QUIMPER : «Ça devient très compliqué pour notre pauvre abeille...» Réunis en congrès à Quimper (Ouest de la France), les apiculteurs européens ont dressé un sombre panorama de leur métier, confronté à des récoltes de plus en plus irrégulières en raison des multiples dégradations de l'environnement.
L'Union européenne, deuxième importateur mondial de miel, ne couvre actuellement que 60% de sa consommation. Les apiculteurs français devraient récolter entre 12.000 et 14.000 tonnes de miel cette année, loin des plus de 30.000 tonnes des années 1990, selon l'Union nationale de l'apiculture française (Unaf).
«Je me suis battu pendant 30 ans pour l'abeille mais, si je devais choisir aujourd'hui, je ne sais pas si je deviendrais apiculteur», lâche Henri Clément, apiculteur dans les Cévennes (Sud-Est) et porte-parole de l'Unaf.
A 62 ans, M. Clément, qui possède 200 ruches, n'est plus loin de la retraite. «Mais, c'est pas réjouissant pour les jeunes qui veulent s'installer», déplore-t-il.
La teneur des débats qui se sont tenus lors du Congrès européen de Quimper en sont la preuve: frelon asiatique, varroa (un parasite), pesticides et changement climatique ont occupé une grande partie du programme.
«Le plus grand problème (avec le changement climatique), c'est la météo erratique», a ainsi souligné l'entomologiste américain Jeffery Pettis, président d'Apimondia, fédération internationale rassemblant les apiculteurs de 110 pays.
«Des plantes qui étaient habituées à une certaine température font maintenant face à des étés chauds et secs et il n'y a plus de fleurs», détaille-t-il. «On perd aussi des ruches dans les inondations ou les incendies.»
Ancien chercheur au ministère américain de l'Agriculture (USDA), M. Pettis avait montré dans un étude menée en 2016 que la qualité du pollen du solidage, une plante vivace à fleurs, avait diminué avec l'augmentation du taux de CO2 dans l'atmosphère.
«Nos abeilles en Amérique du Nord dépendent du solidage» pour passer l'hiver, a-t-il pointé. «Et ce phénomène peut se produire avec d'autres sources de pollen, nous ne le savons pas», a ajouté le scientifique.
Aux États-Unis, comme en France, 30 à 40% des ruches meurent chaque hiver, a-t-il estimé, affectés par le varroa, les pesticides et la réduction des espaces sauvages.
- Drones pollinisateurs -
«Aujourd'hui, il y a même des startups américaines qui mettent au point des drones pour polliniser à la place des abeilles. C'est complètement aberrant», a dénoncé M. Clément.
Lors d'un débat sur les pesticides, Jean-Marc Bonmatin, chercheur (CNRS) au centre de biophysique moléculaire d'Orléans, a souligné que les parasites et pathogènes des abeilles, comme le varroa ou les virus, étaient «favorisés par la présence de (pesticides) néonicotinoïdes qui empoisonnent» en outre «directement les pollinisateurs».
Interdits depuis 2018, les néonicotinoïdes ont été ré-autorisés en février par le gouvernement français pour les seules cultures betteravières. Ces substances peuvent rester entre 5 et 30 ans dans le sol, selon M. Bonmatin, qui a aussi mis en garde contre d'autres
classes de pesticides comme les fongicides SDHI (inhibiteurs de la succinate déshydrogénase).
Pour permettre aux agriculteurs de protéger les abeilles, le chercheur a annoncé le lancement prochain d'un logiciel libre baptisé «Toxibee» qui permettra d'identifier rapidement les molécules les moins toxiques.
«Avant de se passer des pesticides, on peut essayer d'amoindrir l'effet des pesticides», a-t-il ajouté. «Car ce qui tue les abeilles nuit un jour ou l'autre à la santé humaine.»
Face aux constats sombres des apiculteurs, M. Pettis a redit sa confiance dans la résistance des abeilles, citant l'exemple de l'abeille noire de l'Ile-de-Groix (Ouest) «qui survit au varroa sans traitement».
«On pense qu'elles dépendent de nous mais en réalité, elles survivent très bien sans nous», a vanté l'entomologiste apiculteur. «Et il y a toujours la beauté des abeilles. C'est une si belle chose de travailler avec les abeilles!»