PRAGUE: La "Communauté politique européenne" est née: 44 dirigeants du continent se sont retrouvés jeudi à Prague dans un format inédit qui a mis en lumière l'isolement croissant de Vladimir Poutine sept mois après le début de l'offensive russe en Ukraine.
"C'est une très vieille idée qui est peut-être en train de devenir une réalité", s'est félicité le président français Emmanuel Macron qui avait lancé le projet en mai.
Il a rappelé que la "CPE" était un rassemblement beaucoup plus large que l'Union européenne, avec 17 pays invités en plus des 27 membres du bloc.
Soucieux d'inscrire l'initiative dans la durée, les chefs d'Etat se sont donnés rendez-vous au printemps 2023 en Moldavie.
L'Espagne puis le Royaume-Uni seront les pays hôtes suivants, afin de respecter une alternance entre pays membres de l'UE et pays non-membres.
Lors de la conférence de presse finale, M. Macron s'est félicité de "l’unité de 44 pays européens" qui ont "très clairement dit leur condamnation de l'agression russe (...) et leur soutien à l’Ukraine".
La "photo de famille", prise dans l'imposant château de Prague qui domine la vieille ville, visait d'ailleurs à marquer les esprits et afficher la solidarité au moment où l'Europe redoute, à l'approche de l'hiver, une crise énergétique sans précédent en raison de la guerre en Ukraine.
Quelques heures plus tôt, le président ukrainien Volodymyr Zelensky était intervenu en visio-conférence, demandant de "punir l'agresseur" russe et "d'empêcher ses chars "d'aller à Varsovie ou Prague".
Quand la désinformation pro-russe clone des médias européens
Imiter à la quasi perfection les sites de médias reconnus et y poster des articles relayant les récits du Kremlin sur la guerre en Ukraine: une importante campagne de désinformation s'est déployée en Europe, visant notamment l'opinion allemande.
A première vue, la page internet estampillée du logo rouge du journal Bild ressemblait à s'y méprendre au site du principal tabloïd d'Allemagne.
On pouvait notamment y lire, en août, qu'un garçon était mort dans un accident de vélo à Berlin après que l'éclairage public a été éteint la nuit, dans une Allemagne obligée d'économiser l'énergie en raison de la réduction drastique des livraisons de gaz russe.
Mais un travail d'investigation, notamment mené par la cellule de vérification de l'AFP, a pu démontrer que cette information était fausse et s'inscrivait dans le cadre d'une vaste campagne de désinformation pro-russe menée en imitant les sites de médias européens.
Fin septembre, Meta, la maison mère de Facebook, l'a qualifiée d'"opération d'origine russe la plus importante et la plus complexe depuis le début de la guerre en Ukraine", agissant avec "une combinaison vraiment inhabituelle de sophistication et de force brute".
Meta a enquêté sur le réseau, alerté par des journalistes d'investigation sur l'authenticité des sites.
Parmi quelque 60 sites de médias concernés, les journaux allemands, comme Spiegel et Bild, étaient particulièrement visés, aux cotés d'autres comme le quotidien anglais The Guardian, l'agence italienne ANSA ou le quotidien français 20 minutes.
«Assurément un faux»
L'ONG belge EU DisinfoLab, spécialisée dans l'analyse de la désinformation, a aussi publié une enquête sur le fonctionnement de ce réseau qu'elle a baptisé "Doppelganger" (sosie en allemand).
Ses objectifs, selon EU DisinfoLab : "dépeindre l'Ukraine comme un Etat défaillant, corrompu et nazi" et "promouvoir les récits du Kremlin sur la guerre en Ukraine".
Le réseau, actif depuis mai, visait également à répandre la peur parmi les Européens "sur la façon dont les sanctions contre la Russie vont ruiner leur vie", selon EU DisinfoLab.
C'était le sens du faux article se réclamant de Bild.
L'équipe de fact-checking de l'AFP a pu démontrer que le récit sur l'accident de vélo, prétendument survenu dans une rue sombre, était faux.
"Aucun jeune n'est mort dans un accident de la circulation depuis le début de l'année", a affirmé à l'AFP une porte-parole de la police de Berlin.
