Collectivités: le dialogue renoué avec l'exécutif à l'épreuve du budget

L'Assemblée nationale, devant laquelle le projet de loi est déposé en priorité, a quarante jours pour une première lecture, puis le Sénat 20 jours. Dix jours sont ensuite prévus pour la navette entre les deux chambres. (AFP)
L'Assemblée nationale, devant laquelle le projet de loi est déposé en priorité, a quarante jours pour une première lecture, puis le Sénat 20 jours. Dix jours sont ensuite prévus pour la navette entre les deux chambres. (AFP)
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Publié le Samedi 08 octobre 2022

Collectivités: le dialogue renoué avec l'exécutif à l'épreuve du budget

  • Confrontées à la flambée des prix de l'énergie, mais aussi à celle de l'alimentation dans les cantines scolaires, les collectivités tirent la sonnette d'alarme cet automne
  • Dans l'obligation de présenter des comptes à l'équilibre, les collectivités agitent la menace d'investissements repoussés à plus tard pour faire face à leurs factures, avec des conséquences immédiates sur la fragile croissance française

PARIS: Le budget 2023, dont l'Assemblée entame l'examen lundi, sera une épreuve de vérité pour le dialogue instauré par Elisabeth Borne depuis son arrivée à Matignon avec les collectivités, alarmées par l'impact financier de la crise énergétique.

Braquées par les économies de 10 milliards d'euros demandées par Emmanuel Macron au printemps pendant la campagne présidentielle, irritées par "l'effort" que le ministre de l'Economie Bruno Le Maire a exigé des collectivités en juillet, les associations d'élus ont trouvé jusqu'à présent chez la Première ministre une oreille attentive à leurs difficultés.

Confrontées à la flambée des prix de l'énergie, mais aussi à celle de l'alimentation dans les cantines scolaires, les collectivités tirent la sonnette d'alarme cet automne, d'autant qu'elles doivent faire face à la hausse du RSA ou celle du point d'indice des fonctionnaires, approuvées par le gouvernement.

Budget: les principaux acteurs à l'Assemblée nationale

L'hémicycle de l'Assemblée devrait faire le plein: vétérans ou jeunes loups, au sein de la majorité qui fait bloc ou parmi les oppositions chauffées à blanc, ils seront nombreux à partir de lundi pour des débats acharnés sur le projet de budget.

Le Maire et Attal au banc du gouvernement

"Concentré" dans ce temps de "grande incertitude" internationale, le ministre de l'Economie Bruno Le Maire va être aux avant-postes pour défendre le budget, son sixième depuis 2017. Il avait déjà été sur le pont nuit et jour cet été sur le paquet de mesures en faveur du pouvoir d'achat. Cet ancien LR, qui soigne sa stature en vue de la prochaine présidentielle, avait alors principalement négocié des compromis avec la droite.

Son ministre délégué aux Comptes publics Gabriel Attal, dont c'est le premier budget, le secondera. Cet ex-socialiste est "très attentif à l'ensemble des députés d'opposition" et "apprend vite", note une élue LR.

La majorité en formation tortue romaine

Il faut "garantir l'unité de la majorité présidentielle, d'autant plus dans la configuration nouvelle de l'Assemblée", prône Aurore Bergé, cheffe de file du groupe Renaissance, aux côtés des alliés MoDem et Horizons. Ces troupes sont appelées à siéger en continu, aucune voix ne devant manquer, et à mettre de côté leurs sensibilités, comme sur les collectivités ou les superprofits.

Mais "Aurore Bergé fait déjà ses coups en solo", avec par exemple son amendement pour réduire les droits de succession, tacle une source parlementaire. Le rapporteur général Jean-René Cazeneuve (Renaissance), courroie de transmission entre gouvernement et parlementaires, aura la dure tâche de tenir la bride et concilier les positions.

Patron des députés Horizons, Laurent Marcangeli espère une "dignité du débat" face aux "caricatures" de certaines oppositions. Alors que les macronistes ont souvent vu passer les flèches entre RN et gauche, ils ont bien l'intention cet automne de "pousser (leurs) positions".

Les partenaires particuliers de la droite

Emmenés par Olivier Marleix, les députés LR constituent depuis les législatives de juin le groupe pivot, celui qui peut apporter les voix manquantes à la majorité présidentielle. Ils ont eu droit à quelques échanges privilégiés avec Bercy, pour pousser leurs pistes d'économies ou des mesures en faveur des classes moyennes. La discrète Véronique Louwagie, commissaire aux Finances et voisine de circonscription de Bruno Le Maire, est à la manoeuvre.

