À Milan, une curieuse loi impose de sourire en permanence. Aussi belle que soit la deuxième plus grande ville d’Italie, les sourires s’estompent parfois, tout comme le fleuve Pô s’assèche en ce moment. Le bonheur de tous – sauf des plus optimistes – est mis à rude épreuve en raison de la crise du coût de la vie. La situation pourrait se compliquer encore davantage pour de nombreuses personnes si l’extrême droite arrivait au pouvoir après les élections du 25 septembre.
En l’état actuel des choses, la leader néofasciste des Frères d’Italie semble être sur la bonne voie pour succéder à Mario Draghi. Le parti, vieux de dix ans, n’a obtenu que 4,3 % des voix lors des dernières élections de 2018, mais il obtiendrait désormais près de 25 % des voix, ce qui signifie qu’il deviendrait probablement le plus grand parti au Parlement. Giorgia Meloni deviendrait ainsi la première femme à accéder au poste de Premier ministre en Italie – un événement de taille dans un pays réputé pour son machisme. De nombreuses Italiennes de premier plan sont toutefois loin d’être impressionnées par son bilan en matière de droits des femmes.
Giorgia Meloni et ses «Frères» semblent prêts à diriger une coalition d’extrême droite qui pourrait inclure la Ligue du Nord de Matteo Salvini et Forza Italia de Silvio Berlusconi. La jeune femme s’est toujours distinguée. Elle a déjà été la plus jeune ministre de l’Histoire de l’Italie. Elle fait preuve de franchise et de spontanéité. Par ailleurs, elle est pour le moment capable d’être entendue par les mécontents en Italie. Le fait que la plupart de ses adversaires aient déjà été élus et jugés incompétents joue en sa faveur. Elle est la seule qui n’a toujours pas eu l’occasion d’accéder au pouvoir.
De plus, les partis du centre et de la gauche sont en crise. Une fois de plus, ils exploitent le facteur peur à outrance, mettant les électeurs en garde contre les dangers de l’arrivée au pouvoir de Giorgia Meloni et Matteo Salvini, mais sans proposer un programme cohérent. C’est d’ailleurs une caractéristique de la politique européenne récente, notamment en France.
Mais la dirigeante des Frères d’Italie est ouvertement d’extrême droite et elle renforcera la division. Adolescente, elle faisait l’éloge de Benito Mussolini, le dictateur fasciste. «Mussolini était un bon politicien. Tout ce qu’il a fait, il l’a fait pour l’Italie. Il n’y a eu aucun politicien comme lui au cours des cinquante dernières années», a-t-elle déclaré. Son parti a conservé le symbole de la flamme tricolore néofasciste sur son logo officiel. Les Frères d’Italie sont issus du Mouvement social italien mis en place par d’anciens fascistes après la Seconde Guerre mondiale. Giorgia Meloni tente d’éloigner le parti de ce passé fasciste, sans pour autant y renoncer.
Les partenaires potentiels de la coalition d’extrême droite ont beaucoup en commun. Ils sont tous opposés à l’immigration et aux musulmans. Ils accusent les étrangers de prendre la place des Italiens sur le marché du travail et d’être à l’origine de l’augmentation du taux de criminalité. Giorgia Meloni soutient le recours à la marine pour refouler les migrants. Il est utile de rappeler que M. Salvini, alors ministre de l’Intérieur, se réjouissait de fermer le plus grand centre de migrants d’Europe en Sicile. Nous devons donc nous préparer à d’autres scènes épouvantables où l’Italie refoule violemment des demandeurs d’asile en provenance d’Afrique du Nord. L’un des moments les plus scandaleux de cette campagne – sachant que la concurrence est rude – a sans aucun doute été lorsque Giorgia Meloni a partagé une vidéo d’une Ukrainienne violée par un migrant guinéen.
Dénigrer Bruxelles est un autre facteur d’unité. Rien ne plaira plus à leurs bases eurosceptiques que de critiquer l’ingérence de l’Union européenne (UE). Il est peu probable, mais concevable, qu’une coalition dirigée par Giorgia Meloni puisse recueillir suffisamment de sièges pour modifier la Constitution et donner la suprématie à la législation italienne sur la législation européenne. En tant que troisième économie du bloc, les répercussions seraient considérables. Le seul qui pourrait s’en réjouir serait Viktor Orban, le dirigeant hongrois de droite qui pourra alors travailler avec des alliés proches.
