MARSEILLE : Elle a dessiné la championne Serena Williams ou le Nobel de littérature Wole Soyinka dans la presse internationale, conçu timbres et affiches, mais Emilie Seto, Française enrichie de racines japonaises, aime aussi illustrer des lieux rarement jugés dignes d'un dessin.
D'où vient l'idée qu'utiliser des crayons de couleurs ne sera pas seulement un loisir d'enfant mais deviendra un métier «quand on sera grand»?
Attablée devant un thé à la menthe à la terrasse du Turkish Baklava, un café de Marseille, où elle vit depuis 2018, Emilie Seto, 31 ans, raconte comment ses parents ont nourri sa passion du dessin, sans être du métier.
La famille vit à Lyon. Sa mère, française, vendeuse dans un grand magasin, «dessine tout un tas de choses». Son père, japonais, antiquaire, vient certes d'un pays connu pour la qualité de ses arts graphiques. Mais au début il ne «voyait pas d'un très bon oeil» qu'elle dessine.
En France, on la voit «comme asiatique, pas comme une Française blanche». «Du coup, je me suis attachée au Japon, je m'identifiais aux mangas, même si à l'époque c'était pas un truc respecté comme maintenant», se souvient-elle: «J'ai recopié ces mangas, c'est par là que j'ai commencé».
Elle fait une école de dessin à Lyon et démarche la presse. Dès 2015 elle dessine pour CQFD, mensuel basé à Marseille, engagé pour le féminisme ou l'écologie sociale.
- Les roses de Michelle Pfeiffer -
Les commandes se multiplient: pour le quotidien Le Monde elle illustre des articles sur le bien-être animal ou la justice internationale; chaque semaine, entre 2020 et 2021, elle accompagne visuellement le texte d'une personnalité pour le magazine How To Spend It (HTSI) du Financial Times.
Elle y dessine Serena Williams, évoquant sa passion pour les chaussures à talon, l'écrivaine britannique Tahmima Anam retrouvant le goût de cuisiner ou Michelle Pfeiffer en robe bleue dans un champ de roses jaunes, rouges et oranges. L'actrice américaine lui demandera un tirage du dessin.
«Elle a une manière magnifique d'incarner les récits en apportant une sensibilité teintée de rêve, une touche surréaliste», estime Rasha Kahil, directrice créative de HTSI, louant son «extraordinaire palette de couleurs».
Dans l'illustration de presse, «tu dois faire travailler ton imagination, comme un muscle» face à la diversité des sujets, souligne l'illustratrice, qui vit et travaille dans un petit appartement de Marseille, ville portuaire, chaotique, «tentaculaire» - plus de deux fois la surface de Paris - qu'elle sillonne à pied.
Mais pas question de dessiner ces sites touristiques sur-représentés comme le Vieux-Port: «J'en avais marre de voir toujours les mêmes endroits mis en avant». Elle dessine des lieux «qui n'avaient jamais eu de dessin».
Elle arpente les arrondissements pauvres, mélange d'immeubles construits à la va-vite dans les années 1960, d'installations portuaires et de maisons villageoises: «Ces endroits sont impressionnants, avec des vues dingues. Il peut y avoir une barre d'immeuble qui tombe en ruines et derrière tu auras la montagne ou la mer».
Ses dessins sont emplis de ciels bleu vif, d'herbes folles vertes ou jaunes, d'agaves au milieu du béton et évidemment de voitures, omniprésentes à Marseille. Mais aussi le vert des stades de foot, si nombreux dans la deuxième ville de France, où ce sport transcende toutes les divisions.
- Rêves de Japon -
De nombreux fans de ballon rond la suivent sur les réseaux sociaux. Elle qui trouvait le foot «ésotérique» est invitée au stade Vélodrome. Elle dessine l'affiche Marseille-Lyon.
Un de ses dessins, et cela lui importe, est aussi devenu la bannière sur Facebook du FC Malpassé, club amateur qui, avec d'autres associations, lutte pour donner aux jeunes d'autres perspectives que le trafic de drogue.
Elle avait d'abord posté sur les réseaux ce dessin du stade de Malpassé, fait au gré d'une balade dominicale. «Ca nous a touchés d'être représentés, de voir notre quartier, elle rend grâce à un lieu qui fait d'habitude la Une des faits divers», souligne Samir Messikh, fondateur d'une association aidant les jeunes.
Il souligne la «curiosité saine, sans préjugés, sincère», d'Emilie pour la ville dans son ensemble: «On l'a adoptée, pour nous elle est Marseillaise».
En Champagne, à Reims, où elle a été invitée en résidence, les habitants ont découvert émus des lieux de leur ville peu dessinés dans l'exposition «Les fleurs sur les chantiers». Comme si elle donnait la mesure du mot illustrer qui signifie «faire honneur à», «mettre en valeur».
«Ce que j'ai aimé, c'est que ça fait comme si c'étaient que des chefs-d'oeuvre à Reims, la tour où on prend le tram, elle est pleine de couleurs», a commenté Rayan, un collégien.
Emilie Seto veut auto-éditer un livre avec ses dessins marseillais et nourrit deux rêves: être exposée dans sa ville d'accueil mais surtout travailler au Japon. «Ce serait un peu la consécration et j'aimerais bien le faire avant que mon père ne parte».