L'enjeu des LR est d'obtenir gain de cause sur certains points, même s'ils ont déjà annoncé la couleur de leur vote final, contre l'ensemble du projet de loi de finances. L'exécutif pourrait leur envoyer quelques signaux, afin de s'attirer leurs faveurs pour la suite du quinquennat.

Le gouvernement discute avec d'autres élus de centre-droit, dont le vieux routier Charles de Courson (groupe Liot), fin connaisseur des arcanes du budget et qui porte haut les sujets des collectivités et des outre-mer.

Les députés RN isolés

Formant le premier groupe d'opposition, avec Marine Le Pen à leur tête, les 89 députés Rassemblement national ont eu le temps de se former et fourbir leurs armes. "Nous sommes pleinement entrés dans le paysage et allons monter au créneau", assure Sébastien Chenu, dont le groupe reste en quête de respectabilité et de crédibilité quant à son projet d'alternance.

Critiquant un "budget de soumission à la mondialisation, à l'inflation, à la guerre", ces élus espèrent notamment une taxation des surprofits. Mais se heurtent à ce qu'ils voient comme du "sectarisme", notamment à gauche: "Vous ne nous aimez pas, on ne vous aime pas non plus particulièrement la plupart du temps" mais "c'est incroyable qu'on n'arrive pas à travailler ensemble", s'indigne le trublion RN Jean-Philippe Tanguy. Les autres groupes politiques cherchent encore le juste ton vis-à-vis de l'extrême droite.

La Nupes à plusieurs voix

Les différents groupes de l'alliance de gauche (LFI, PS, écolo, PCF) sont unis dans la dénonciation d'un projet de budget soumis aux "règles libérales européennes", et insuffisant face à la crise écologique et sociale. Après une rentrée perturbée par les affaires Quatennens et Bayou, la séquence budgétaire est l'occasion de se refaire une santé.

Dans l'hémicycle, les stratégies peuvent cependant diverger, entre d'un côté la tentation des insoumis de faire de l'obstruction, et de l'autre la recherche de compromis par certains socialistes comme Valérie Rabault ou Christine Pires Beaune, ou des communistes. Cela se traduit par un groupe LFI très "vocal", quitte à passer pour les fauteurs de troubles et à agacer au sein de la Nupes. Selon un des partenaires, "il faut éviter une tendance hégémonique".

"Tout ça mis bout à bout, c’est 30 millions de dépenses supplémentaires dans mon département de Côte d'or", estime le président des départements de France, l'UDI François Sauvadet, qui en appelle "à la solidarité nationale".

Dans l'obligation de présenter des comptes à l'équilibre, les collectivités agitent la menace d'investissements repoussés à plus tard pour faire face à leurs factures, avec des conséquences immédiates sur la fragile croissance française.

David Lisnard, le président LR de l'Association des maires de France (AMF), accuse le gouvernement de vouloir "spolier" les collectivités.

Plus modérée sur la forme, la présidente de Régions de France, la PS Carole Delga, a estimé a 1 milliard l'impact de l'inflation l'année prochaine pour les régions, appelant le gouvernement à le compenser intégralement.

Depuis son arrivée à Matignon, Mme Borne a donné un nouveau ton aux relations avec les associations d'élus, en promettant un dialogue "riche, constant et transparent" qui tranche avec les tensions qui ont caractérisé le précédent quinquennat.

Emmanuel Macron a d'ailleurs reçu leurs présidents pour la première fois à l'Elysée début septembre, ouvrant un dialogue qui devrait se poursuivre une fois par semestre.

Le budget permettra de mesurer si ce changement sur la forme se confirme sur le fond.

Au Parlement, les collectivités peuvent compter sur d'importants relais au Sénat détenu par l'opposition de droite, mais aussi à l'Assemblée, où le gouvernement ne dispose plus que d'une majorité relative et où l'opposition peut déposer des amendements favorables aux territoires.

L'Association des petites villes de France (APVF) a d'ailleurs écrit cette semaine aux députés et aux sénateurs pour les appeler sans détour à utiliser "leur pouvoir d’amendement de façon à améliorer ce projet de budget qui, en l’état actuel, ne peut que contribuer à dégrader la situation financière des collectivités".