Alors que M. Salvini a promis d’apporter son soutien pour transférer l’ambassade d’Italie en Israël à Jérusalem, Giorgia Meloni affirme qu’elle n’a pas l’intention de le faire.
Cependant, un sujet divise cet ensemble d’extrême droite: la Russie. Giorgia Meloni a adopté une position ferme contre Vladimir Poutine et l’invasion de l’Ukraine. Elle a rassuré les dirigeants de l’UE et de l’Organisation du traité de l’Atlantique nord (Otan) quant au fait qu’elle ne modifierait pas la position de l’Italie sur les sanctions contre la Russie et qu’elle augmenterait même l’aide militaire à l’Ukraine.
MM. Salvini et Berlusconi entretiennent, depuis longtemps, des relations étroites avec le président russe, Vladimir Poutine. Matteo Salvini a clairement indiqué qu’il souhaitait mettre fin à toutes les sanctions pétrolières et gazières contre la Russie. Enrico Letta, l’ancien Premier ministre et actuel chef du Parti démocrate de centre gauche, qui arrivera probablement en deuxième position à l’issue des élections, a rétorqué: «Je ne pense pas que Poutine aurait pu mieux le dire.»
«La victoire de Giorgia Meloni risque de donner naissance aux pires tendances xénophobes, racistes et islamophobes en Italie.» - Chris Doyle
Silvio Berlusconi, étonnamment, est toujours en pleine forme à 85 ans et il s’aventure même sur TikTok, le royaume des adolescents. L’homme d’affaires milliardaire a un jour offert à Vladimir Poutine un cadeau d’anniversaire: une housse de couette sur laquelle figure une image grandeur nature des deux dirigeants qui se serrent la main. Quant au président russe, il a offert un lit double à M. Berlusconi qui avait séjourné dans sa datcha. M. Salvini, quant à lui, a un jour porté un T-shirt à l’effigie de Vladimir Poutine sur la place Rouge de Moscou.
Giorgia Meloni maintiendra-t-elle cependant sa position? De nombreux Italiens critiquent les sanctions imposées à la Russie. L’Italie importe près des trois quarts de ses besoins énergétiques et les coûts devraient doubler cette année. La question des prix de l’énergie à l’approche de l’hiver est une priorité pour les électeurs. Des villes telles que Naples ont déjà été le terrain de manifestations et des factures d’électricité y ont été brûlées. L’ambiance est sinistre.
L’économie italienne ne s’est toujours pas remise de la pandémie de Covid-19. C’est un pays dont l’économie dépend énormément des recettes touristiques qui se sont pratiquement taries au plus fort de la pandémie. Un propriétaire d’hôtel m’a indiqué qu’il lui faudrait de nombreuses années pour s’en remettre.
Cette situation ressemble fort au moment où le président français, Emmanuel Macron, a accusé sa rivale d’extrême droite, Marine Le Pen, de dépendre de Vladimir Poutine après avoir reçu un prêt d’une banque en lien avec le Kremlin.
Giorgia Meloni devra faire face à des obstacles si elle gagne. L’Italie est lourdement endettée. Elle devra donc convaincre les institutions internationales que l’économie italienne prospérera sous sa direction, sinon le pays sera durement touché par l’augmentation des coûts d’emprunt. Elle et ses partenaires dans la coalition devront peut-être atténuer leur euroscepticisme virulent et être plus conciliants envers Bruxelles.
Par ailleurs, les dirigeants responsables devraient réfléchir. Le pays où le fascisme a été fondé et a prospéré – le pays de Benito Mussolini –, flirte fortement avec le fascisme une fois de plus. La victoire de Giorgia Meloni risque de donner naissance aux pires tendances xénophobes, racistes et islamophobes en Italie, tout en en inspirant d’autres ailleurs.
Cette politique de division, alimentée par la haine, ne laisse présager rien de bon pour l’avenir de l’Italie et ailleurs. La démocratie est gravement menacée. Pour de nombreuses personnes à Milan, notamment celles issues de l’immigration, pour les Italiens non blancs et pour tous ceux qui ne sont pas de droite, il est sans doute difficile de garder le sourire. La dolce vita devient plutôt amère.
Chris Doyle est le directeur du Council for Arab-British Understanding, situé à Londres.
Twitter: @Doylech
NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com