LONDRES: Le régime de Téhéran assume la responsabilité des dizaines de civils tués au cours du mois écoulé. De jeunes manifestants ont ainsi été abattus par les forces de sécurité dans les rues d'Iran, et des citoyens de la lointaine Ukraine ont été tués par des drones iraniens livrés par l'Iran à la Russie.
Néanmoins, l'Occident semble disposé à faire des concessions au régime iranien au sujet des programmes de production d'armes conventionnelles et des tactiques par procuration dans le seul espoir d’empêcher Téhéran de se doter de la bombe nucléaire. C'est la conclusion tirée des tentatives des pays occidentaux de sauver, coûte que coûte, l'accord de 2015 sur le nucléaire iranien.
«Au lieu de résoudre le problème posé par les missiles et les armes conventionnelles de l'Iran, on se concentre depuis des années sur la question de l'accord sur le nucléaire iranien», a souligné lundi Norman Roule, spécialiste du Moyen-Orient et ancien haut fonctionnaire de la CIA, dans un message publié sur Twitter.
«Les Irakiens, les Syriens, les Émiratis, les Saoudiens, les Yéménites, les Ukrainiens et les expatriés qui vivent dans ces pays ont payé le prix de cette décision.»
Alberto Miguel Fernandez, diplomate américain à la retraite et ancien directeur du Middle East Broadcasting Network, partage l'avis de M. Roule. Il a également critiqué la Maison Blanche pour la tolérance excessive dont elle fait preuve à l'égard des activités malveillantes du régime iranien.
«L'administration Biden se trompe en accusant l'Arabie saoudite d'aider la Russie. Elle fait toutefois preuve de souplesse à l'égard de l'Iran [qui approvisionne la Russie en drones] depuis presque deux ans», a écrit M. Fernandez sur Twitter lundi.
Les États-Unis de Trump se sont retirés en 2018 de l'accord nucléaire conclu sous la présidence d'Obama, accord connu sous le nom plus officiel de «Plan global d'action conjoint» (PAGC). Soutenu par ses alliés européens, le nouveau président, Joe Biden, s’obstine à relancer cet accord en accordant un grand nombre de concessions substantielles à la République islamique.
«L'Iran a profité des pourparlers pour se montrer capable de défier les grandes puissances ainsi que l'Agence internationale de l'énergie atomique», confie M. Roule à Arab News.
«Il est également parvenu à normaliser son programme nucléaire, qui semble pourtant plus vaste et beaucoup plus dangereux. Téhéran a enregistré ces deux victoires gratuitement.»
La République islamique s'est montrée peu encline à rencontrer la communauté internationale à mi-chemin. Au contraire, elle a librement intensifié ses activités malveillantes en toute impunité: l'Iran étend considérablement l'enrichissement de l'uranium et continue de s'immiscer dans les affaires régionales par le biais de son arsenal de drones, de missiles et de milices mandataires.
Une trentaine de drones «kamikazes», fournis à la Russie par l'Iran, se sont abattus lundi sur des quartiers résidentiels de la capitale ukrainienne, Kiev. Cet assaut a fait au moins quatre morts. Le Corps des gardiens de la révolution islamique (CGRI) d'Iran et ses mandataires emploient dans les conflits du Moyen-Orient des drones Shahed-136, dont le nom signifie «martyr» en persan.
Prenons l'exemple de la milice houthie au Yémen, qui cible régulièrement l'Arabie saoudite à l'aide de drones chargés d'explosifs. Téhéran lui a fourni les moyens et le savoir-faire nécessaires pour assembler et lancer ces drones, dont les effets sont dévastateurs.
En septembre 2019, des drones et des missiles de croisière iraniens se sont abattus sur les installations pétrolières d'Abqaïq et de Khurais, dans l'est de l'Arabie saoudite. Cet assaut a perturbé de manière significative les marchés pétroliers mondiaux. Le recours aux mêmes engins en Ukraine, récemment, laisse supposer que le régime intensifie nettement ses efforts dans le but de propager la terreur.
En réponse aux informations selon lesquelles l'Ukraine serait visée par des drones de fabrication iranienne, Josep Borrell, le haut représentant de l'Union européenne (UE) pour les affaires étrangères, a déclaré lundi dernier à Luxembourg devant la presse: «Nous allons chercher des preuves concrètes qui attestent de cette implication.»
Des responsables américains affirment que l'Iran fournit à la Russie des «centaines» de drones équipés dans le but de changer la donne dans la guerre livrée à l'armée ukrainienne. Cette dernière, soutenue par l'Occident, a en effet reconquis ces dernières semaines de vastes étendues de territoire dans l'est du pays.