La discussion du budget, un marathon jusqu'à Noël au Parlement

Pour que la France soit dotée d'un budget au 1er janvier, le Parlement s'attelle chaque année à l'automne au volumineux projet de loi de finances, qui rassemble recettes et dépenses de l'Etat pour l'année à venir. Il dispose de 70 jours maximum pour l'adopter.

L'Assemblée nationale, devant laquelle le projet de loi est déposé en priorité, a quarante jours pour une première lecture, puis le Sénat 20 jours. Dix jours sont ensuite prévus pour la navette entre les deux chambres.

Concrètement cette année, les députés examinent à partir de lundi concomitamment un texte de programmation pour 2023-2027, et la première partie du projet de budget de l'Etat, jusqu'au 19 octobre en principe.

Cette première partie, sur laquelle est programmé sur le papier un vote solennel le 25 octobre, autorise notamment la perception des impôts et arrête les données générales de l’équilibre budgétaire. Deux débats se tiendront en outre, sur la dette (lundi 10) et les finances locales (vendredi 14).

Les discussions sur la seconde partie, c'est-à-dire les crédits pour les missions de l'Etat, démarreront le 27 octobre, pour environ deux semaines, et doivent être conclues par un vote global sur l'ensemble du projet de loi.

Le Sénat dominé par la droite prendra ensuite la main, en vue de séances à partir du 17 novembre et jusqu'au 6 décembre.

Députés et sénateurs tenteront ensuite de s'accorder sur une version commune du projet de budget, faute de quoi le texte fera une ultime navette - et c'est l'Assemblée qui aura le dernier mot, option probable. La fin de cette course de fond est prévue au maximum le 18 décembre.

En cas de dépassement de ce délai, les mesures peuvent être mises en oeuvre par ordonnance gouvernementale.

Entre ces semaines denses d'examen, sera intercalé le projet de budget de la Sécurité sociale pour 2023. La première lecture devant l'Assemblée se fera du 20 au 26 octobre, puis devant le Sénat du 7 au 12 novembre. L'adoption définitive de ce texte de loi, qui fixe les dépenses sociales telles les allocations, est en général plus rapide que celle du PLF.

Mais rien n'est sûr pour cette saison budgétaire à hauts risques, hypothéquée par le possible recours par l'exécutif à l'article 49.3 de la Constitution, permettant de faire adopter un texte sans vote. Cette arme permettrait de remédier à la majorité relative des macronistes à l'Assemblée et d'abréger les débats. Elle ne peut être utilisée devant le Sénat.

Des risques de «coupures»

Les élus de tous bords, y compris de la majorité, se sont récemment alarmés de la hausse de la facture énergétique, même si le gouvernement estime que "30.000 des 36.000 communes" bénéficieront du plafonnement à 15% de la hausse du prix de l'électricité en 2023.

Des villes moyennes "vont se retrouver face à un mur d’ici la fin de l’année", prévient Marie-Agnès Poussier-Winsbak, députée Horizons, la formation d'Edouard Philippe qui a fait de la défense des collectivités l'une de ses priorités.

Elisabeth Borne s'est engagée devant les sénateurs: "aucune collectivité (...)  ne sera laissée dans une impasse", a-t-elle affirmé, avant d'annoncer vendredi des dotations plus importantes que prévues.

Budget: derrière l'affrontement, les propositions

L'examen du budget dans l'hémicycle à partir de lundi promet des débats au mieux enflammés, au pire chaotiques, et chaque groupe politique entend défendre ses positions, jusqu'à un très probable 49.3.

- LR contre, mais intéressé -

Ils l'ont annoncé, les députés Les Républicains (LR) voteront contre le texte. Mais ils pourraient profiter de la volonté du gouvernement d'afficher une image d'ouverture, pour placer certains amendements dans le texte promis à un 49.3.

En plus de propositions classiques (repenser des règles de redistribution sociale, suppression de plafond d'heures supplémentaires), le groupe devrait proposer d'aller chercher, selon son estimation, 20 milliards d'euros en taillant dans les doublons au sein des agences de l'Etat.

Un amendement LR controversé contre "l'agribashing", qui vise notamment au portefeuille des associations comme L214, promet des débats intenses.

