JELIHA: Sous un grand soleil, Abbas Abboud enfourche son harnais en métal et en tissu. Un pied après l'autre, il escalade le stipe d'un palmier pour couper les régimes de dattes et continuer ainsi à faire vivre sa profession ancestrale en Irak.
À 48 ans, il est l'héritier de plusieurs générations de « grimpeurs de palmiers », comme on les appelle dans le Sud irakien où le palmier-dattier était déjà cultivé il y a six mille ans.
À la grande époque, jusqu'à la guerre contre l'Iran dans les années 1980, l'Irak comptait 30 millions de palmiers et moitié moins d'habitants.
Aujourd'hui, plus de la moitié de ces arbres sont morts, emportés par les guerres ou le manque d'entretien, assure Mohammed Kechache, patron des coopératives agricoles de Diwaniyah.
Même si le travail se fait de plus en plus rare, Abboud est à pied d'œuvre chaque année, d'octobre à décembre.
« Je reste environ dix jours dans chaque palmeraie », raconte-t-il, devant les palmiers de la famille Kariz.
Hebane Kariz, le patriarche de 69 ans, récupère avec d'autres hommes les fruits jaunes et marrons dans de grands tissus posés au sol.
« Depuis que je suis petit, nous avons d'immenses palmeraies, nous nous réunissons toujours pour la cueillette, c'est une tradition familiale », assure l'homme, la tête recouverte d'un keffieh.
Redescendre sain et sauf
Pour chaque arbre escaladé, Abbad Abboud décroche des régimes de plusieurs centaines de kilos chacun et récolte à peine plus d'un euro, une somme à l'image des maigres revenus désormais dégagés par les cultivateurs.
Dans un pays où l'héritage de l'époque de Saddam Hussein est encore bien présent, avec une économie quasi entièrement contrôlée par l'État, ils ont longtemps pu vendre leur production à un prix plus cher que celui du marché à des coopératives étatiques.
C'était ensuite Bagdad qui assurait l'empaquetage, la distribution et même l'exportation... jusqu'aux États-Unis, répètent à l'envi les cultivateurs.
Aujourd'hui, comble de l'ironie, les pays du Golfe qui ont replanté des tiges prélevées en Irak écrasent le marché mondial des dattes et l'Irak ne parvient plus ni à exporter ni même à concurrencer les fruits importés sur le marché local.
« Comme l'État ne nous soutient pas, la production a baissé et la vente aussi », accuse Kechache.
Aujourd'hui, renchérit Keriz, la tonne de dattes cultivée à Diwaniyah, qui figure parmi les espèces les moins chères, ne rapporte qu'environ 250 euros aux cultivateurs. Une fois empaquetées, ces dattes, mais aussi celles venues d'ailleurs, sont revendues sur les marchés mondiaux à environ 3 000 euros la tonne.
Pour les arboriculteurs, ce qu'il faudrait, c'est relancer les usines d'État, rendues hors d'usage par quarante années de conflits et de pillage. À l'époque de Saddam Hussein, elles produisaient en masse et les slogans de leurs campagnes publicitaires à la télévision d'État sont encore dans toutes les têtes.
Ce serait peut-être, disent-ils, une des solutions à la crise économique sans précédent qui a fait doubler cette année le taux de pauvreté en Irak.
Abbas Abboud, lui, se soucie peu des marchés mondiaux. Ce qui l'intéresse, c'est de grimper, puis de redescendre sain et sauf.
Car « grimpeur de palmiers » est un métier dangereux. Abbas Abboud l'a appris à ses dépens : l'an dernier, son père est mort en tombant d'un palmier.