relèvement d'une ampleur inédite de septembre.
L'institution de Francfort est sous pression pour contenir une inflation record, alimentée par la flambée des prix des denrées alimentaires et surtout de l'énergie, dans le sillage de l'invasion russe de l'Ukraine.
L'inflation dans la zone euro a frôlé les 10% en septembre, soit près de cinq fois l'objectif de 2% de la BCE.
La présidente de la BCE, Christine Lagarde ne cesse de marteler que l'inflation est "beaucoup trop élevée" et que de nouvelles hausse de taux sont nécessaires.
Comme d'autres banques centrales, la BCE riposte par des mesures visant à freiner la demande en rendant le crédit plus coûteux pour les ménages et les entreprises.
Dans un contexte de ralentissement économique, c'est un choix délicat, mais les gardiens de l'euro estiment que laisser les prix grimper est encore plus néfaste que de durcir les conditions de financement.
L'Allemagne, première économie européenne, devrait voir son PIB reculer de 0,4% l'an prochain.
Les gardiens de l'euro ont encore marqué leur détermination à combattre l'inflation en décidant jeudi de réduire les avantages des prêts anti-crise ("TLTRO") accordés ces dernières années aux banques.
Ces dernières bénéficient en effet d'un effet d'aubaine lié à la hausse des taux puisque la BCE remunère désormais généreusement les liquidités excédentaires placées sur ses comptes.
Hausses à « risque »
Alors que les gouvernements européens alignent les milliards d'euros pour soutenir pouvoir d'achat et entreprises, le resserrement rapide de la politique monétaire n'est pas toujours bien vu.
Entrée en fonction cette semaine, la nouvelle présidente du Conseil italien Giorgia Meloni a souligné "le risque" que représentent les hausses de taux d'intérêt, notamment "pour les États membres qui ont une dette publique élevée".
Le président français Emmanuel Macron a appelé à ne pas "briser la demande" pour contenir l'inflation.
Pour Berlin, il importe au contraire de ne "pas contrer les mesures des banques centrales" par un soutien trop fort de la demande.
La BCE a mis fin en juillet à plus d'une décennie de taux d'intérêt ultra-bas pour soutenir les prix.
Avec la décision de jeudi, le taux sur les dépôts bancaires à la BCE, servant de référence dans un contexte de liquidités abondantes et encore négatif avant l'été, passe ainsi à 1,5%.
Les deux autres taux directeurs, celui appliqué aux banques sur les opérations de refinancement sur plusieurs semaines et celui visant la facilité de prêt marginal au jour le jour, passent eux respectivement à 2% et 2,25%.
Le bilan en ligne de mire
La BCE se sait attendue sur le sujet délicat de la réduction de son bilan pour le mettre en cohérence avec ses efforts de lutte contre l'inflation.
Ce bilan a grimpé à 8.800 milliards d'euros sous l'effet de ses programmes d'achat d'actifs en soutien à l'économie.
Mais compte tenu du risque d'ébranler les marchés financiers, les analystes estiment que le début de tout "resserrement quantitatif" - ne pas réinvestir les obligations arrivant à échéance - est encore loin.
"Les récents événements au Royaume-Uni, qui ont forcé la Banque d'Angleterre à faire volte-face sur les achats d'obligations, pourraient être considérés comme un rappel utile que tout retrait agressif de liquidités risque d'être très perturbant pour le marché obligataire et la transmission de la politique monétaire", note Frederik Ducrozet, chef économiste chez Pictet Wealth Management.