La position du groupe sera scrutée sur la sensible CVAE, impôt sur les entreprises finançant les collectivités, et que le gouvernement veut supprimer en deux ans.

En commission, les LR ont proposé de pérenniser une dotation aux collectivités de 107 millions d'euros pour compenser l'impact en 2023. Mais la gauche, qui veut maintenir la CVAE, espère bien que LR ira jusqu'à soutenir cette position, à un an des sénatoriales.

- Superprofits chez la Nupes...-

Écologistes, insoumis, socialistes et communistes la brandiront comme une priorité : une taxe sur les "superprofits" d'entreprises au chiffre d'affaires supérieur à 750 millions d'euros, et dont le résultat imposable est au moins 1,25 fois supérieur au résultat moyen des années 2017-2019.

Les députés LFI présenteront aussi des amendements pour une TVA à 0% sur les produits de première nécessité, ou encore pour une taxe TICPE flottante sur les prix du carburant. Les communistes devraient soutenir une grille d'imposition avec plus de tranches, et s'attaquer à des niches fiscales, notamment autour du crédit impôt recherche.

Les socialistes vont proposer d'ouvrir l'aide pour les personnes hébergées en Ehpad à ceux qui ne paient pas d'impôt, ce qui pourrait concerner 300.000 personnes selon Christine Pires-Beaune.

Les Écologistes proposeront aussi l'exonération de TVA pour l'usage domestique des premiers 18,2 m3 d'eau. Ils reviendront à la charge pour légaliser l’utilisation de l’huile de friture usagée comme carburant.

-... et au RN -

Le groupe RN va proposer sa propre taxe sur les "superprofits". Le principe général est le même, instaurer une "contribution exceptionnelle sur les bénéfices exceptionnels de sociétés".

Mais ces députés visent spécifiquement les sociétés "pétrolières, gazières, de transport maritime de marchandises" et les "sociétés concessionnaires des missions du service public autoroutier", en prenant comme années de référence la période 2019-2021.

Le RN va également remettre sur la table la proposition de Marine Le Pen de baisser la TVA à 5,5% pour le gaz et l’électricité.

Le groupe d'extrême droite devrait aussi appeler au soutien des Chambres de commerce et d'industrie, dont une partie du financement est liée à la CVAE.

- La majorité face aux collectivités -

Élisabeth Borne a annoncé vendredi une hausse de la dotation globale de fonctionnement des collectivités, à 320 millions d'euros au lieu des 210 initiaux. Un amendement du rapporteur Jean-René Cazeneuve va aussi tenter de les rassurer, en instituant un "bouclier énergétique" pour le "bloc communal" (communes et intercommunalités).

Sur la suppression de la CVAE, la majorité n'a pas de certitudes: "je pense que ça peut passer", affirme un cadre de la majorité; "on va être battu en séance", s'inquiète un autre. En commission, Nadia Hai (Renaissance) a évoqué "un certain nombre de députés" qui s'interrogent sur le timing, évoquant l'idée d'une abrogation sur trois ans plutôt que deux.

Le groupe allié Horizons propose l'extension d'un prêt à taux zéro pour transformer son véhicule thermique en véhicule électrique.

Sur d'autres sujets, le groupe MoDem, autre partenaire de la majorité, va proposer un système de récompense via une remise de taxe pour les collectivités qui se montrent vertueuses dans la prévention des déchets, ou encore l'accès à un prêt à taux zéro pour des particuliers qui voudraient installer des panneaux photovoltaïques chez eux.

La revalorisation de la DGF (dotation globale de fonctionnement allouée par l'Etat aux collectivités, NDLR), initialement prévue à 210 millions d'euros, sera ainsi portée dans le budget à 320 millions, de sorte que "95% des collectivités verront leur dotation dotation se maintenir ou augmenter", a-t-elle indiqué.

Il s'agit de la première hausse depuis 13 ans de la DGF, dont le montant total avoisine les 27 milliards d'euros.

Par ailleurs, l'exécutif a décidé de permettre aux  collectivités en difficulté de demander dès la semaine prochaine un acompte sur l'aide de l'Etat prévue pour compenser l'augmentation de leurs dépenses.

Cette prise de conscience contraste avec une note confidentielle des services de l'Etat obtenue par l'AFP, qui souligne une situation financière "très favorable" pour les collectivités "en sortie de crise fin 2021". La guerre en Ukraine, la poussée de l’inflation et en particulier des prix de l’énergie sont entretemps passées par là.