La Russie a utilisé un certain nombre des munitions rôdeuses qu'elle vient d'acquérir; elles portent également le nom de «drones kamikazes» ou de «drones suicides». Peu coûteux, ces drones peuvent être lancés en masse, ce qui permet de neutraliser les défenses de l'ennemi et d'atteindre les cibles sur lesquelles ils s'abattent.
Le Shahed-136 – surnommé «air moped» (ou «vélomoteur») pour le vrombissement qu'il produit pendant son vol – a été utilisé pour la première fois en Ukraine en septembre dernier. Des rapports suggèrent qu'il a été vendu aux Russes au mois d'août, un argument qui a été démenti par l'Iran.
«Nous devons reconnaître, à regret, que le gouvernement iranien est en train de mentir, tout comme le gouvernement de la Fédération de Russie. En effet, nous nous sommes entretenus avec des dirigeants iraniens du plus haut niveau», a récemment déclaré le président ukrainien, Volodymyr Zelensky, lors d'une interview accordée à l'émission Frankly Speaking d'Arab News.
«Nous nous sommes entretenus avec l'ambassade [d’Iran, NDLR]. Nous avons demandé aux ambassadeurs de vérifier auprès du ministère des Affaires étrangères. Ils nous ont assuré qu'il n'avait pas vendu de drones à la Russie, que les drones lancés ne leur appartenaient pas et que ces allégations étaient sans fondement.»
«Nous conservons plusieurs drones iraniens qui se sont abattus sur notre territoire et qui ont été vendus à la Russie pour tuer notre peuple. Ils sont utilisés contre des infrastructures civiles, mais aussi contre des civils pacifiques. C'est ce qui nous a amenés à renvoyer les diplomates iraniens de l'Ukraine. Nous n'avons rien à leur dire. Nous ne voulons pas discuter avec eux.»
Dans ce contexte, certains rapports révèlent que les États-Unis envisagent d'imposer de nouvelles sanctions à l'Iran en réponse à la vente de drones à la Russie. Toutefois, les experts ne s'attendent pas à ce que ces sanctions portent un coup dur au régime du Guide suprême, Ali Khamenei.
«De nouvelles sanctions seront probablement prises à l'encontre de l'Iran, mais les sanctions sur la vente de drones seront probablement peu efficaces sur le court terme», a expliqué M. Roule.
«Les dirigeants iraniens doivent sentir que leurs actions les plongent dans un isolement diplomatique et économique qui va déstabiliser le régime. Il faut absolument réduire les revenus de l'Iran qui proviennent du pétrole.»
Azim Ibrahim, directeur de l’Institut New Lines pour la stratégie et la politique, estime que l'accord sur le nucléaire iranien a donné à Téhéran des ressources financières qui lui ont permis de développer ses programmes de drones et de missiles. Cela s'explique par le fait que la pression des sanctions sur le régime iranien a été allégée; mais, en échange, les restrictions sur son programme nucléaire ont été renforcées.
«Si l'accord sur le nucléaire iranien est relancé sans que soient appliquées de nouvelles restrictions sur le développement d'armes conventionnelles et le recours aux milices mandataires, on ne fera que répéter la même erreur», a-t-il prévenu.
«L'Occident doit avant tout comprendre que le premier accord sur le nucléaire iranien a explicitement donné à Téhéran les moyens financiers et le temps nécessaires pour développer son programme de drones. Ces drones constituent la pierre angulaire de la stratégie régionale vaste et agressive de l'Iran», a confié M. Ibrahim à Arab News.
«Un nouvel accord avec l'Iran ne doit pas répéter la même erreur; l'Occident doit faire tout son possible pour endiguer la stratégie de déploiement de drones iraniens au Yémen, en Syrie, au Liban et, actuellement, en Ukraine. Mais il doit d'abord admettre que cette stratégie est bel et bien mise en œuvre.»
Pour M. Ibrahim, l'Occident doit réagir de manière «redoutable» aux dernières attaques de drones.
«Pendant trop longtemps, l'Iran a misé sur l'indifférence et la mollesse de l'Occident», souligne-t-il. «Ce pays a construit un empire de milices dans la région. Il les a armées de missiles balistiques et de drones qui leur permettent d’agresser directement les forces de l'Otan ainsi que leurs alliés du Moyen-Orient.»
«C'est la négligence de l'Occident qui a permis au programme de drones de l'Iran de croître. Pour faire contrepoids à cette négligence, l'Occident doit combler les années d'inaction en agissant de manière agressive. […] Il doit agir de son propre chef.»
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com