Dans la capitale allemande, l'éclairage public est sous la responsabilité de l'Agence pour l'environnement, la mobilité urbaine, la protection des consommateurs et l'action climatique. Un porte-parole de l'agence a déclaré que l'article était "assurément un faux".
Le maintien de l'éclairage des rues pour assurer la sécurité du trafic est une obligation légale à Berlin et "est strictement respectée", a ajouté cette source.
Et un porte-parole de Bild a confirmé que l'article était faux, ajoutant: "Malheureusement, cela arrive régulièrement".
Hébergeur russe
Une série d'autres faux articles ont été publiés en Allemagne, notamment sur une école de Brême (nord) qui aurait été frappée par une explosion alors qu'elle cherchait à économiser du gaz (sur un site imité du Spiegel) ou sur des chauffeurs routiers bloquant les routes pour protester contre les politiques de l'Union européenne (sur un site imité du média T-online).
Toujours en imitant Bild, un faux site avait aussi publié un récit selon lequel des réfugiés ukrainiens auraient mis le feu à une maison après avoir tenté de brûler un drapeau russe.
Le dispositif est chaque fois identique: une fois le récit mis en ligne sur le faux site, avec un nom de domaine quasi similaire, des publicités payantes ou de faux comptes de médias sociaux les relaient, notamment sur Facebook, Instagram, Telegram et Twitter.
L'enquête de EU DisinfoLab n'a pas permis "une attribution formelle" des faux mais des éléments indiquent l'implication d'acteurs basés en Russie.
Ainsi, certains des noms de domaine ont été achetés par l'intermédiaire de l'hébergeur russe Nic.Ru, et certaines vidéos ont été produites sur des ordinateurs dont les paramètres étaient en langue russe.
Le fuseau horaire, GMT+8, d'un ordinateur suggère que le faux contenu pourrait avoir été produit dans la région russe d'Irkoutsk et certains des articles ressemblent à ceux qui sont apparus sur le site d'information russe RRN World, selon EU DisinfoLab.
Rapprochement Macron/Truss
En dépit de ce baptême réussi, la nouvelle structure suscite encore de nombreuses interrogations sur ses contours, son rôle exact et sa véritable portée concrète.
Derrière le nouvel acronyme CPE, on trouve des des pays aux trajectoires radicalement différentes vis-à-vis de l'UE: Norvège, Ukraine, Suisse, Turquie, Royaume-Uni, Moldavie, Serbie, Azerbaïdjan...
Quel dénominateur commun entre des candidats déclarés (et impatients) à l'adhésion, des pays qui savent que la porte leur est fermée pour longtemps et le Royaume-Uni, qui a choisi il y a six ans de quitter l'UE avec fracas?
La CPE s'inscrira-t-elle dans la durée ou rejoindra-t-elle la longue liste des projets sans lendemain sur le continent, à l'image de la Confédération européenne proposée en 1989 par François Mitterrand?
Ne risque-t-elle pas, enfin, de devenir une antichambre dans laquelle les candidats à l'adhésion seront contraints de patienter éternellement?
Plusieurs dirigeants présents à Prague ont martelé qu'il s'agissait d'un complément et non d'une alternative au processus d'adhésion à l'UE.
Josep Borrell, chef de la diplomatie européenne, s'est félicité que 44 dirigeants se rassemblent "pour voir comment construire une nouvelle structure de sécurité en Europe".
"Cela doit se faire sans la Russie, non pas parce que nous ne voulons pas que la Russie fasse partie de l'Europe, mais parce que la Russie de Poutine s'est mise elle-même en dehors de la communauté européenne".
Six ans après le vote en faveur du Brexit, les moindres faits et gestes de la nouvelle Première ministre britannique Liz Truss, ont été scrutés avec attention.
Interrogée sur la nature de ses relations avec Emmanuel Macron avant une rencontre bilatérale avec ce dernier, Mme Truss a affirmé que c'était "un ami".
Fin août, lors d'une réunion électorale du parti conservateur, elle avait refusé de trancher sur la question de savoir s'il était "ami ou ennemi".
Evoquant la tonalité de ces échanges, M. Macron a dit espérer "une nouvelle phase" dans les relations entre les deux pays."
"C'est le début du jour d'après. Notre volonté est clairement de dialoguer, d'avoir des projets concrets et de travailler ensemble pour l'unité de notre continent, particulièrement en cette période très troublée".