En Nouvelle-Calédonie, situation «plus calme» mais vie quotidienne difficile

Des personnes font la queue pour acheter des provisions dans un supermarché alors que des articles carbonisés précédemment incendiés sont visibles à la suite des troubles de la nuit dans le quartier de Magenta à Nouméa, territoire français de Nouvelle-Calédonie dans le Pacifique, le 18 mai 2024. (Photo Delphine Mayeur AFP)
Des personnes font la queue pour acheter des provisions dans un supermarché alors que des articles carbonisés précédemment incendiés sont visibles à la suite des troubles de la nuit dans le quartier de Magenta à Nouméa, territoire français de Nouvelle-Calédonie dans le Pacifique, le 18 mai 2024. (Photo Delphine Mayeur AFP)
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  • Vendredi en fin de soirée, l'arrivée de 1.000 renforts supplémentaires, en plus des 1.700 déjà déployés, a montré la détermination des autorités françaises pour reprendre le contrôle de la situation
  • Le gouvernement de Nouvelle-Calédonie a recensé 3.200 personnes bloquées en raison de l'absence de vols commerciaux au départ de et vers l'archipel

NOUMÉA, France : La vie quotidienne des Néo-Calédoniens devient de plus en plus difficile samedi, malgré une situation «plus calme» sur la majeure partie de l'archipel français du Pacifique Sud, au sixième jour des émeutes causées par une réforme électorale qui a provoqué la colère des indépendantistes.

Vendredi en fin de soirée, l'arrivée de 1.000 renforts supplémentaires, en plus des 1.700 déjà déployés, a montré la détermination des autorités françaises pour reprendre le contrôle de la situation.

Mais pour les habitants, les dégâts de plus en plus étendus compliquent le ravitaillement dans les commerces, ainsi que le fonctionnement des services publics, notamment de santé.

Le danger subsiste par ailleurs dans les quartiers où les émeutiers sont les plus nombreux et les mieux organisés.

Dans l'un d'eux, la Vallée du Tir à Nouméa, un motard s'est tué vendredi en fin d'après-midi dans un accident de la route en heurtant une épave de voiture, selon le procureur de la République de Nouméa, Yves Dupas.

Le gouvernement de Nouvelle-Calédonie a appelé lors d'une conférence de presse à cesser barrages et barricades.

«On est en train de s'entretuer et on ne peut pas continuer comme ça», a déclaré Vaimu'a Muliava, membre du gouvernement chargé de la fonction publique.

«Des gens meurent déjà non pas à cause des conflits armés, mais parce qu'ils n'ont pas accès aux soins, pas accès à l'alimentation», a-t-il ajouté.

Le gouvernement de Nouvelle-Calédonie a aussi recensé 3.200 personnes bloquées en raison de l'absence de vols commerciaux au départ de et vers l'archipel.

Les autorités françaises espèrent que l'état d'urgence en vigueur depuis jeudi va continuer à faire reculer les violences, qui ont débuté lundi après une mobilisation contre une réforme électorale contestée par les représentants du peuple autochtone kanak.

Depuis, la crise qui frappe ce territoire colonisé par la France au XIXe siècle a fait cinq morts, dont deux gendarmes et trois civils kanaks, et des centaines de blessés au cours de violentes nuit d'émeutes. En réponse, le gouvernement a envoyé des renforts policiers, interdit TikTok - réseau social prisé des émeutiers -, et déployé des militaires.

- Strict minimum -

Devant les rares magasins de Nouméa qui n'ont pas été ravagés par les flammes ou pillés, les files d'attente restaient très longues samedi.

«Cela fait plus de trois heures qu'on est là», soupirait Kenzo, 17 ans, en quête de riz et de pâtes.

Selon la Chambre de commerce et d'industrie de Nouvelle-Calédonie, les violences ont «anéanti» 80% à 90% de la chaîne de distribution commerciale de la ville.

Le représentant de l'Etat français en Nouvelle-Calédonie, Louis Le Franc, a promis la mobilisation de l'Etat pour «organiser l'acheminement des produits de première nécessité» et un «pont aérien» entre la métropole et son archipel, séparés de plus de 16.000 km.

