PARIS: Praticien dans un hôpital de la région parisienne, en première ligne depuis janvier pour traiter les patients atteints de formes graves du Covid-19, un anesthésiste-réanimateur livre chaque semaine, sous couvert d'anonymat, son journal de la crise sanitaire.
« La situation est restée très stable cette dernière semaine. Tous les lits Covid ne sont pas encore utilisés, il en reste quelques-uns dans l'hôpital. Il y a environ deux entrées par jour en réanimation, et nous pouvons parfois accepter des patients venant d'autres hôpitaux. Ce n'est pas encore la vague que nous avions connue fin mars/début avril.
Est-ce déjà une conséquence des décisions gouvernementales ? Nous avons quelques doutes sur l'efficacité de ce second confinement allégé, même si cela aura sûrement quelques effets. En attendant, il est question d'accueillir quelques patients de province venant d'hôpitaux surchargés et dépassés. En Ile-de-France, il y a peut-être un peu plus de marge à l'heure actuelle que dans d'autres régions.
La situation actuelle est délicate. Il y a beaucoup de déprogrammations d'opération pour, d'une part, libérer du personnel paramédical, et d'autre part limiter les besoins en réanimation post-opératoire de certaines chirurgies. C'est une mesure de prévention : on bloque l'hôpital, en quelque sorte, et on limite l'activité au « strict nécessaire ». Si on ne le fait pas maintenant et que la vague arrive, il sera trop tard.
Mais c'est très difficile à comprendre pour tous ces médecins, ces chirurgiens et ces patients qui parfois constatent que certains lits de réanimation ne sont pas encore occupés et qui imaginent donc que nous n'aurions pas dû autant limiter l'activité hospitalière. Je n'ai pas la solution à cela.
« Est-ce éthique ? »
Comme beaucoup d'autres pays, nous faisons le choix de l'évènementiel et de l'urgence. Est-ce licite ? Éthique ? Pour l'instant, on reporte les interventions des patients qui peuvent réellement attendre sans que cela ne mette leur vie en danger. Mais cela risque de changer si la situation se complique : on pourrait être amené à prioriser les interventions chirurgicales indispensables à court terme.
Libérer des lits de réanimation, trouver du personnel, envisager de prioriser tel malade ou telle pathologie : ce sont toujours les mêmes questions qu'au printemps. Et toujours pas de réponse, probablement parce qu'il n'y en a pas. C'est épuisant. Mais il ne faut pas céder à la pression de la crise.
Quelles que soient les études publiées, les connaissances, le pouvoir de chacun, nul ne peut prétendre avoir la bonne solution pour gérer au mieux cette crise et les ressources que nous avons. Et de toute façon, ce n'est pas notre job. En revanche, c'est en faisant de notre mieux pour soigner les patients présents et pour ne pas oublier ceux qui vont devoir attendre un peu pour être soignés que nous y arriverons. Les soignants et la société.
Si les patients qui arrivent à l'hôpital semblent toujours être à peu près les mêmes, nous avons quand même l'impression que les malades restent moins longtemps en réanimation, sont moins fréquemment intubés et, qui sait, peut-être décèdent moins. Ce n'est pas gagné pour autant. La deuxième vague ne fait que commencer... »