BNEI BRAK, Israël: Illustrant la résurgence avec la pandémie des tensions entre ultra-orthodoxes et autres juifs en Israël, l'influent rabbin Chaïm Kanievsky s'est attiré les foudres de nombreux Israéliens en minimisant la gravité du virus, un comportement « dangereux » selon ses détracteurs, mais « incompris » pour ses fidèles.
Lorsqu'Israël s'est confiné pour la première fois en mars, une vidéo a fait grand bruit : Chaïm Kanievsky, figure du monde juif ultra-orthodoxe, semblait y découvrir l'existence d'un virus frappant le monde entier et affirmait que cela ne devait pas justifier la fermeture des écoles religieuses.
Ces dernières semaines, il a de nouveau été épinglé pour avoir autorisé la réouverture d'écoles talmudiques, violant ainsi des instructions du gouvernement, qui a opté pour une sortie progressive du second confinement imposé en septembre.
Chaïm Kanievsky, 92 ans, barbe blanche vaporeuse et dos voûté, est un « maître », voire le « Prince de la Torah », pour ses adeptes qui respectent à la lettre ses consignes.
Pour beaucoup d'Israéliens, les haredim (les « craignants » Dieu en hébreu, ou ultra-orthodoxes) sont en grande partie responsables de la circulation du virus dans le pays, qui a enregistré en septembre l'un des taux de contamination les plus élevés au monde.
Au point où, dans les pages du quotidien Jerusalem Post, un commentateur a décrit le comportement de Kanievsky « d'extrêmement dangereux », tenant d'une « désobéissance civile » sans précédent.
« Ligne rouge »
Dans un rare entretien, le petit-fils du rabbin, Yaakov Kanievsky, estime toutefois que le comportement de son grand-père a été mal interprété.
« Personne ici n'est fou, tout le monde comprend (le risque) », affirme-t-il dans le modeste appartement de son grand-père à Bnei Brak, ville majoritairement ultra-orthodoxe près de Tel-Aviv.
La vidéo diffusée en mars, dans laquelle Chaïm Kanievsky assure que le virus n'est pas dangereux, « n'aurait pas du être rendue publique », assure son petit-fils, lui-même rabbin, qui apparaît aussi dans l'enregistrement.
Le vieux rabbin a d'ailleurs adapté certaines pratiques aux exigences de la lutte contre le nouveau coronavirus en fermant des synagogues et en autorisant l'utilisation exceptionnelle du téléphone portable lors du shabbat (jour de repos) pour partager des informations urgentes sur la pandémie, ajoute Yaakov Kanievsky.
Mais la fermeture des yeshivot, les écoles talmudiques, constitue une « ligne rouge » pour le rabbin, indique son petit-fils, dans un minuscule bureau où s'alignent les textes religieux: « Pour lui, la chose la plus importante au monde est l'étude de la Torah. Sans ça, plus rien n'a de sens ».
Et comme ses élèves n'utilisent ni smartphones, ni ordinateurs, proscrits par leur interprétation stricte du judaïsme, l'enseignement à distance n'est pas une option.
Divergence orthodoxe
Les grands blocs orthodoxes d'Israël ont réagi différemment à la pandémie, relèvent des spécialistes.
Les orthodoxes originaires des pays orientaux ont globalement respecté les mesures des autorités, quand les juifs hassidiques, une communauté issue de Pologne et d'Ukraine sans leader spirituel unique, ont « totalement désobéi », souligne Benjamin Brown, professeur de pensée juive à l'Université hébraïque de Jérusalem.
Certains juifs hassidiques, de tendances antisionistes, sont même allés jusqu'à insulter les policiers israéliens de « nazis » lorsqu'ils tentaient de faire respecter les instructions sanitaires dans leurs quartiers.
Les adeptes de Kanievsky, né en Biélorussie et leader des juifs de la communauté lituanienne, ne se rangent pas dans cette catégorie, assure son petit-fils, reconnaissant toutefois un taux d'infection plus élevé chez les haredim, qui vivent avec des familles nombreuses dans de petits logements.
En filigrane de la pandémie, certains observateurs estiment que le petit-fils s'impose progressivement dans la communauté, explique Gilad Malach, expert du monde ultra-orthodoxe à l'Institut de la démocratie israélienne, centre de réflexion basé à Jérusalem.
Yaakov Kanievsky « est fort (...) il manipule son grand-père, toutes les informations qui ne concernent pas la Torah viennent de lui », selon M. Malach.
Preuve de cette influence, Yaakov Kanievsky s'est entretenu ces derniers jours avec le Premier ministre Benjamin Netanyahu au sujet de la réouverture des écoles religieuses, confortant sa position d'émissaire auprès de la scène politique.
Mais cela ne l'empêche pas de défendre coûte que coûte son grand-père en affirmant que ceux qui l'accusent d'ignorer l'importance des mesures sanitaires sous-estiment son attachement à « la vie » : « Plus vous êtes religieux et plus votre foi en le caractère sacré de la vie est fort ».