De son côté, un responsable de l'hôpital de Nouméa, Thierry de Greslan, s'est alarmé de la dégradation de la situation sanitaire. «Trois ou quatre personnes seraient décédées hier (jeudi) par manque d'accessibilité aux soins», en raison notamment de barrages érigés dans la ville, a-t-il avancé sur la radio France Info.

Face à la «gravité» de la situation et afin «de répondre aux besoins sanitaires de la population», l'Etablissement français du sang (EFS) a annoncé vendredi l'envoi de produits sanguins.

- «Grande fermeté» -

A Paris, le ministre de la Justice a demandé au parquet «la plus grande fermeté à l'encontre des auteurs des exactions». Eric Dupond-Moretti a aussi indiqué qu'il envisageait de transférer les «criminels» arrêtés sur le «Caillou» en métropole «pour ne pas qu'il y ait de contaminations (...) des esprits les plus fragiles».

Parallèlement, la justice française a ouvert une enquête sur «les commanditaires» des émeutes, ciblant notamment le collectif CCAT (Cellule de coordination des action de terrain), frange la plus radicale des indépendantistes, déjà mis en cause par le gouvernement.

«J'ai décidé d'ouvrir une enquête visant notamment des faits susceptibles de concerner des commanditaires», parmi lesquels «certains membres de la CCAT», a déclaré le procureur Yves Dupas, pointant «ceux qui ont instrumentalisé certains jeunes dans une spirale de radicalisation violente». Au total, depuis dimanche, 163 personnes ont été placées en garde à vue, dont 26 ont été déférées devant la justice, selon le parquet.

Jeudi, le ministre de l'Intérieur Gérald Darmanin avait qualifié la CCAT d'organisation «mafieuse».

Vendredi, ce collectif a demandé «un temps d'apaisement pour enrayer l'escalade de la violence». Sur la radio RFI, un de ses membres, Rock Haocas, a assuré que son organisation «n'a pas appelé à la violence», attribuant ces émeutes à une «population majoritairement kanak marginalisée».

Sur le front politique, après l'annulation d'une visioconférence avec tous les élus calédoniens jeudi, le président français Emmanuel Macron a commencé vendredi à avoir des échanges avec certains d'entre eux mais son service de communication a refusé d'en dire plus.

Présentée par son gouvernement, la réforme constitutionnelle qui a mis le feu aux poudres vise à élargir le corps électoral aux élections provinciales, cruciales sur l'archipel. Les partisans de l'indépendance estiment que cette modification risque de réduire leur poids électoral.

Paris a par ailleurs détaillé ses accusations portées contre l'Azerbaïdjan «d'ingérences» en Nouvelle-Calédonie, archipel stratégique pour la France qui veut renforcer son influence en Asie Pacifique et de part ses riches ressources en nickel.

Paris a évoqué une «propagation massive et coordonnée» de contenus relayés par des comptes liés à Bakou et accusant la police française de tirer sur des manifestants indépendantistes.

 

 


Rouen: un homme armé tentant de mettre le feu à une synagogue tué par la police

"A Rouen, les policiers nationaux ont neutralisé tôt ce matin un individu armé souhaitant manifestement mettre le feu à la synagogue de la ville. Je les félicite pour leur réactivité et leur courage", écrit M. Darmanin sur X. (Reuters).
"A Rouen, les policiers nationaux ont neutralisé tôt ce matin un individu armé souhaitant manifestement mettre le feu à la synagogue de la ville. Je les félicite pour leur réactivité et leur courage", écrit M. Darmanin sur X. (Reuters).
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  • Selon une source proche du dossier, l'homme était armé «d'un couteau et d'une barre de fer»
  • «Il aurait menacé un policier d’un couteau et ce dernier a fait usage de son arme et l’individu est décédé», a précisé le procureur

ROUEN: Des policiers ont abattu vendredi matin un homme armé notamment d'un couteau qui tentait de mettre le feu à une synagogue à Rouen et les menaçait, a annoncé le ministre de l'Intérieur Gérald Darmanin.

Vers 6h45, les policiers sont "intervenus sur un signalement de dégagement de fumée près de la synagogue", située rue des Bons enfants dans le centre historique de Rouen, a détaillé une source policière à l'AFP.

"Un individu a mis le feu à la synagogue de Rouen. Il aurait pris à partie les policiers et les pompiers", a pour sa part indiqué à l'AFP le procureur de Rouen, Frédéric Teillet.

