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«La prison est une épreuve que je ne souhaite à personne, surtout quand vous êtes dans un pays étranger, que vous avez des avocats qui ne parlent pas votre langue et que vous sentez que vous avez contre vous l’État, les procureurs et une entreprise – pas n’importe laquelle – mais celle que vous avez fait renaître. C’est très dur!» Des cent trente jours passés à la prison de Kosuge, au Japon, Carlos Ghosn estime que le plus difficile était d’être séparé des gens qu’il aime, de savoir qu’ils souffraient et de ne pouvoir rien faire pour les consoler. «Cette forme de passivité forcée était terrible!», raconte l’ancien président de ce qui était, sous son mandat, le premier groupe automobile mondial. Seuls quelques bouquins envoyés par ses enfants, de rares visites des ambassadeurs des trois pays dont il a la nationalité (libanaise, brésilienne et française) meublaient ses longues journées.
En forme à présent, le ton déterminé et le regard toujours aussi perçant, Carlos Ghosn souligne: «si je pouvais voyager dans le temps, j’aurais accepté le poste qu’on m’a offert en 2009 à la tête de General Motors, et j’aurais refusé le renouvellement de mon mandat à la tête de Renault en 2018. Cette débâcle n’aurait pas eu lieu!»
Celui qu’on qualifiait «meilleur patron de la planète», ne dit pas s’il a touché le fond lors de son incarcération, mais il avoue que sa résilience remonte à ses origines libanaises. «Cette résistance entêtée, sans concession, elle est chez tous les Libanais je pense!» Et d’ajouter : «Au Japon, les procureurs gagnent à 99,4 % des cas, car ils font craquer les gens. Ils ont dû remarquer que cette méthode ne fonctionnerait pas avec moi.»
Le Liban peut s’en sortir économiquement
« Aide-toi, le Ciel t’aidera », est une valeur qu’il a inculquée à ses enfants et qu’il admet avoir acquise de la culture libanaise où le citoyen se sent toujours responsable de lui-même. Mais il ne dit pas si seul le ciel l’a aidé dans sa cavale rocambolesque le 29 décembre 2019, quand il a fui le Japon pour Beyrouth. Une chose est certaine, c’est le caractère quasi surréaliste de sa fuite.
«Quand je me déplace au Liban, il y a beaucoup de gens qui m’arrêtent dans la rue et qui me disent avoir prié pour moi, je leur dis – parce que je le pense : «Vous n’auriez pas prié pour moi, je ne serais pas là aujourd’hui». Et d’ajouter : «D’ailleurs, l’une des raisons pour lesquelles je me sens si bien au Liban, c’est cette empathie qu’a pour moi une grande partie de la population libanaise».
À Beyrouth, Carlos Ghosn se veut un citoyen sans histoires, contrairement à la situation socio-économique du pays. La politique ne l’intéresse pas, mais quels conseils peut donner l’homme des grands exploits économiques pour sortir le Liban de la crise? En plus de coacher les cadres supérieurs et d’aider les start-up, créatrices d’emplois, celui qui a à son actif le redressement des constructeurs automobiles japonais et français souligne : «En économie comme en politique, il faut des discours clairs et des résultats. Ce que je peux vous dire, c’est qu’il y a des solutions, et le pays peut s’en sortir. Mais l’enjeu n’est pas là. Il faut faire des choix et surtout les exécuter en s’engageant dans la communication, l’association, la motivation et l’obtention de résultats, de manière à rétablir cette confiance. On me dit que le total des actifs du Liban n’excède pas 50 milliards de dollars, et je donne toujours l’exemple de Tesla, une entreprise à peine profitable qui fabrique des voitures dans un marché extrêmement concurrentiel, et qui vaut 400 milliards de dollars. Pour un État comme le Liban qui détient un monopole sur le transport aérien et maritime, et l’exploitation du littoral, il y a un problème ! Lequel ? Celui de la vision!»
Selon Carlos Ghosn, le Liban a besoin d’une dynamique, d’une vision afin d’exploiter ses ressources au profit du peuple libanais. « Les atouts (du pays) sont très nombreux. La diaspora libanaise est forte de 14 à 15 millions de personnes, souvent éduquées, ayant réussi et avec des moyens financiers». Et de conclure : «La confiance émotive du style «b7ebbak ya Leben» existe chez la diaspora, mais ce dont elle a besoin c’est une confiance basée sur un plan rationnel, une vision sur laquelle ils peuvent s’appuyer pour venir à l’aide d’un pays qu’ils chérissent et qu’ils n’oublieront pas!»