BERLIN: La Banque centrale européenne devrait donner jeudi à un nouveau coup de massue sur les taux d'intérêt afin de lutter contre l'inflation galopante, malgré les craintes que le durcissement de l'accès au crédit n'aggrave la récession qui menace.
Pour les économistes, la cause est entendue: le conseil des gouverneurs de la BCE, composé de 25 membres, va relever ses taux directeurs de 0,75 point pour la deuxième fois consécutive.
L'institution de Francfort est sous pression pour contenir une inflation record, alimentée par la flambée des prix des denrées alimentaires et surtout de l'énergie, dans le sillage de l'invasion russe en Ukraine.
L'inflation dans la zone euro a frôlé les 10% en septembre, soit près de cinq fois l'objectif de 2% de la BCE.
La présidente de la BCE, Christine Lagarde ne cesse de marteler que l'inflation est "beaucoup trop élevée" et que de nouvelles hausse de taux sont nécessaires.
Comme d'autres banques centrales, la BCE riposte par des mesures visant à freiner la demande en rendant le crédit plus coûteux pour les ménages et les entreprises.
Dans un contexte de ralentissement économique, c'est un choix délicat, mais les gardiens de l'euro estiment que laisser les prix grimper serait encore plus néfaste.
La BCE a mis de côté ses états d'âme et "ferme les yeux sur les risques de récession", souligne Carsten Brzeski, économiste chez ING.
Hausses à risque
Si la Russie interrompt durablement les flux de gaz vers l'Europe, l'économie de la zone euro pourrait se contracter de près de 1% en 2023, a averti Luis de Guindos, vice-président de la BCE.
L'Allemagne, première économie européenne, devrait voir son PIB reculer de 0,4% l'an prochain.
Alors que les gouvernements européens alignent les milliards d'euros pour soutenir pouvoir d'achat et entreprises, le resserrement rapide de la politique monétaire n'est pas toujours bien vu.
Entrée en fonction cette semaine, la nouvelle présidente du Conseil italien Giorgia Meloni a souligné "le risque" que représentent les hausses de taux d'intérêt, notamment "pour les États membres qui ont une dette publique élevée".
Le président français Emmanuel Macron a appelé à ne pas "briser la demande" pour contenir l'inflation.
La BCE a déjà augmenté ses taux à deux reprises depuis juillet, mettant fin à plus d'une décennie de taux d'intérêt ultra-bas, voire négatifs.
Pour Berlin, il importe au contraire de ne "pas contrer les mesures des banques centrales" par un soutien trop fort de la demande.
Aux États-Unis, où l'inflation a été alimentée moins par les coûts de l'énergie que par les mesures de relance post-pandémie, la Réserve fédérale a augmenté les taux plus rapidement et plus agressivement, laissant la BCE exposée aux critiques sur sa lenteur à agir.
Le bilan en ligne de mire
La BCE devrait également profiter de la réunion de cette semaine pour discuter de l'alignement des autres instruments de politique monétaire avec ses efforts de lutte contre l'inflation.
Lorsque le temps était aux mesures anti-crises pour soutenir les prix, plusieurs vagues de prêts géants et bon marché ("TLTRO") ont été accordés aux banques.
Une grande partie des "TLTRO" étant à rembourser d'ici fin 2023, la BCE pourrait inciter les banques à le faire de manière anticipée pour mettre fin à un effet d'aubaine : les établissements engrangent en effet un bénéfice en plaçant leurs liquidités chez elle puisque le taux de dépôt atteint désormais 0,75%, bientôt davantage.
La BCE se sait aussi attendue sur la réduction de son bilan, qui a grimpé à 8.800 milliards d'euros sous l'effet de ses programmes d'achat d'actifs en soutien à l'économie.
Mais compte tenu du risque d'ébranler les marchés financiers, les analystes estiment que le début de tout "resserrement quantitatif" - ne pas réinvestir les obligations arrivant à échéance - est encore loin.
"Les récents événements au Royaume-Uni, qui ont forcé la Banque d'Angleterre à faire volte-face sur les achats d'obligations, pourraient être considérés comme un rappel utile que tout retrait agressif de liquidités risque d'être très perturbant pour le marché obligataire et la transmission de la politique monétaire", note Frederik Ducrozet, chef économiste chez Pictet Wealth Management.