Selon une source proche du dossier, l'homme était armé "d'un couteau et d'une barre de fer".

"Ensuite, il aurait menacé un policier d’un couteau et ce dernier a fait usage de son arme et l’individu est décédé", a précisé le procureur.

Une première enquête a été ouverte pour "incendie volontaire" visant un lieu de culte, "violences volontaires sur personnes dépositaires de l’autorité publique confiée à la DGPN, a fait savoir le parquet.

Un autre enquête a été ouverte sur les circonstances du décès de l'individu armé pour "violences volontaires avec armes ayant entrainé la mort sans intention de la donner", confiée à l'Inspection générale de la police nationale (IGPN).

"A Rouen, les policiers nationaux ont neutralisé tôt ce matin un individu armé souhaitant manifestement mettre le feu à la synagogue de la ville. Je les félicite pour leur réactivité et leur courage", a écrit M. Darmanin sur X.

L'homme abattu par les forces de l'ordre n'a pas été immédiatement identifié, a-t-on précisé de source policière.

Sollicité par l'AFP, le Parquet national antiterroriste indique être en train d'évaluer s'il se saisit du dossier.

De nombreux pompiers et policiers étaient déployés sur place vendredi matin, a constaté un journaliste de l'AFP.

«Sous le choc»

Selon le maire de Rouen, Nicolas Mayer-Rossignol, les pompiers maîtrisaient vendredi matin le départ de feu et il n'y aurait "pas d'autres victimes que l'individu armé".

"A travers cette agression et cette tentative d'incendie de la synagogue de Rouen, ce n'est pas seulement la communauté israélite qui est touchée. C'est toute la ville de Rouen qui est meurtrie et sous le choc", a réagi  le maire sur X.

"Tenter de brûler une synagogue, c'est vouloir intimider tous les Juifs. Une nouvelle fois, on veut faire peser un climat de terreur sur les Juifs de notre pays. Combattre l'antisémitisme, c'est défendre la République", a affirmé sur X le président du Conseil représentatif des institutions juives de France (Crif) Yonathan Arfi.

Gérald Darmanin avait demandé le 14 avril dernier aux préfets de renforcer la sécurité devant les lieux de culte juifs ainsi que devant les écoles confessionnelles, au lendemain de l'attaque menée par l'Iran contre Israël.

Les opérations militaires lancées par l'Etat hébreu contre la bande de Gaza, qui ont causé la mort de plus de 35.000 personnes, en représailles à l'attaque des combattants du Hamas contre Israël le 7 octobre dernier ont provoqué une forte hausse des actes d'antisémitisme en France.

Début mai, le Premier ministre Gabriel Attal avait annoncé que "366 faits antisémites" avaient été enregistrés au premier trimestre 2024, soit "une hausse de 300% par rapport aux trois premiers mois de l'année 2023".

Face à cette hausse, "pas un acte ne doit rester impuni, pas un antisémite ne doit avoir l'âme tranquille", avait affirmé le chef du gouvernement en promettant de "faire preuve d'une fermeté exemplaire à chaque acte".


Des Français musulmans s'exilent à l'étranger, fuyant la « morosité ambiante »

Sur plus de 1.000 personnes répondant à un questionnaire relayé par l'intermédiaire de réseaux militants, 71% ont cité le racisme ou les discriminations pour expliquer ce choix, selon cette enquête, intitulée "La France, tu l'aimes mais tu la quittes". (AFP).
Sur plus de 1.000 personnes répondant à un questionnaire relayé par l'intermédiaire de réseaux militants, 71% ont cité le racisme ou les discriminations pour expliquer ce choix, selon cette enquête, intitulée "La France, tu l'aimes mais tu la quittes". (AFP).
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  • Une étude de sociologie publiée le mois dernier rapporte que des Français de culture musulmane, hautement qualifiés, souvent issus de l'immigration, quittent la France pour un nouveau départ
  • Ses amis, sa famille, la culture française lui manquent, mais il raconte avoir fui "l'islamophobie" et le "racisme systémique" entraînant des contrôles policiers à répétition à son encontre

PARIS: Après avoir échoué à 50 entretiens d'embauche pour un job de consultant, en dépit de ses qualifications et diplômes, Adam, Français de confession musulmane, a fait ses valises pour commencer une nouvelle vie à Dubaï.

