NICE : Quatre ans après l'attentat de Nice qui avait fait 86 morts sur la promenade des Anglais, les juges d'instruction ont ordonné un procès devant la cour d'assises spéciale pour huit personnes, à la satisfaction des parties civiles qui craignaient l'abandon de toute qualification terroriste.
Selon l'ordonnance de mise en accusation signée lundi par quatre juges antiterroristes et dont a eu connaissance l'AFP, seuls les trois principaux accusés Mohamed Ghraieb, Chokri Chafroud et Ramzi Arefa seront toutefois jugés pour des faits de nature terroriste.
Ils sont soupçonnés par les juges d'avoir eu « conscience de l'existence d'un projet » d'attaque de la part de Mohamed Lahouaiej Bouhlel, un Tunisien de 31 ans abattu le soir des faits par la police.
Ces deux Tunisiens et ce Franco-Tunisien étaient aussi mis en examen pour « complicité d'assassinats en relation avec une entreprise terroriste », mais les juges ont abandonné cette qualification plus lourde, estimant, comme le parquet national antiterroriste, que les trois hommes n'avaient en revanche pas « de connaissance précise du projet terroriste » de Lahouaiej Bouhlel, pas plus que du « moment de sa réalisation » prévu.
Mohamed Ghraieb « n'a strictement aucun lien avec cet attentat, de près ou de loin. La volonté légitime d'organiser un procès ne doit pas se faire à tout prix lorsque les charges sont inexistantes », ont réagi auprès de l'AFP ses avocats, Vincent Brengarth et William Bourdon.
Tous mis en examen à l'origine pour des infractions à caractère terroriste, un Tunisien et quatre Albanais sont aussi renvoyés aux assises aux côtés des trois principaux accusés, mais uniquement pour des délits de droit commun, liés à la fourniture d'une arme à Ramzi Arefa et destinée à Lahouaiej Bouhlel. Les juges notent qu' « aucun élément (ne) démontre leur connaissance, même imprécise du projet terroriste » de Lahouaiej Bouhlel.
Hamdi Z., un Franco-tunisien âgé de 40 ans qui a fait plus de deux ans de détention provisoire et qui était depuis juillet 2018 sous contrôle judiciaire, bénéficie quant à lui d'un non-lieu de la part des juges, « nonobstant l'existence d'éléments troublants le concernant. « Sa vie personnelle a été détruite », s'est désolé son avocat, Arié Goueta.
Un dixième mis en cause, Aleksander Hasalla, Albanais de 38 ans, s'est suicidé en prison en 2018 après deux ans de détention.
Quatre accusés sont actuellement détenus, deux autres sont sous contrôle judiciaire tandis que deux autres sont en fuite et font l'objet de mandats d'arrêt datant d'avril et juillet.
Tous peuvent encore faire appel de leur renvoi aux assises. Le procès ne pourra se tenir avant 2022.
« Satisfaction »
Lors de ce soir d'affluence et de feu d'artifice à Nice, le Tunisien de 31 ans a fauché en l'espace de quatre minutes 86 personnes, dont des enfants et des touristes, au volant d'un camion.
Location du véhicule, repérages sur la partie piétonne de la « Prom » afin de multiplier les victimes et « inscription (...) dans une démarche idéologique d'inspiration djihadiste plusieurs mois avant les faits » : les juges estiment dans leur ordonnance que Lahouaiej Bouhlel, même sans « lien démontré » avec le groupe État islamique qui avait revendiqué « opportunément » l'attaque, « a mis en application leurs préconisations ».
Les magistrats antiterroristes notent également les « interrogations qui ont traversé l'enquête s'agissant de la santé mentale de l'auteur des faits ».
L'auteur avait certes manifesté des signes de religiosité, voire d'attrait pour l'islamisme radical, mais d'autres personnes avaient décrit un bon danseur de salsa, un « dragueur invétéré » aux multiples relations, parmi lesquelles des hommes. « Il ne faisait pas la prière, il ne jeûnait pas, il buvait de l'alcool, il se droguait même », avait dit en 2016 son père à l'AFP.
Un proche a évoqué devant les enquêteurs cette hypothèse: « Il a pu se dire : "je vais faire un désastre, on va parler de moi" ».
Selon les juges, ces questions « ne sauraient remettre en cause » le caractère terroriste de son acte.
« Il est parfaitement possible d'admettre que sous la "carapace" idéologique exprimée à travers son projet criminel aient coexisté chez Mohamed Lahouaiej Bouhlel des troubles psychiques », assurent-ils.
865 personnes ou associations se sont constituées parties civiles dans cette enquête sur une attaque qui avait suscité une émotion internationale.
« C'est une décision essentielle et une satisfaction de voir que ce dossier relève bien de la compétence de la cour d'assises spéciale », a réagi Eric Morain, avocat de l'association de victimes Fenvac, alors que les parties civiles craignaient l'abandon de la qualification terroriste.
Ce renvoi aux assises intervient moins de deux semaines après une nouvelle attaque à Nice sur laquelle enquêtent des magistrats antiterroristes. Un Tunisien de 21 ans, Brahim Aouissaoui, a tué au couteau un homme et deux femmes le 29 octobre à la basilique de Nice.
En parallèle à l'enquête antiterroriste à Paris, un juge d'instruction niçois enquête sur les mesures de sécurité pour protéger la foule. L'association de victimes « Promenade des anges » s'est récemment plaint du « mépris de la justice », car l'enquête « piétine ».