Le principal problème du Liban actuellement est celui de la confiance. Même la crise bancaire est une crise de confiance, car personne ne veut placer de l'argent dans le pays et personne ne veut traiter avec le Liban. Lorsque l'on rencontre des responsables dans les capitales occidentales et arabes, on a l'impression qu'ils ont rayé le Liban de leur carte.
La communauté internationale considère que le Liban est responsable de la situation actuelle. Elle en a assez de voir les politiciens libanais crier à l'aide alors qu'ils ne sont pas prêts à mettre de l'ordre dans leurs affaires. En dépit des multiples incitations positives et conférences des donateurs internationaux, comme le programme Cedre en 2018, la classe politique libanaise n'a pas fait l'effort de mener des réformes. Un fonctionnaire européen m'a expliqué un jour que travailler sur le Liban, c'est comme courir sur un tapis roulant: vous déployez beaucoup d'efforts, mais vous n’avancez pas.
La communauté internationale ne croit plus que l'élite politique libanaise soit crédible. Cette classe politique a également perdu sa capacité à faire chanter la communauté internationale sur la question des réfugiés. Le monde reste ferme sur cette question. Il ne finance pas l'élite corrompue pour acheter son assentiment. La communauté internationale est fatiguée de traiter avec le Liban, mais sans son implication, le pays ne peut se relever.
Désormais, alors que la période légale pour l'élection du président approche (du 1er septembre au 31 octobre), le discours public porte sur les candidats potentiels. Si le candidat de choix de l'élite politique est Soleiman Frangié, son élection provoquerait une déconnexion totale avec la communauté internationale. Le Liban ne peut pas élire un président qui se dit «frère» de Bachar al-Assad et s'attendre à ce que la communauté internationale le considère comme le choix du peuple libanais.
La communauté internationale est aux prises avec la Syrie sous le régime d'Assad en tant que narco-État. Elle ne peut pas se permettre d'avoir un autre État qui soit totalement sous l'influence du régime syrien. Bien sûr, M. Frangié est un candidat du Hezbollah. Le secrétaire général, Hassan Nasrallah, y a fait allusion dans un récent discours. Cependant, il n'est pas vraiment à l'avantage du groupe de couper totalement le Liban de la communauté internationale. En outre, le Hezbollah est en grande partie responsable de la situation critique du pays. Sa propre communauté chiite a souffert de la crise économique, comme tout le monde. S'il insiste pour avoir son propre candidat à la présidence, il pourrait avoir un lourd tribut à payer.
Le patriarche maronite Bechara al-Raï, quant à lui, a déclaré que le Liban avait besoin d'une personne également distante de toutes les parties en présence, afin de pouvoir reconnecter le Liban à l'environnement arabe et à la communauté internationale au sens large.
D'autre part, Samir Geagea, le chef des Forces libanaises, a plaidé en faveur du commandant de l'armée, Joseph Aoun, qui n’a aucun lien de parenté avec le président sortant, Michel Aoun. M. Geagea a précisé qu'il n'avait jamais rencontré personnellement le commandant, mais que ses performances montrent qu'il est une personne du calibre requis pour assumer cette responsabilité en ces temps difficiles. Walid Joumblatt, le leader druze, a refusé l'idée d'un chef militaire et il a déclaré que le pays avait besoin d'un civil comme Élias Sarkis, le président au début de la guerre civile qui a empêché le pays de s'effondrer.
Entre tous ces points de vue différents, il existe un consensus sur le fait que le prochain président aura un lourd fardeau à porter. Sa tâche la plus importante sera de faire renaître une certaine forme de confiance au Liban.
Si le Hezbollah insiste sur la candidature de Soleiman Frangié et parvient à le faire élire au Parlement – le vote pro-Hezbollah est cohésif alors que l'opposition est fragmentée – il peut être certain que le pays ne recevra aucun soutien du Golfe arabe. Le facteur israélien est également à prendre en compte. Tel-Aviv est très nerveuse face à l'arsenal d'armes à guidage de précision du Hezbollah. Le Premier ministre, Yaïr Lapid, a clairement indiqué que le Liban devait maîtriser le groupe, sinon Israël s'en chargerait.
Bien que la communauté internationale ait perdu confiance dans le Liban, elle a encore une certaine foi dans les forces armées libanaises.
Dr Dania Koleilat Khatib
Bien que la communauté internationale ait perdu confiance dans le Liban, elle a toujours une certaine foi dans les forces armées libanaises. En réalité, la mission de l'Union européenne (UE) qui a surveillé les élections parlementaires de mai a fait l'éloge des forces armées pour leur rôle. Le général Aoun est donc la seule personne capable d'apporter la confiance au pays. Il est à égale distance de tous les différents partis sur le plan interne et il est respecté sur le plan international.
En cette période, où la région est très volatile et où le Liban est au bord d'une confrontation avec Israël, seul le commandant de l'armée peut assurer la stabilité. Toutefois, ce choix se heurterait à l'opposition des parlementaires de la société civile qui n'aiment pas l'idée d'avoir un autre général au palais présidentiel. Leur argument est que cela devient la tendance, après Émile Lahoud, Michel Sleiman et Michel Aoun, et que cela signifierait que chaque commandant aura l'ambition d'être préparé à devenir président. Mais en dépit de leur logique, ils doivent se rappeler que la politique est l'art du possible et que désormais, le principal problème du Liban est celui de la confiance. Ainsi, à moins qu'ils n'élisent quelqu'un qui puisse la restaurer, il ne faudra pas longtemps avant que le Liban ne soit entièrement rayé de la carte par la communauté internationale.
Dania Koleilat Khatib est spécialiste des relations américano-arabes et plus particulièrement du lobbying. Elle est cofondatrice du Centre de recherche pour la coopération et la consolidation de la paix, une ONG libanaise axée sur le processus Track II.
NDLR : L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.
Ce texte est la traduction d'une tribune parue sur Arabnews.com