"Je me sens beaucoup mieux ici qu'en France", estime désormais ce trentenaire d'origine nord-africaine.

"Ici on est tous égaux. On peut avoir comme patron une personne indienne, une personne arabe, un Français", témoigne-t-il à l'AFP, ajoutant que sa religion est "plus acceptée".

Une étude de sociologie publiée le mois dernier rapporte que des Français de culture musulmane, hautement qualifiés, souvent issus de l'immigration, quittent la France pour un nouveau départ dans des villes telles que Londres, New York, Montréal ou Dubaï.

Sur plus de 1.000 personnes répondant à un questionnaire relayé par l'intermédiaire de réseaux militants, 71% ont cité le racisme ou les discriminations pour expliquer ce choix, selon cette enquête, intitulée "La France, tu l'aimes mais tu la quittes".

En France, "vous devez faire deux fois plus d'efforts quand vous venez de certaines minorités", reprend Adam, qui ne donne pas son nom de famille, comme tous ceux interrogés par l'AFP.

Ses amis, sa famille, la culture française lui manquent, mais il raconte avoir fui "l'islamophobie" et le "racisme systémique" entraînant des contrôles policiers à répétition à son encontre.

'Plafond de verre'

La France, ancienne puissance coloniale et pays d'immigration, compte une importante population d'origine maghrébine et africaine.

Les enfants d'immigrés venus chercher une vie meilleure ou appelés à constituer une main d'oeuvre bon marché dans les années 60 sont Français. Mais nombre d'entre eux se sentent étrangers dans leur propre pays, considérés comme des "citoyens de seconde zone". En particulier depuis les attentats jihadistes de 2015 en France.

"Le climat en France s’est largement dégradé. En tant que musulman on est pointé du doigt", estime sous couvert de l'anonymat un banquier franco-algérien de trente ans, qui s'apprête à quitter son pays en juin, direction Dubaï.

Il évoque notamment certaines chaînes d'info et éditorialistes assimilant tous les musulmans à des extrémistes religieux ou des fauteurs de troubles.

Ce fils d'une femme de ménage algérienne, titulaire de deux masters, estime en outre s'être heurté à un "plafond de verre" dans son parcours professionnel en France.

En France, les statistiques ethniques et religieuses sont interdites. Mais de nombreuses enquêtes documentent depuis des années les discriminations frappant les personnes d'origine immigrée dans la recherche d'emploi, de logement, les contrôles policiers...

Un candidat au nom français a près de 50% de chances supplémentaires d’être rappelé par un employeur par rapport à un candidat au nom maghrébin, rappelle ainsi l'Observatoire des inégalités dans son rapport 2023.

'Morosité'

Le rapport très particulier de la France à la laïcité, les polémiques récurrentes sur le voile musulman, provoquent aussi le malaise chez certains.

"Il y a une vraie spécificité française sur cette question. Dans notre pays, une femme qui porte le voile est reléguée à la marge de la société et il lui est notamment très difficile de trouver un emploi. Des femmes portant le hidjab qui veulent travailler sont donc assez logiquement amenées à quitter la France", explique Olivier Esteves, l'un des auteurs de l'étude, au Monde.

"On étouffe en France", raconte à l'AFP un Français de 33 ans d'origine marocaine, qui s'apprête à émigrer en Asie du sud-est avec sa femme enceinte, "pour vivre dans une société plus apaisée et où les communautés savent vivre ensemble".

Cet employé dans la tech veut fuir "la morosité ambiante" et les "humiliations" du quotidien liées à son patronyme et ses origines.

"On me demande encore aujourd’hui ce que je fais dans ma résidence", où il vit depuis plusieurs années. "Et c’est pareil pour ma mère quand elle me visite. Mais ma femme qui est blanche de peau n’a jamais eu cette question", raconte-t-il.

"Cette humiliation constante est d’autant plus frustrante que je contribue net à cette société en faisant partie des hauts revenus qui paient plein pot", s'insurge-t-il.

Paradoxalement, la société française est pourtant "plus ouverte qu'il y a vingt ans" et "le racisme recule", souligne le dernier rapport annuel de l'Observatoire des inégalités, notant que 60% des Français déclarent n'être "pas du tout racistes", soit deux fois plus qu'il y a 20 ans.

Et la part de ceux qui pensent qu’il y a des "races supérieures à d’autres" a été divisée par trois, de 14% à 5%.