Ils sont médecins généralistes ou spécialistes, réanimateurs, urgentistes, virologues ou oncologues et exercent dans les hôpitaux franciliens. Très actifs durant la période de la pandémie du Covid-19, ces praticiens à diplôme hors Union européenne (Padhue) disposent d’un statut précaire.
Selon les chiffres obtenus auprès des structures de santé, ils sont près de 4 000 médecins, originaires d’Algérie, de Tunisie, du Maroc, du Liban et de Syrie à pratiquer la médecine, avec un statut précaire. Depuis des années, ils sont victimes d’inégalités. Leur statut, non reconnu, ne leur permet pas d’effectuer certaines tâches administratives. Ils ne peuvent pas, par exemple, signer un certificat de décès.
Diplômes de médecine en poche, ils sont venus en France pour suivre une spécialisation à l’université, ou pour faire carrière, mais leur avenir reste incertain. « Notre statut empêche tout projet à long terme. Notre évolution professionnelle est semée d’embûches et d’informations contradictoires. Nous n’avons pas le droit par exemple de nous inscrire au tableau de l’Ordre des médecins », nous confie Karima, qui exerce dans un hôpital de la Seine-Saint-Denis.
On les appelle les Padhue, et ils sont indispensables au fonctionnement des services de réanimation et des urgences. En pleine pandémie du Covid-19, dans un article du Parisien, Dany Toledano, cheffe du service de réanimation à l’hôpital de Montfermeil expliquait : « Si les Padhue n'avaient pas été là, nous n'aurions jamais pu augmenter nos capacités de réanimation... Cela aurait été une catastrophe ! » Dany Toledano ajoute que près de la moitié des actes de réanimation de cet hôpital sont assurés par des praticiens étrangers.
Le sésame: l’équivalence
« Obtenir l’équivalence est un vrai parcours du combattant qui peut parfois durer jusqu’à dix ans », explique Hocine Saal, chef du service des urgences de l’hôpital André-Grégoire à Montfermeil et vice-président du SNPadhue, le syndicat national des Padhue.
Pour changer de statut, ces médecins doivent passer un concours très sélectif. Alors que les centres hospitaliers ne cessent de réclamer plus de médecins dans les services, peu de postes sont ouverts et encore moins sont proposés aux candidats étrangers. Pire encore, en réanimation, gynécologie, dermatologie ou ophtalmologie, le manque de médecins est devenu préoccupant. « Le SNPadhue met tout en œuvre pour que les praticiens étrangers puissent intervenir dans les structures de soins avec des statuts équivalents à leurs collègues français. Nous misons sur l’excellence de la médecine française », souligne Hocine Saal.
Les médecins étrangers ont un statut de stagiaire associé (l’équivalent du statut d’interne), or ces professionnels sont déjà médecins dans leurs pays d'origine. Selon les informations recueillies par Arab News, ils touchent un salaire de 1 500 euros par mois. Quant à ceux d’entre eux qui ont passé un examen de contrôle des connaissances – devenant praticiens associés – ils perçoivent, eux, entre 2 000 et 2 600 euros de revenu mensuel, selon leur ancienneté. Pour rappel, leurs homologues praticiens hospitaliers français ou européens gagnent un salaire moyen de 5 800 euros par mois.
« Les Padhue sont particulièrement représentés dans les services les plus difficiles, aux urgences, en gériatrie, en réanimation, en anesthésie et en gynécologie-obstétrique. Ce sont souvent eux qui assurent les gardes les week-ends et les jours fériés. Régulariser tous ces médecins qui accomplissent le même travail que leurs collègues français permettrait de répondre au problème de désert médical des zones rurales », explique Lynda, médecin spécialiste dans un cabinet privé, qui a obtenu sa qualification dans les années 2000.
« Ces médecins traversent de longues années de précarité avant d’être pleinement intégrés. Les Padhue font pourtant le même travail que leurs homologues diplômés en France ou dans les pays membres de l’Union européenne », s’insurge Lamia, médecin spécialiste qui a connu le même parcours avant d’être régularisée en 2003.
Akila Lazri est arrivée en France en 2002 avec un niveau de troisième année de médecine de la faculté d’Alger. Face aux difficultés liées à l’équivalence des acquis académiques, elle s’est orientée dans un premier temps, pour des raisons financières, vers la filière paramédicale, et poursuit en parallèle des études supérieures en philosophie, son autre passion. « Il m’a fallu plus de dix ans pour me relancer dans mes études de médecine. À 33 ans, j’ai refait ma première année, et poursuivi mon parcours à l’université de médecine à Paris, nous confie-t-elle. Souvent mes confrères français me demandent : “médecin étrangère ?” Et c’est avec beaucoup de fierté que j’aime répondre : “étrangère oui, mais médecin française”. »
En avril dernier, une lettre ouverte, signée par 13 médecins dont Amine Benyamina, psychiatre addictologue à l’hôpital Paul-Brousse, à Villejuif et Mathias Wargon, chef de service des urgences du centre hospitalier de Saint-Denis, a été adressée au Premier ministre Édouard Philippe. Cette lettre décrit le travail énorme accompli par les médecins étrangers durant la crise sanitaire. « Ces médecins ont lutté au quotidien, en première ligne. Ils méritent la reconnaissance de la République pour leur engagement, car leurs salaires sont souvent dérisoires par rapport à ceux de leurs collègues, et ils risquent de retomber dans la précarité et l'incertitude quant à leur avenir une fois la crise surmontée. Dans cette période où tous les soignants ont risqué leur vie au service de la France, ils étaient là, à leurs côtés », peut-on lire dans le document.
Selon les informations recueillies auprès des professionnels de santé, les autorités publiques s’apprêteraient à régulariser ces praticiens. La récente crise sanitaire a démontré, plus que jamais leur compétence, leur dévouement, mais aussi leur situation extrêmement fragile. Affaire à suivre…