PARIS : Le 16 juillet 2016 à 10H15, deux jours après l'attentat au camion-bélier sur la promenade des Anglais de Nice, un communiqué du groupe Etat islamique (EI) revendiquait le massacre commis par le Tunisien Mohamed Lahouaiej-Bouhlel, un homme sans convictions religieuses selon son entourage.
Un enquêteur de la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI), témoignant par visioconférence sous couvert de l'anonymat, a décortiqué jeudi devant la cour d'assises spéciale de Paris cette revendication "opportuniste".
A l'époque, comme l'ont souligné d'autres enquêteurs devant la cour, le groupe jihadiste, "attaqué de tous les côtés", était en perte de vitesse.
Mais cela ne l'empêchait pas d'appeler ses sympathisants à tuer les "incroyants", "en particulier les méchants et sales Français", par "tous les moyens" en "les écrasant avec une voiture" notamment. Dans ce contexte, l'attentat de Nice est tombé à pic pour l'organisation.
La première revendication, a détaillé l'enquêteur, a été émise par "l'agence de presse" de l'EI, Amaq. En arabe, puis en français, un bref communiqué évoquait une "opération d'écrasement à Nice" par "un soldat de l'EI".
"C’est la plus haute hiérarchie de l’EI qui s'exprime par ce biais", fait remarquer l'enquêteur.
Un peu plus tard, le bulletin d'information de la radio de l'EI, Al-Bayan, revendique à son tour l'attentat.
Dans ce document audio, diffusé jeudi dans la salle d'audience, on parle d'"un soldat du califat" qui a mené "une opération spéciale en utilisant un poids-lourd pour écraser les citoyens de la France croisée". Le nom de Mohamed Lahouaiej-Bouhlel n'est pas cité.
«Aucune allégeance explicite»
D'abord diffusé en arabe, le communiqué radiophonique est ensuite lu en français par le jihadiste originaire de Seine-Saint-Denis Adrien Guihal, qui a rejoint la Syrie en 2015.
C'est le même Adrien Guihal, 37 ans aujourd'hui, qui avait revendiqué au nom de l'EI l'attentat de Magnanville, qui avait coûté la vie à un couple de policiers en juin 2016.
Un avocat de parties civiles aimerait savoir si la DGSI a pu interroger Adrien Guihal, détenu depuis 2018 par les forces kurdes. "Non", répond l'enquêteur, "aucun canal judiciaire" ne le permet.
L'agent de la DGSI note les différences entre la revendication "opportuniste" de l'attentat de Nice et d'autres revendications du groupe Etat islamique.
Ainsi, l'expression "soldat du califat" ou "soldat de l'EI" est un terme un peu "attrape-tout", dit l'enquêteur. La revendication des attentats du 13-Novembre parlait des "lions du califat", terme accordé par l'EI à ses combattants aguerris.
"Le massacre du 14 juillet coche toutes les cases de l'attentat inspiré, que l'Etat islamique découvre en même temps que tout le monde", poursuit l'enquêteur.
Par rapport aux revendications d'attentats "projetés" (comme ceux du 13 novembre 2015) ou "soutenus" (comme l'attentat de l'Hypercacher en janvier de la même année), la revendication de l'attentat de Nice ne comporte aucun signe d'allégeance de son auteur à l'EI.
"Il n'y a aucune allégeance explicite ou signe ou symbole de ralliement à cette idéologie au moment de son passage à l'acte", fait remarquer un avocat de la défense.
"Il était consommateur assidu de propagande de l'EI au moment des faits, donc ça a nécessairement joué un rôle", se défend l'enquêteur, tout en reconnaissant que la fascination du Tunisien pour l'EI ne constitue "pas forcément la motivation unique de son geste".
"J'ai bien conscience de sa personnalité complexe, multi-facettes, mais parmi elles, il y avait sa fascination pour l’EI", insiste-t-il.