DUBAÏ: La première chanson du dernier album de Soolking, Sans Visa, s’intitule Kurt Kobain. Il s’agit d’un clin d’œil à ses racines, quand il était fan de Nirvana et d’autres groupes grunge qui l’ont amené à commencer sa carrière musicale comme batteur dans un groupe de rock dans son Algérie natale.
Ce n’est qu’un exemple du large éventail de musique que Soolking (de son vrai nom Abderraouf Derradji) aime écouter et qui l’influence, même si cette influence n’est pas toujours évidente dans ses propres chansons.
«J’écoute beaucoup de genres de musique différents, donc mes influences viennent d’un peu partout», explique Derradji à Arab News. «De la musique traditionnelle d’Algérie, comme le raï, en passant par le rap américain et français, le reggae, la musique pop comme Michael Jackson, le jazz (...) Je n’écoute pas seulement du hip-hop», explique-t-il.
«Ma musique à moi, c’est la musique Soolking», poursuit-il. «Je ne veux pas lui donner une étiquette, tu vois? Ma musique est ma musique.» Quelle que soit la manière dont on veut décrire sa musique (les articles de presse écrivent souvent que ses influences les plus évidentes sont le rap, le R&B, le reggae et le raï), il est clair qu’elle touche les gens.
Depuis 2018, Soolking a accumulé 8 milliards d’écoutes sur diverses plates-formes. Le clip du troisième titre de l’album, Suavemente, sorti en février, compte plus de 143 millions de vues sur YouTube. Il est l’une des plus grandes pop stars du monde dont la langue maternelle n’est pas l’anglais. Mais cela ne signifie pas pour autant qu’il n’attire pas le public anglophone; il s’est produit à de nombreuses reprises en Amérique du Nord, notamment au mythique Apollo Theater de New York en mai. En France, il est tellement célèbre que, lorsque je lui ai demandé où il habitait à Paris au début de notre entretien, il m’a répondu brièvement: «Je ne peux pas vous le dire.»
Le parcours de Derradji, qui est né et a grandi à Alger, est remarquable. S’il n’hésite pas à souligner que grandir dans la capitale algérienne était «un véritable enrichissement et une expérience de vie», il admet franchement qu’il était difficile, étant jeune, d’envisager un véritable avenir pour lui dans son pays.
«Je pense que peut-être 90% des garçons de mon âge se trouvaient dans la même situation», dit-il. «Ils cherchaient tous à partir en quête d’un avenir meilleur quelque part en Europe ou aux États-Unis. C’est la réalité. Je cherchais la même chose.» Les tournées internationales qu’il a effectuées avec la compagnie de danse professionnelle qu’il a rejointe à l’adolescence n’ont fait qu’accroître son envie de voyager. «J’ai eu l’occasion de voir comment les gens vivaient dans le reste du monde, en Europe et aux États-Unis. Quand je suis rentré en Algérie, je ne voulais pas accepter la situation dans laquelle je vivais. C’est pourquoi j’ai décidé de partir», confie-t-il.
«Peut-être que si vous n’avez jamais visité d’autres pays, c’est juste un rêve qui vous pousse à partir, mais quand vous les visitez et que vous revenez, vous vous dites “il faut que je parte”.»
L’expression physique créative, quelle que soit sa forme, a toujours fait partie de la vie de Derradji, raconte le chanteur. Il a pratiqué les arts martiaux et l’acrobatie lorsqu’il était enfant, puis il s’est mis au breakdance et enfin à la danse professionnelle (il continue toujours à s’entraîner à la danse).
Son père était batteur dans un groupe en Algérie lorsqu’il avait une vingtaine d’années, ce qui a incité Derradji à s’y essayer lui-même – un choix naturel pour quelqu’un qui a un sens du rythme aussi développé. La musique et la danse lui offrent toutes deux différents moyens de toucher le public. «Vous pouvez exprimer en musique ce que vous avez dans le cœur, mais aussi par vos mouvements de danse», indique-t-il. «Ce sont deux sentiments que je ne peux pas vraiment expliquer, et ils ne sont pas si différents. On peut le ressentir lorsqu’on est sur scène. Les réactions (du public) sont assez similaires, mais elles sont peut-être un peu plus intenses lorsqu’on chante, car on s’adresse directement aux gens. C’est vraiment le seul point de différence entre les deux types d’art.»
Lorsque Derradji a décidé de se rendre en France, il espérait «faire de la musique ou de la danse, rester un artiste de toute façon». «J’étais sûr que la vie d’un artiste en Europe serait bien meilleure que celle d’un artiste en Algérie. J’en étais sûr», affirme-t-il. Cette décision a clairement été bénéfique à Derradji. Cependant, il ne l’a pas toujours cru. Le titre de l’album, Sans Visa, est un clin d’œil à son arrivée en France sans les documents nécessaires pour y rester.
«Je n’avais pas de papiers. Je n’avais pas de maison. Je n’avais pas de nourriture. Je dormais dans la rue. C’était très difficile au début. D’abord, j’ai dû trouver du "travail au noir", comme on dit ici, ce qui signifie que j’ai travaillé sans papiers. Une fois que j’ai commencé à gagner un peu d’argent, j’ai pu payer le loyer d’une chambre à Paris. Après ça, j’ai réussi à obtenir mes papiers, et ma situation est devenue un peu plus stable. C’est à ce moment-là que j’ai recommencé à penser à l’art. Les premières années, je ne pensais pas à l’art, je ne pensais qu’à ma survie, mais ensuite, j’ai recommencé à travailler sur ma musique.»
Il a percé lorsqu’un ami l’a invité à participer à une émission de radio pour exécuter un rap freestyle intitulé «Guerilla», qui est rapidement devenu viral. «C’est une chanson qui parle de ma vie, de mon caractère, de ma musique, de moi. C’est une chanson pour moi et pour ceux en Algérie qui vivent comme moi», dit-il. «Je ne pensais pas qu’elle connaîtrait un tel succès, mais c’est devenu énorme. Ça m’a choqué.»
Il n’a pas vraiment regardé en arrière depuis, se forgeant un nom dans la communauté musicale française et au-delà, et travaillant avec de nombreux collaborateurs. «Je produis de la musique, mais je travaille aussi avec beaucoup de producteurs. J’écris tous mes textes. Je compose peut-être 90% de toutes mes mélodies, mais j’aime travailler avec d’autres personnes et essayer de prendre un peu de leur inspiration pour la mélanger à la mienne. C’est important», précise-t-il. «On ne peut pas tout faire seul. C’est impossible et ce n’est pas amusant.»
«Je ne collabore pas avec quelqu’un parce qu’il a un “nom”, mais parce que j’ai entendu ce qu’il fait et que j’ai envie de travailler avec lui. C’est une question de feeling.» Le «feeling» est peut-être le facteur le plus important dans le travail de Derradji. C’est ce qui l’a le plus aidé à établir des liens avec des centaines de millions de personnes à travers le monde. «Je suis un grand optimiste de nature. C’est ce qui m’a permis de continuer à vivre, donc, tant que je le pourrai, je continuerai à transmettre cela à mon public», assure-t-il. «Ma musique est universelle, elle n’a pas de frontières et ne se limite pas à un seul genre musical. C’est là que réside la force de ma musique; être capable d’unir de nombreuses personnes dans un seul objectif: les rendre heureuses.»
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com