NAJAF : Dans ce cimetière de Najaf, les tombes fraîchement creusées se comptent par dizaines: trente fidèles de Moqtada Sadr sont tombés au combat à Bagdad. Mais parmi les partisans du leader chiite on se dit toujours prêts au "martyre" si le chef "le souhaite".
Les partisans de l'impétueux dirigeant ont rangé kalachnikov et lance-roquettes. Pour le moment, seulement.
La semaine dernière, plus de trente fidèles du courant sadriste sont morts et près de 600 ont été blessés lors d'affrontements à Bagdad avec l'armée et des hommes du Hachd al-Chaabi, d'ex-paramilitaires pro-Iran intégrés aux troupes régulières.
Certains ont succombé à leurs blessures dans les jours ayant suivi les combats qui ont eu lieu entre lundi après-midi et mardi midi.
Au milieu des tombes, Moussa Abbas n'exclut pas de nouvelles violences et se dit prêt à mourir pour Moqtada Sadr, pilier incontournable de la scène politique depuis la chute de Saddam Hussein en 2003, dans ce pays à majorité chiite.
"Le sang a été versé, mais il y en a encore beaucoup", dit à l'AFP cet homme de 21 ans. "Pour chaque martyr que nous perdons, dix autres prendront sa place".
Le 29 août, il a suffi d'une étincelle: Moqtada Sadr a annoncé sur Twitter son "retrait définitif" de la politique. Impensable pour les partisans de celui qui se présente comme le champion de la "réforme" contre une classe politique qu'il qualifie de "corrompue".
«Etre enterré ici»
Dès le Tweet de leur imprévisible leader, des milliers de sadristes se sont précipités dans la Zone verte pour prendre d'assaut le palais de la République, où se réunit le conseil des ministres.
Délogés à coups de gaz lacrymogène et de tirs à balles réelles, les sadristes ont quitté ce secteur de la capitale qui abrite ambassades et ministères. Puis les Brigades de la paix (du courant sadriste) ont ouvert les hostilités avec l'armée et le Hachd al-Chaabi.
Ce déchaînement de violence est le dernier épisode en date, et le plus sanglant, de la crise politique qui secoue l'Irak depuis les législatives d'octobre 2021.
Les barons chiites de la politique irakienne n'arrivent pas à s'entendre sur un nouveau Premier ministre et sur un nouveau gouvernement.
Mais les violences n'ont pas échaudé les partisans de Moqtada Sadr.
"Je suis prêt à devenir le premier martyr", dit Taleb Saad, 60 ans, qui a combattu la semaine dernière. "Mon souhait est d'être enterré ici", assure-t-il en pointant du doigt les fleurs en plastique et les portraits des tombes de "martyrs" sadristes.
Najaf est le fief de Moqtada Sadr qui tire une grande partie de sa légitimité de son père, le grand ayatollah Mohammed Mohammed al-Sadr, assassiné sous Saddam Hussein en 1999.
Ville sainte pour les chiites, située dans le centre de l'Irak, Najaf abrite le mausolée de l'imam Ali, gendre du prophète Mahomet et figure fondatrice de l'islam chiite.
«Réconciliation impossible»
S'il n'a jamais gouverné, Moqtada Sadr dispose de relais dans nombre de ministères et d'administrations.
Ses millions de partisans lui obéissent au doigt à l'oeil. Un seul ordre de sa part a suffi pour mettre fin aux combats mardi.
Dans ce cimetière créé en 2004 pour accueillir les morts de l'Armée du Mehdi, un autre groupe armé fidèle à Moqtada Sadr, le deuil ne l'emporte pas.
"En tant que partisans, nous obéissons aux ordres de notre chef et commandant. Nous sommes prêts à faire tout ce qu'il nous demandera", assène Sadeq Jaber.
"Il y aura des martyrs tant que la classe dirigeante sera au pouvoir, les choses ne vont pas se calmer", lance-t-il.
La sortie de l'impasse politique est encore très éloignée. Moqtada Sadr et ses adversaires chiites pro-Iran du Cadre de coordination, vitrine politique du Hachd al-Chaabi, continuent à s'invectiver.
Moqtada Sadr veut la dissolution du Parlement et de nouvelles élections. Le Cadre réclame de nommer un nouveau chef de gouvernement, avant d'appeler les Irakiens aux urnes.
A Najaf, le clerc chiite Fadel al-Baderi, de tendance sadriste, prévient: "la réconciliation est impossible. On espère le meilleur, mais la réalité sur le terrain n'est pas très prometteuse".